Torah-Box vous présente un dossier spécial qui survole plusieurs aspects de la vie et de l’œuvre du Rambam, Rabbi Moché Ben Maïmon, surnommé aussi Maïmonide. Impossible de cerner la totalité des aspects de ce géant en Torah, nous nous concentrerons donc sur sa biographie, l'épisode de l’Épître au Yémen ainsi que les questions théologiques autour de son Guide des Égarés. Son génie, sa stature et son impact ont fait dire à beaucoup, comme Rabbi Itshak Ibn Latif : “De Moché (Rabbénou) à Moché, nul ne s’est levé semblable à Moché !”
Décisionnaire ayant traité tous les domaines de la Halakha, philosophe d’une rare profondeur, médecin novateur, parmi les premiers à parler de médecine préventive ou de diabète, le Rambam ne laisse personne indifférent chez les Juifs comme chez les non-juifs.
Mais de nombreux aspects de sa personnalité si riche sont assez méconnus : son expertise sur le Talmud de Jérusalem sur lequel il rédigea un commentaire semblable à celui du Rif sur le Talmud de Babylone, son action en tant que Raïs al Yahoud, chef du monde juif méditerranéen pour soutenir les communautés juives en difficulté, sa discussion avec les médecins de son temps sur l’origine des venins de serpents (point sur lequel nous savons aujourd’hui qu’il avait raison !).
En l’honneur du 820e anniversaire de son décès, le 20 Tévet, nous essaierons de redécouvrir cet itinéraire hors du commun…
D’illustres ancêtres et maîtres
Rabbi Moché naquit à Cordoue, en Andalousie alors musulmane, en 1138, certains disent le 14 Nissan, à la veille de Pessa’h. Son père, Rabbi Maïmon est le Dayan, juge rabbinique de la ville. Sa famille porte le nom de Ibn Abdallah ou Ibn ‘Ovadia, par son illustre ancêtre, Rabbi ‘Ovadia, juge de Cordoue huit générations plus tôt. Il descend par lui en droite ligne de Rabbi Yéhouda Hanassi, rédacteur de la Michna, et par conséquent du roi David.
Le Rambam put affirmer que toute sa grandeur lui vient d’un baiser reçu à l’âge de 5 ans. Ce baiser, accompagné d’une bénédiction, lui fut donné par celui qu’il considère comme son maître : Rabbi Yossef Ibn Migach, élève du Rif, Rabbi Its’hak El Fassi. Il étudiera avec le "Ri Migach", mais surtout avec son père qui a reçu de ce maître toute la Torah du Rif qu’il transmettra à son fils.
Rabbi Moché se plonge dans le Talmud, les écrits des Guéonim et surtout les écrits du Rif qu’il considérera toujours comme son maître. En parallèle, il découvre les mathématiques, la philosophie et la médecine, qu’il approfondit avec son ami musulman, Jabir Ibn Aflah, futur astronome et mathématicien de Séville.
Alors que le Rambam a à peine 10 ans et est déjà considéré comme un enfant prodige, les Almohades conquièrent l’Andalousie. Si les Almoravides étaient tolérants, les Almohades, berbères venant d’Afrique du Nord le sont beaucoup moins, et la situation se détériore rapidement. De plus, Rabbi Maïmon souhaite que ses deux fils, David et Moché, étudient auprès de Rabbi Yéhouda Hacohen Ibn Chouchan à Fès. La famille part donc pour le Maroc. Là, le Rambam commence à rédiger son célèbre commentaire de la Michna, qu’il finira dix ans plus tard en Égypte. Il a déjà produit plusieurs ouvrages comme son “Explication des Halakhot difficiles de tout le Talmud”, ses “Halakhot du Talmud de Jérusalem”, ouvrage de conception semblable au commentaire du Rif sur le Talmud de Babylone, dont seuls quelques fragments nous sont parvenus, ou son “ Maamar Ha'ibour”, sur les calculs relatifs au calendrier juif.
Auprès de la communauté juive égyptienne
Mais cinq ans plus tard, les Almohades conquièrent aussi le Maroc et sèment la terreur, entre autres en assassinant Rabbi Yéhouda Ibn Chouchan.
La famille Maïmon continue donc son périple pour se rendre en terre d’Israël. Elle sera accueillie chaleureusement dans la ville d’Acre, alors plus grande communauté juive du pays.
Mais la situation difficile en terre sainte les contraint à plier à nouveau bagage pour l’Égypte. Ils s’installent au début à Alexandrie mais passent rapidement à Fostat, dans la banlieue du vieux Caire.
Le Rambam épouse la fille de Rabbi Mikhaël Halévy Alteka et voit naître son premier fils, Rabbi Avraham. Il va être nommé dès son arrivée Raïs al Yahoud, dirigeant des Juifs, titre qui lui sera renouvelé à la fin de ses jours en 1196.
