Question de Sarah A.

Bonjour Rav Scemama,

Avant de vous soumettre ma question, j’aimerais vous apporter quelques détails nécessaires pour bien me comprendre. Je suis née d’un père non-juif et d’une mère juive, mais complètement assimilée. Jusqu'à l’âge de 20 ans, je ne savais rien du judaïsme, et le Chabbath était pour moi un jour ordinaire. On sait que rien ne vient du hasard, et dans des circonstances particulières, j’ai découvert le judaïsme et ai commencé à accomplir les commandements. J’ai eu la chance d’être invitée par des familles pieuses extraordinaires qui m’ont fait connaître le plaisir du Chabbath et des ‘Haguim (fêtes). Plus tard, on m’a présenté celui qui allait devenir mon mari, qui lui venait d’un milieu plutôt pratiquant et Séfarade. Après 8 ans de mariage, je suis mère de 4  enfants très mignons et qui sont assez proches d’âge l’un de l’autre.

Inutile de vous dire que ce rôle de mère m’est assez difficile à endosser, mais j’aime mes enfants et je fais de mon mieux pour l’accomplir, malgré le fait que je n’ai pas du tout été “programmée” pour m’occuper d’un foyer et élever une famille “nombreuse” (à mes yeux, très nombreuse !!). 

Mais là où je bute et je peine énormément, c’est dans le cadre du Chabbath. Déjà, le jeudi après-midi, je l’appréhende, et le vendredi commencent mes souffrances. Je me retrouve des heures entières à éplucher des légumes, couper de la viande (j’ai grandi végétarienne), préparer les ‘Hallot et les gâteaux, prévoir une salade de fruits… Parce que je ne vous pas ai pas encore dit que mon mari, au début du mariage, m’a décrit l’atmosphère du Chabbath chez lui, qui commence déjà le jeudi avec ses odeurs de mets succulents que sa mère prépare. Il n’y a pas moins de 10 salades sur la table et il aimerait que, chez lui aussi, ce jour soit marqué par le Chéfa’ (l’abondance). Bref, un discours qui ne peut que m’angoisser.

Epuisée (de faire des choses pour lesquelles je n’ai pas d’aptitude), je rentre dans le Chabbath, et là commencent d’autres frustrations, avec les enfants qui se disputent pour un rien, se salissent très rapidement et renversent sur le plancher tout propre des liquides sucrés. Mon mari essaye de mettre un peu d’ordre, mais on remarque très vite qu’il n’est pas agacé par leurs comportements qui, parfois même, l’amusent. Ses chants et son Dvar Torah ne m’allument pas… En fait, j’attends… la fin du Chabbath ! D’ailleurs, à peine le Chabbath sorti, je commence par fumer une cigarette (je ne fume pas normalement), je me mets une jupe en jeans, et avec des écouteurs, je me branche sur de la musique Goy tout en faisant la vaisselle. Mon calvaire est terminé, je retrouve ma bonne humeur avec la Havdala.

Je suis consciente que Chabbath devrait être autre chose, un moment d’élévation, de joie, de paix. Mais mon vécu est très loin de cet idéal, et c’est pourquoi je me tourne vers vous : peut-être avez-vous une recette pour transformer mon Chabbath ? Je prie l’Eternel pour qu’Il m’aide et me donne des forces, car au lieu de remplir mes batteries, ce jour me les vide. 

Je vous remercie pour votre réponse.


Réponse du Rav Daniel Scemama

Bonjour Sarah,

La difficulté de la Techouva n’est pas seulement le fait d’abandonner son ancien mode de vie, mais surtout de trouver le chemin qui nous permette de nous épanouir dans celui de la Torah. Dans votre cas, il s’agit du Chabbath qui est, dans la Tradition, source de ‘Oneg (jouissance), et qui représente une expérience - à faible intensité - du monde futur (Mé’èyn ‘Olam Haba). Vous-même, vous l’avez goûté chez certaines familles, mais vous ne parvenez pas à recréer cette ambiance dans votre propre foyer. Pire que cela, le Chabbath est devenu une source de douleur.

