Steeve, juif de 18 ans, ne connaît pas de limite ! Il a tout pour réussir mais préfère passer son temps à enquiquiner les autres. Suite à un bouleversement dramatique et une rencontre improbable, son destin prend une nouvelle dimension totalement à l'opposé de ce qui était prévu. Steeve va devenir peu à peu Shimon.

Suivez chaque mercredi cette série, inspirée d’une histoire vraie, belle, forte et qui vous surprendra sur bien des points. Bonne lecture !


Je suis en train de préparer mon sac pour aller chez le Rav Elnathan. Je ne sais même pas pourquoi j’ai accepté son offre débile de passer un Chabbath complet chez lui. À la base, cela ne devait être qu’un repas, mais comme mon père a mentionné que je prendrai le métro samedi matin pour rejoindre la synagogue, le Rav a carrément proposé que je passe tout le Chabbath chez lui pour ne pas que je le transgresse. Perso, je m’en fiche pas mal de glisser mon ticket de métro et de le prendre.

Je regarde encore une fois l’adresse et, après quelques stations de métro, me voilà devant l’immeuble où je dois passer les deux prochaines nuits. Lorsque je sonne, la femme d’Elnathan, Ruth, m’ouvre la porte, et elle a l’air… normal. Je m’attendais à une religieuse que l’on voit dans les films qui portent des foulards sur leurs crânes rasés. Franchement, je suis rassuré de voir que cette femme porte un joli béret. On peut deviner la racine de ses cheveux. Elle m’indique ma chambre et me dit qu’elle va prévenir son mari que je suis arrivé. Apparemment, il est en train de finir de se préparer avant d’aller à la synagogue.

Mon regard est attiré par deux petites bougies qui sont posées sur le buffet. Cela me rappelle ma mère qui, elle aussi, bien qu’elle ne soit pas pratiquante, a toujours allumé ses bougies exactement comme le faisait ma grand-mère. Il y a des images et des traditions fortes qui restent gravées à vie.

Je patiente quelques minutes sur le lit, et je vois dans l’embrasure de la porte trois petits garçons d’âges différents qui me scrutent. Je les trouve très mignons et je leurs propose de venir me rejoindre. Le plus grand des trois, qui a l’air d’être le moins timide, m’indique que c’est son lit, mais qu’il me le prête volontiers parce que j’ai l’air gentil.

– Mais alors mon bonhomme, si tu me prêtes ton lit, où vas-tu dormir ?

– Avec ma grande sœur, Perla.

Ah oui, c’est vrai, j’avais oublié que le Rav avait aussi une grande fille qui a l’air d’avoir mon âge.

– Steeve ? Tu es là ?

– Oui Rav, dans la chambre.

– Viens boire un petit thé avec nous avec des brioches avant d’aller à la syna, et après on se met en route.

Ah, c’est donc ça cette odeur enivrante que je sens depuis tout à l’heure. Je ne vais pas me faire prier deux fois. Je m’assoie à leur table où mon Elnathan et sa femme m’attendent, et je suis tout de suite apaisé par leurs regards bienveillants. C’est la première fois que je ressens cette sensation de chaleur que ces étrangers me font sentir.

– C’est comme ça que tu comptes m’accompagner pour l’office ?

Je sens la question piège, je retire pour la sensation de chaleur.

– Oui, pourquoi ? Il n’est pas bien mon jeans ?

– Tu sais, ce serait bien si, pour Chabbath, tu revêts une tenue différente de la semaine.

– Rav, c’est mon uniforme dans lequel je me sens le mieux. Alors, si vous pouviez faire comme si cela vous plaît, ça m’arrangerait.

L’un de ses fils vient s’assoir sur mes genoux spontanément et je ne peux m’empêcher de le serrer dans mes bras et de ne pas m’offusquer quand il boit dans mon thé.

– Ezéchiel ! Arrête, laisse notre invité tranquille. Perla, vient prendre ton frère qui embête Steeve.

– Non, pas du tout, au contraire, laissez le petit Ezy avec moi, cela ne me dérange pas.

Trop tard, la fameuse Perla arrive à son tour. Elle était si discrète que je l’avais à peine vu nous rejoindre.

– Bon, Steeve on y va ? Nous allons être en retard sinon.

Nous disons au revoir à tout le monde et nous partons pour aller à la synagogue. Je n’avais aucune idée de comment la prière allait se dérouler puisque je n’ai jamais assisté à l’office du vendredi soir. J’espère que je ne vais pas trop m’ennuyer. En plus, comme je ne connaissais personne, j’étais nerveux.

J’étais soulagé quand le Rav m’a fait asseoir juste à côté de lui. Malgré mon ignorance, je sentais que c’était un grand honneur qu’il me faisait. Les regards d’admiration et la façon dont les fidèles s’adressaient à lui ne m’avaient pas échappé. Je me disais qu’à l’avenir, il valait mieux que je surveille sérieusement mon langage.

Quand la prière a commencé, je n’étais pas très à l’aise et je n’arrivais pas trop à suivre. À ma grande surprise, le Rav venait de temps en temps m’aidait spontanément à me repérer dans le livre, tout en continuant de chanter fort pour toute l’assistance.

