Un père de famille de Jérusalem tirait sa subsistance de l’aumône. Durant de longues années, il avait cherché quotidiennement un travail dans les petites annonces, sans succès. Après son décès, on aperçut un jour son fils aîné - un vieux garçon qui vivait chez ses parents -, lui aussi en train de quémander. Tout en lui remettant un billet, une connaissance lui glissa : “Ah, la charge de la famille retombe maintenant sur toi”. Mais le jeune homme répondit par la négative, affirmant qu’il se préoccupait uniquement de ses propres besoins. Étonné, le bienfaiteur lui fit remarquer qu’à son âge, il devait travailler ou suivre une formation et non pas demander la charité. L’orphelin, tout aussi étonné, ne comprit pas son interlocuteur, et lui répondit qu’en définitive, “il s’agissait là d’une occupation comme une autre !”
Observant la scène, je réalisai que ce jeune mendiant, sachant pertinemment que son père avait vécu de dons pour soutenir sa famille, n'avait en réalité jamais ressenti, pas même chez sa mère, qu’il y avait dans cette “activité” un déshonneur flagrant. D’ailleurs, lorsque j’avais rendu visite à la famille lors de la semaine de deuil, j’avais remarqué que l’atmosphère ambiante était tout à fait normale. On rapportait les valeurs du défunt et ses bonnes actions, sans que le fait qu’il vivait de la charité ne soit ressenti. Il est donc à supposer qu’il considérait que la responsabilité qu’il endossait de nourrir sa famille justifiait sa conduite, faute d’avoir trouvé d’autre solution.
Sur le coup, cette image m’a fait penser - Léhavdil - à une BD de Lucky Luke dans laquelle les quatre frères Dalton - tous des brigands - relataient avec nostalgie “les coups” de maître que leur père défunt avait réalisés en matière de cambriolage. Les jours où le père revenait à la maison et racontait ses aventures, toute la famille réunie autour d’un bon repas, représentaient des moments de bonheur qui les comblaient. Là aussi, malgré le côté négatif d’une telle activité, dans la mesure où le chef de famille le vivait bien, et la percevait comme normale et ordinaire, les enfants non seulement ne le jugeaient pas, mais ils en avaient fait leur propre occupation.
De façon générale, certains métiers perçus dans la société comme peu flatteurs - éboueurs, balayeurs, gardiens -, peuvent être bien vécus si ceux qui les exercent savent accepter leur lot. Nos Sages nous ont d’ailleurs enseigné : “Dépouille des charognes au marché, mais refuse la charité !”
Le contraire est tout aussi vrai : on peut réaliser de grandes œuvres et de bonnes actions, mais si on le vit mal, si elles sont ressenties comme une souffrance, les enfants forcément s’en détourneront. Ainsi Rav Moché Feinstein expliquait le phénomène de toutes ces familles pratiquantes arrivant aux États-Unis depuis l’Europe de l’Est, et dont la descendance quittait la voie de la Torah malgré l’abnégation de leurs parents. Il s’avérait que très souvent, le père, après avoir perdu son emploi pour avoir refusé de travailler le Chabbath, soupirait et exprimait sa peine face à l’épreuve. Cette réaction va marquer sa descendance, qui cherchera à l’avenir d’autres horizons.
La pratique des Mitsvot est souvent accompagnée de concessions : le Chabbath, la Cacheroute, l’éthique, l’étude de la Torah peuvent “coûter cher”. Ces sacrifices sont très louables, mais nous devons apprendre à les assumer dans la sérénité et la joie. Lorsque cela n’est pas le cas, il ne faut pas s'étonner des réactions brutales de l’entourage proche, dont on devra assumer la responsabilité. L’éducation passe par l’exemple personnel, à la fois dans la conduite, et aussi - peut-être surtout - dans la manière dont elle est vécue !