- Tout d’abord, vous devez vous accepter telle que vous êtes, avec votre passé, votre niveau spirituel, et vos sentiments. La Techouva n’est pas un bouton sur lequel on appuie, et tout devrait fonctionner selon le mode d’emploi. L’être humain est beaucoup plus complexe, et, comme on vient de le relever, notre travail est de trouver le chemin qui nous permette de réaliser concrètement nos idéaux.

- S’occuper d’enfants en bas âge représente pour certaines mamans une tâche ingrate, où l’on donne beaucoup sans vraiment recevoir en retour. Mais dès qu’ils deviennent adolescents, on commence à voir les fruits de notre labeur lorsqu’ils se conduisent eux-mêmes en adultes responsables chez lesquels on retrouve les valeurs inculquées tout au long des années, avec, en plus, un échange enrichissant et un dialogue. Cet investissement que les parents fournissent lors des jeunes années de l’enfant est comparable au paysan qui laboure et sème avec peine, afin de pouvoir jouir plus tard des fruits de son labeur.

- Le prophète Isaïe (58,13) nous demande de “considérer le Chabbath comme un délice” (“Vékarata Lachabbath ‘Oneg”), c’est pourquoi les juifs préparent toutes sortes de mets agréables en l’honneur du Chabbath. Dans votre cas, vous faites plaisir à votre famille, mais, pour vous-même, qu’avez-vous fait, pour votre propre délectation ? Vous devez absolument penser à vous, et vous réserver toutes sortes de choses qui vont vous faire plaisir égoïstement : un bon chocolat, un plat ou une salade que vous aimez, vous choisir un vêtement qui vous fait plaisir, une lecture plaisante que vous vous réserverez pour le Chabbath... Si vous vous oubliez, ne pensant qu’aux autres sans rien garder pour vous-même, vous ne pouvez “qu’éclater”.

- Le Chabbath, comme d'ailleurs vous le mentionnez, est un jour d'élévation spirituel. Il est important surtout pour des Ba’alé Techouva de prévoir des lectures enrichissantes, d'aller écouter un cours ou discuter avec des amies sur un sujet de judaïsme. En y insérant une dimension spirituelle, vous le transformerez en moment privilégié et attendu.

- Vous ne nous avez pas fait partager quelles sont vos occupations pendant les jours ouvrables de la semaine. Le Chabbath n’est-il pas un peu le reflet de votre quotidien morose ? Avez-vous une activité intéressante pendant la semaine, en dehors de la maison ?

Sachez que le repos et le plaisir du Chabbath dépendent totalement de cette question : si on peine toute la semaine, alors le Chabbath est un jour attendu pour se reposer, trouver du temps pour la famille, se délecter de mets raffinés et d’un repos bien mérité. 

Par contre, si, en semaine, nous sommes dans l’inaction en meublant le temps passivement, sans utiliser nos journées à des activités épanouissantes, quand le Chabbath arrive, c'est l’enfer.

D’ailleurs, la Torah fait dépendre le commandement du Chabbath de notre travail en semaine (“Chéchèt Yamim Yé’assé Mélakha Ouvayom Hachévi’i Chabbath Chabbatone Kodèch Lachem” “Six jours on se livrera au travail, mais le septième jour, il y aura repos, repos complet consacré au Seigneur”, Chémot 31,15), comme pour nous dire que toute la beauté de ce saint jour s’appuie sur une activité prenante pendant les six jours ouvrables.

J’espère avoir pu vous donner certaines directions et matières à réflexion.

N’hésitez pas à demander à votre mari, en lui expliquant votre difficulté, de vous alléger les préparatifs en achetant certains aliments déjà prêts, si vous sentez que cela peut vous aider. 

Mais si votre semaine est bien remplie par des activités qui utilisent vos aptitudes, quitte à sortir et entreprendre une formation qui vous corresponde et vous permettra d’exercer un travail qui vous épanouisse, je suis sûr que votre Chabbath prendra un tout autre sens, et même, que vous l’attendrez impatiemment.

Béhatsla’ha.