Le judaïsme se traduit par l’application des commandements de la Torah, la loi divine. Il en va de la prière à la consommation d’aliments réglementés en passant par le repos du septième jour, et couvre d’une manière générale tous les aspects de la vie d’un juif. Se manifestant dans tous les domaines de la vie quotidienne et au vu de son étendue, il va sans dire que tous ne sont pas logés à la même enseigne dans la mise en vigueur des exigences. 

Celui qui, fraîchement initié, s’applique prescriptions de la Torah, n’a pas le même niveau spirituel que le Rav Aharon Leib Steinman, de mémoire bénie, l’un des grands maîtres de la génération, avec sa piété légendaire, et cela est très bien ainsi car les grands sauts ne sont pas franchement encouragés dans le judaïsme : leur effet est trop éphémère, nous disait le Gaon de Vilna.

Le temps et la pratique assidue sont les meilleurs alliés de l’évolution spirituelle. Ils permettent l’investissement sincère et les résultats deviennent alors palpables dans ce domaine-là. On sent de l’élévation dans la prière, de la finesse d’esprit dans l’étude de la Torah, du bien-être durant les jours de fêtes mais surtout de la satisfaction d’avoir réussi l’exploit de changer sa nature…

Mais si le judaïsme offre la sérénité à ses fidèles, le chemin pour y parvenir n’est pas de tout repos. Parfois, les interrogations se mêlent à la contrariété ou encore à la frustration, à la déception…

Ne pas en vouloir à D.ieu !

Plus on avance dans le judaïsme, plus on s’engage dans la pratique des Mitsvot (les commandements), et plus l’effort devient le lot du quotidien. On se soumet à la Torah, nos habitudes changent, et on s’habitue à faire abnégation de soi et de ses envies…

Alors, pour persévérer dans la voie, on s’aide par l’approfondissement des textes, on va à des cours de Torah qui nous révèlent que le but profond de toute la pratique est de créer un lien avec D.ieu, nos efforts ne sont pas vains, ils s’inscrivent dans la tentative d’une relation avec le divin.

Le roi Salomon illustre cette relation dans Chir Hachirim, le Cantique des Cantiques, lorsqu’il fait référence à l’histoire passionnelle d’un mari et de son épouse – D.ieu vis-à-vis du peuple d’Israël. La Torah elle-même fait référence au lien qu’un père entretient avec son fils pour illustrer la relation entre le Créateur et sa créature, l’homme (Deutéronome 8, 5). Nous voyons donc qu’au-delà d’être une question de pratique, il s’agit d’établir une relation avec D.ieu ; les Mitsvot ont bien pour but de créer un lien indéfectible avec le divin.

C’est peut être précisément à cause de cette vision, si elle n’est pas abordée de façon saine qu’une personne peut tout gâcher, ou tout du moins… tout se gâcher !

Quand la relation est mal interprétée

Combien n’ont jamais émis cette plainte insidieuse provenant des tréfonds de leur cœur dans des moments d’épreuves : ”Avec tout ce que j’ai fait pour toi, mon D.ieu… !” ? Certains l'étouffent aussitôt, mais d’autres étouffent leur judaïsme à cause d’elle…

C’est cette jeune adolescente qui s’est battue contre les railleries de sa famille lorsqu’elle s’est décidée à respecter les lois de la Tsni'out (pudeur) pour la gloire de D.ieu durant des années pénibles et qui, une fois arrivée au moment de se marier, ne trouve pas chaussure à son pied. “Mon D.ieu, pourquoi moi, n’ai-je pas fait suffisamment de sacrifices pour Toi ?”

Ou bien ce jeune cadre supérieur qui décide de tout plaquer pour s’adonner à l’étude de la Torah et qui vit aujourd’hui sans le sou… Des exemples comme ceux-là, on en a tous connus, parfois même vécus.

Comment maintenir le cap lorsque la bénédiction tant espérée se fait attendre ou, pire encore, qu’elle n’est pas au rendez-vous ? 

Changer sa vision du rapport avec D.ieu

Si la Torah parle de la relation avec D.ieu comme de l’aboutissement du service divin, il n’en reste pas moins que servir D.ieu est un mérite exceptionnel que nous devons prendre comme tel. 

Avraham, l’aimé de D.ieu, n’a-t-il pas été secoué par dix rudes épreuves dont le but était d’éprouver son amour pour Lui, depuis l’exil “Va hors de ton pays, de la maison de ton père” (Genèse 12, 1) au quasi-sacrifice de son fils sur lequel il avait été dit “Je ferai de toi une grande nation” (Ibid) ?

Il en fut de même pour Its’hak, chassé de ses propres terres par le roi Avimelekh ; quant à Ya'akov, entre son frère qui l’a pourchassé à mort une grande partie de sa vie, sa bien-aimée échangée le soir de son mariage et les vingt-deux années passées loin de son fils qu’il croyait mort, on est en droit de se demander comment nos ancêtres n’ont-ils pas craqué !

Le Kouzari (livre 2, alinéa 2) dit à ce sujet : “Les patriarches étaient au plus haut niveau imaginable de foi et d’intégrité , et même si leur vie avait été misérable et pleine d’épreuves, leur amour pour D.ieu n’aurait pas été rompu.”  

Mais alors, qu’ont-ils fait pour mériter une si grande intégrité, envers et contre tout ?

S’il y a bien une chose qui diffère fondamentalement entre eux et nous, indépendamment de leur niveau de pureté encore jamais égalé, c’est qu’ils ont été les précurseurs du service divin. Personne ne leur a jamais promis monts et merveilles pour servir D.ieu. La Torah n’était même pas encore là pour décrire l’étendue de la bénédiction réservée à ceux qui servent D.ieu, et les rabbins conférenciers n’étaient pas là non plus pour créer l’émoi au sein des foules. Bien au contraire, la vie de nos patriarches était jonchée d’épreuves et c’était leur seul modèle de référence. 

Ils ont pourtant choisi de servir D.ieu de tout leur cœur et ont su saisir l’importance ce privilège, peu leur importait le feedback venu du Ciel, le service était pour eux un choix délibéré.

Si, nous aussi, nous choisissions de servir D.ieu de façon désintéressée, d’un choix purement affranchi de tout intérêt personnel de nous voir gratifiés en retour, nous atteindrions probablement le même niveau que nos aïeux… 

Posons-nous la question de savoir si nous servons D.ieu dans le but qu’Il nous bénisse en retour pour “travaux bien rendus ” ou par pur amour de Le servir ? Car nous en conviendrons, c’est seulement dans ce cas précis qu’une véritable relation d’amour pourra être digne de ce nom…