Suspendue dans le vide, superbement lisse et bleutée, notre Terre est émouvante au possible, émergeant paisiblement de la solitude spatiale. 

Cette photo, ramenée sur terre par l’équipage d’Apollo 8 en janvier 1969, est entrée dans la légende et est devenue l’une des 100 photographies les plus influentes du siècle. Intitulée « Lever de Terre » (Earthrise), elle fut prise par l’un des 3 chevaliers du ciel de cette mission.

Si aujourd’hui, ce genre d’image n’étonne plus, à la fin des années soixante, personne encore n'avait vu ainsi notre planète. 

Lever de Terre à travers un hublot

William Anders, James Lovell et Frank Borman s’envoleront le 21 décembre 1969 à bord de la fusée Saturn V, qui s’arrachera pour la première fois de l’orbite terrestre et atteindra en 68 heures de vol et après avoir franchi 384 000 kilomètres une autre pesanteur : celle de la lune. Lors de cette épopée spatiale de 7 jours, leur vaisseau tournera 10 fois autour de la lune. 

Lors du 4ème tour, Anders verra soudain apparaître derrière son hublot, lumineuse et fragile, une délicate bille d’un bleu intense, s’élevant dans la nuit cosmique.

Le dialogue des hommes de bord a été enregistré par Cap Canaveral et l’on entend Anders s’écrier : 

« Comme c’est beau, c’est un lever de terre !! » 

On le voit saisir fébrilement son appareil photo, émerveillé, et dire à Borman : « Va me chercher une pellicule de couleur… »

« Ouah ! C’est fantastique… ! »

                                         AstronauteTerre

Alors qu’ils viennent d’envoyer à la base de contrôle une description du sol lunaire, sablonneux, gris et accidenté, c’est l’extase devant la planète mère, si différente, si vivante, surgissant des profondeurs de l’univers. 

Anders racontera plus tard : « Nous étions venus explorer la lune, et nous découvrions notre Terre. C’était excessivement émouvant. En la voyant, belle, colorée, incroyablement délicate, j’ai compris qu’elle était notre seule maison, qu’il fallait la protéger ; et nous ses habitants, au lieu de nous envoyer des bombes nucléaires, nous devions la ménager et être en paix les uns avec les autres. »  

Dans l’immensité astrale, sans plus de contact radio avec Cap Kennedy, se trouvant à ce moment du côté caché de la lune, celui qui ne s’offre jamais au regard humain, ce fut la grâce et la vulnérabilité terrestres qui interpellèrent ces hommes, venus pourtant pour décrypter les mystères de la lune… 

Ils prendront des centaines de photos pour préparer l’expédition suivante et déterminer à quel endroit la prochaine mission pourra alunir. En effet, 7 mois plus tard, le légendaire Apollo 11 marquera l’apothéose des missions spatiales lorsque Neil Armstrong posera le pied sur la lune. 

La guerre des étoiles

À la fin des années soixante, deux blocs géants s'affrontent, se disputant la suprématie économique, technologique et idéologique du monde. C’est la guerre froide entre l’Est et l’Ouest, qui se traduit par la course à l’armement et à la domination spatiale. Cet attrait pour le monde des étoiles résonne alors dans la culture occidentale, avec des films mythiques comme « 2001, Odyssée de l’Espace », et des chansons comme « Space Oddity », où des artistes de premier plan s’imprègnent de l’air du temps et l’influencent en retour. 

Conquérir l’espace, c’est s’imposer comme le plus fort et les deux adversaires font un sprint au coude à coude. 

Les Russes, très performants, marquent des points d’avance mais leurs vaisseaux ne sont encore habités que par des singes, des chiens et des tortues qui expérimentent des allers-retours dans l’espace. 

Le Président J. F. Kennedy, qui comprend que les Soviétiques avancent à pas de géant, veut très vite une mission hors norme, avec des astronautes humains, qui planteront le drapeau américain sur une lune enfin conquise. La trace d’une moonboot made in USA sur le sol lunaire doit marquer pour toujours la suprématie américaine sur le monde terrestre et sidéral.

                                                   Pas sur la lune

Étonnamment, c’est peut-être Hergé qui a le mieux prophétisé cette course au drapeau sur une terre étrangère, lorsque dans l’Étoile Mystérieuse, il décrit avec 20 ans d’avance deux équipes adverses se battant sans merci pour planter leur pavillon sur une île inhabitée.

                                     Tintin 1Tintin 2

Eyes in the sky

En 1963, Kennedy sera assassiné, puis Martin Luther King en 1968, le Vietnam embourbera les Yankees dans une guerre sanglante et controversée, et l’Amérique lèvera alors les yeux au ciel, cherchant l’apaisement dans les étoiles. 

Si dans les consciences, Apollo 8 reste plus discrète que la mission suivante, qui en effet verra le premier homme marcher sur la lune, tous les scientifiques s’accordent à dire qu'elle fut la mission pionnière qui ouvrit la voie à toutes les autres. Mais ce périple interplanétaire sera marqué dans les mémoires par un moment clef qui couronnera cette odyssée fantastique. Environ un quart de la population mondiale - à l’époque presque un milliard de personnes - suivra la retransmission télévisée en direct de l'équipée qui allait s’adresser aux téléspectateurs et auditeurs du monde entier. Il fallait pour cela trouver une citation littéraire, poétique, adéquate, à la hauteur de l’occasion, qui cristalliserait l’émotion de la terre entière.  

Quel message transmettre à l'humanité, réunie pour une fois sans différence ethnique, raciale ou religieuse ?

Ce fut un certain Joseph Laitin, journaliste - il avait couvert le procès de Nuremberg pour Reuters -, devenu porte-parole du ministère du Budget, qui trouva la piste. Et sa femme, d’origine française, résistante de 39-45, cibla exactement quel passage citer. À l’unanimité, les hommes de l’équipage, la NASA et les dirigeants américains saluèrent le choix de Laitin et de son épouse. 

Ainsi, le 24 décembre 1969, les triumvirs Anders, Lovell et Borman, de leur nacelle interstellaire, prononceront à tour de rôle les seules phrases véritablement appropriées à ce monumental événement. 

Anders débuta : 

« Au commencement, D.ieu créa le ciel et la terre.1,2

Or la terre n'était que solitude et chaos ;  

Des ténèbres couvraient la face de l'abîme, et le  

souffle de D.ieu planait à la surface des eaux. » 

Il se partageront les 10 premiers versets de la Genèse : Anders d’abord, Lovell les 3 suivants et Borman les deux derniers. Et des centaines de millions de personnes, les yeux rivés sur leur petit écran, l’oreille collée à leur poste, entendront 3 terriens seuls dans l’immensité sidérale, prononcer les premiers mots de la Torah et reconnaissant la grandeur de l'Éternel, Créateur de l’univers. 

                                                            Béréchit