Le Rambam est donc le dirigeant de la communauté juive locale, le Av Beth-Din, mais aussi Roch Yéchiva d’une institution prestigieuse où étudient des Sages comme Rabbi ‘Hanania Ben Chmouel, futur dirigeant des juges rabbiniques de la ville. La fille de Rabbi ‘Hanania se mariera d’ailleurs avec Rabbi Avraham, le fils du Rambam.
Le Rambam se lance aussi dans un projet monumental. Durant dix ans – de 1157 à 1167 – il rédige le Michné Torah, un monumental ouvrage de référence de 14 tomes (d’où son nom de Yad Ha’hazaka, "la main puissante", Yad équivalant au chiffre 14) où il synthétise, résume et organise toutes les lois du Talmud et régissant la vie juive. Rien ne lui échappe, que ce soit les lois de la vie quotidienne comme les lois civiles, jusqu’aux lois du mariage ou de l’agriculture. Il ira même jusqu’à traiter les lois de la royauté et du service du Temple, domaines que Rabbi Yossef Caro dans son Choul’han ‘Aroukh ne traitera pas. Cette réelle œuvre d’art, rédigée en hébreu, permet à tout Juif, même s’il ne peut se retrouver dans les méandres du Talmud, de trouver la réponse précise et concise à toutes ses questions.
Quand tout bascule
Alors que tout semble se passer pour le mieux, un séisme bouleverse la vie du Rambam. Son frère David, négociant en pierres précieuses, subvenait jusqu’à présent à tous ses besoins selon un accord de type Issakhar et Zévouloun. En 1177, lors d’un voyage qui l’emmène du Soudan vers les Indes, l’embarcation est perdue corps et biens. Le décès de son frère écrase le Rambam qui en tombe malade pendant un an.
Convalescent, Rabbi Moché réalise qu’il n’a plus de moyens de subsistance. Il se met alors à pratiquer la médecine au sujet de laquelle il dispose de larges connaissances par son étude du Talmud, tout d’abord, mais aussi par ses lectures des maîtres grecs comme Galien et Hippocrate, ou arabes comme Ibn Zur.
Rapidement remarqué comme un brillant praticien, il devient l’un des meilleurs médecins du Caire avant d’être nommé, en 1185, médecin personnel d’Al-Fadil, grand vizir de Salah’ Al Din ou Saladin. Le grand Saladin le nommera médecin de la cour, et plus principalement de son fils, le prince Al-Malik.
C’est à cette époque que prennent place les nombreux récits décrivant les complots et autres machinations d’une vie de cour empoisonnée par la jalousie et la trahison. Beaucoup de médecins musulmans ont du mal à accepter la place de choix qu’un Juif a obtenue par ses compétences supérieures. On raconte qu’un concours est même organisé entre le Rambam et un concurrent nommé Kamoun. Le sultan fixe une règle très simple : que chacun essaye d’empoisonner l’autre et le survivant aura la place ! Rabbi Moché se protège admirablement des pièges et des poisons violents que son adversaire essaie de lui faire absorber. Mais de son côté, sa foi juive lui interdit d’ôter la vie de qui que ce soit. Kamoun ne voyant toujours pas l’attaque venir, sombre dans la paranoïa et dépérit. Jusqu’au jour où devant la remarque innocente du Rambam sur le seul lait qu’il boit, Kamoun meurt de terreur ! Le sultan, émerveillé par sa sagesse et son bon cœur, vit dans son médecin juif quelqu’un qui soignait le corps mais savait aussi guérir l’âme, et plus personne ne voulut désormais prendre sa place.
Médecin sans frontières
Comme le décrira le Rambam à son élève, Rabbi Yéhouda Ibn Tibbon, son emploi du temps devient extrêmement chargé : le matin, il soigne le prince et les nobles ; l’après midi, il ouvre sa porte à tous, dont beaucoup de déshérités, qu’il soigne souvent gratuitement. En parallèle, il continue son œuvre torahique en se lançant de 1187 à 1191, dans la rédaction de son Magnum Opus philosophique : le Guide des égarés.
Dans ce brillant ouvrage rédigé en judéo-arabe, Maïmonide présente la vision du judaïsme et guide ceux qui se sont perdus dans les contradictions de la philosophie aristotélicienne grecque et sa négation d’un D.ieu créateur et unique.
En parallèle, sa réputation grandit et atteint même Richard Cœur de Lion, souverain des Croisés, qui lui demande de devenir son médecin personnel, ce que le Rambam refusera.
Al Said Ibn Sinna écrira : “Si Galien guérissait les corps, Moussa ben Maïmon lui, guérit les corps et les âmes, il a su nous faire oublier les douleurs de l’ignorance !”