Et puis, d’un coup, au moment du « Léha Dodi », la prière pour accueillir la reine du Chabbath, il s’est passé quelque chose que je n’avais pas vu venir….

Ce chant si particulier que je ne connaissais absolument pas m’a littéralement transporté. Je ne sais pas si c’est la voix envoûtante d’Elnathan qui résonnait dans toute la synagogue ou le refrain que tout le monde reprenait en coeur, mais je sentais que quelque chose en moi vibrait de l’intérieur.

Bien que je ne connaissais pas le sens de ces paroles, la mélodie m’enveloppait de paix. J’avais cette impression d’être assis sur cette chaise sans vraiment être là. J’avais ce sentiment nouveau, pour la première fois depuis la disparition de David, qu’il était là, tout prêt, et qu’il dansait même à mes côtés.

Quand tout le monde autour de moi s’est levé et s’est tourné vers la porte, j’avais à peine réalisé que je chantonnais les notes qui n’étaient pas seulement rentrées dans ma tête, mais aussi dans mon coeur.

La suite de la prière a été tellement bouleversante que les larmes qui coulaient sur mon jeans sont venues rendre réel ce que je pensais n’être qu’un songe. C’était tellement loin de tout ce que j’avais connu auparavant qu’il m’a fallu quelques minutes pour refermer mon livre et suivre mon rabbin pour rentrer chez lui.

Je suis sûr qu’Elnathan a vu mon émotion, mais il ne m’en a pas touché mot sur le chemin du retour. Heureusement, car je n’aurais pas su quoi répondre, moi-même je ne savais pas ce qu’il m’était arrivé… Est-ce que je deviens bizarre ?

Ce grand monsieur fait partie de ces gens sages et extraordinaires qui n’ont pas besoin de poser des mots pour comprendre ce que vous ressentez. 

En rentrant, j’avais pris volontiers la main du petit Ezy, qui était devenu en quelques heures mon petit chouchou. Je regrettais que mon frère Dylan ne soit pas avec moi. Je me promettais que la prochaine fois que l’occasion se présenterait, je ferais connaître à mon frère la prière du vendredi soir.

Quand Ruth et Perla nous ont ouvert la porte, je sentais mon ventre tiraillé par la faim, apparemment, prier, ça creuse. Le repas fut un délice, mais pas seulement… quelque chose m’a interpelé, ou plutôt piqué ma curiosité.

Perla, qui avait à peu près mon âge, se comportait d’une façon radicalement opposée de tous ceux que je connaissais de ma génération. Aucune de mes amies du lycée ne lui ressemblait. Quand sa mère lui avait demandé de l’aider tout le long du dîner, c’était avec calme et respect qu’elle s’exécutait. À aucun moment elle ne s’était insurgée, ou n’avait répondu qu’elle en avait marre, que ce n’était pas son boulot de débarrasser ou de récupérer les assiettes de chacun. Au contraire, c’est avec bonne grâce et beaucoup de grâce (désolé, dès que je vois un jeu de mots, je ne peux pas m’en empêcher, sinon je me gratte toute la journée) qu’elle s’exécutait. 

Ce repas du vendredi soir était une expérience unique en son genre pour moi, c’était la première fois que je dinais sans télé, avec une absence totale de bruit de fond constant. Seuls les chants d’Elnathan venaient accompagner les délicieuses salades que Ruth avait cuisinées. Je ressentais une certaine harmonie à passer ce moment dans cette famille que je ne connaissais pas, mais de laquelle je me sentais pourtant si proche. La chaleur qui se dégageait des plats n’était pas seulement due à la température de sa plaque de Chabbath, mais bel et bien à l’atmosphère familiale qui régnait. Chaque membre de cette table parlait, discutait, riait de tout ce qu’ils avaient vécu dans la semaine, et je me sentais vraiment bien. Est-ce que c’était trahir ma propre famille si j’appréciais la compagnie d’une autre ? Est-ce que les Levincht m’inviteront une prochaine fois, pour un autre Chabbath ? J’espère que oui… mais imaginons que non ? Et si j’essayais de proposer à mes parents de vivre avec ce nouveau rendez-vous familial. Bien qu’il soit plus prudent de garder sous silence à maman que j’avais drôlement apprécié le dîner d’une autre maman. Qu’est-ce qui m’arrive… depuis quand je m’intéresse à ce que ma mère pourrait ressentir ?

Je n’avais pas les réponses à mes interrogations, mais je comptais bien essayer de les trouver.

Au moment du dessert, quand Elnathan m’a donné un livre pour remercier D.ieu de ce merveilleux repas que nous avions dégusté, je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai pas réussi à l’ouvrir, peut-être que tout ce que je vivais était trop pour une seule soirée. Devant mon refus, le Rav n’a pas insisté, mais quand les femmes de la famille m’ont souri, j’ai tout de suite changé d’avis.

Comme quoi, tout est une question de motivation, ou de bonne volonté, et justement, cette volonté naissante, je n’avais qu’une envie, c’était d’aller la chercher…

À suivre…