L’approche médicale du Rambam, combinant les théories grecques et arabes à ses propres études, est parfois révolutionnaire. Il écrit de nombreux traités médicaux : sur l’asthme, les poisons, un traité sur les médicaments où il cite plus de 2000 produits différents. Son Pirké Moché compte plus de 1500 recommandations médicales dont beaucoup relèvent de la médecine préventive. À l’époque, suggérer à un calife qui vit dans le tourbillon de la vie mondaine de la cour et qui dispose d’un harem aux centaines de concubines, de mener une vie mesurée et de ne pas sombrer dans les excès, relève du tour de force ! Maïmonide écrira pourtant un traité sur la vie conjugale équilibrée à destination du fils du calife…
Le Rambam retire complètement la magie et la superstition de la médecine et deviendra ainsi, avant Roger Bacon, le premier médecin moderne. Il est le premier médecin arabe à parler de diabète et repère des dizaines de cas alors que le grand Galien, grec, n’en avait reconnu que deux dans toute sa carrière.
Alors que tous pensent que le venin du serpent provient de la vésicule biliaire de l’animal, le Rambam défend, avec raison, la position du Talmud dans le traité de ‘Avoda Zara, comme quoi les glandes à venin se trouvent à proximité des crochets du serpent. Il sera un des premiers à distinguer le venin hémotoxique de la vipère, s’attaquant au système sanguin, et celui, neurotoxique du cobra, s’attaquant au système nerveux.
Une grandeur inégalée
En parallèle de tout son travail halakhique et médical, Maïmonide remplit avec grandeur le rôle du Guide de la génération. Des questions lui sont adressées de tous les coins du monde et les nouvelles des souffrances de ses frères finissent sur sa table. Une partie de ses lettres et réponses halakhiques sont rassemblées dans les “Iguérot Harambam” et les “Téchouvot Harambam - Péèr Hador”.
Bien plus tôt, lors de son séjour en terre d’Israël, il rédige sa “Lettre sur la persécution” où il console ceux qui ont été contraints par la force à la conversion, et fixe qu’ils ne sont pas considérés comme des idolâtres, qu’ils font toujours partie du peuple juif tout en les encourageant à se réfugier au plus vite là où ils pourront vivre comme des Juifs.
La communauté juive du Yémen est alors la proie de terribles pogroms ainsi que de la venue d’un faux messie. Le Rambam les soutient dans sa désormais célèbre “Épître au Yémen” de 1173, où il leur détaille les bases de la Émouna, la foi dans la Délivrance, ainsi que la manière de distinguer le Machia’h d’un imposteur. Les Juifs yéménites lui en seront tellement reconnaissants qu’ils ajouteront dans le texte du Kaddich : “Que nous soyons délivrés de notre vivant et du vivant de notre maître Rabbi Moché Ben Maïmon” !
En 1191, le Rambam écrit son “Épître sur la résurrection des morts”, qui définit sa vision de cette étape indispensable de la Délivrance finale. Il développe ainsi une de ses introductions à la Michna dans le traité de Sanhédrin (chapitre 10 “’Hélek”) où il détaille les 13 principes de la foi, les 13 ‘Ikarim, dont la foi dans la résurrection des morts. Le texte classique des treize ‘Ikarim résume son développement.
Malheureusement, le 20 Tévèt 1204, le Rambam quitte ce monde à l'âge de 66 ans, laissant une œuvre impressionnante. Son fils, Rabbi Avraham Ben Harambam, auteur du Sefer Hamaspik Lé’ovdé Hachem, lui succède à la tête du judaïsme égyptien.
Le Arizal, tel que le rapporte son élève Rabbi ‘Haïm Vital, témoignera de l’endroit de sa sépulture. Le Rambam ayant demandé, à l’instar de Ya’akov Avinou : “ne m’enterrez point en Égypte”, son corps sera transféré puis enterré au bord du Lac de Tibériade. À proximité de son tombeau, on trouve la sépulture de Rabbi Yo’hanan Ben Zakaï et du Chla Hakadoch.
Plus de 800 ans plus tard, Rabbi Moché Ben Maïmon ne quitte pas nos bouches et nos esprits. Il reste la référence de la sagesse, ses décisions sont la base de toute décision du Choul’han ‘Aroukh et son nom résonne à l’infini dans les Yéchivot ou tous se passionnent pour sa réflexion.
Sa personnalité et sa vie laissent en nous un parfum d’infini et une aspiration à la perfection : celle d’un homme qui était Ich Echkolot, l’homme en qui tout se trouvait, celui qui réussit à tout comprendre, tout savoir et tout réaliser en incarnant l’apogée de l’accomplissement humain.