Voyager peut être terriblement éprouvant. Mais se rendre en Erets Israël, en revanche, est différent. Hachem nous a donné Erets Israël en héritage éternel. Peu importe la durée de notre absence, la terre demeure aussi proche de nous qu’elle l’a été il y a des milliers d’années.

Lorsque notre ancêtre Ya’acov, après de nombreuses années d’exil, est revenu en Erets Israël, il a envoyé un message à Essav lui indiquant qu’après un certain délai, il arrivait - à savoir qu’il n’avait jamais renoncé à la propriété de la terre, mais qu’il avait été tout simplement retardé.

De même, pendant près de deux mille ans, nous avons aussi été retardés - mais tout au long de notre exil, la terre est restée gravée dans notre cœur et notre âme. Alors oui, se rendre en Erets Israël est différent, et ce que nous trouvons exaspérant dans d’autres pays ne nous affecte pas de la même manière en terre sainte.

Lorsque je prends la parole en Israël, je veille à réserver du temps pour me rendre sur les tombes de nos ancêtres. Lors d’une visite il y a plusieurs années, nous fîmes appel à un taxi et demandâmes au chauffeur de nous conduire au Kéver Ra’hel et de nous attendre pour le retour. Prendre le taxi en Israël est déjà une expérience en soi. On ne peut avoir de telles conversations avec un chauffeur qu’en Israël.

Je demande généralement au chauffeur son nom et cela donne souvent lieu à une grande discussion. Interrogé sur son nom, ce chauffeur me répondit : « Benjy ».

« Vous voulez dire Binyamin », répliquai-je.

« C’est quoi la différence entre Binyamin et Benjy ? », me demanda-t-il.

« La différence est énorme, répondis-je. Binyamin a une histoire ; Binyamin a des racines. Il représente la gloire et la splendeur - le Temple lui-même se trouvait dans le territoire de Binyamin. Mais qui est Benjy ? Un Benjy a-t-il une histoire ? »

Nous nous lançâmes alors dans toute une discussion sur la Torah et le judaïsme, au terme le laquelle il concéda que Binyamin représentait un héritage que Benjy n’a pas. En-dehors d’Israël, une telle discussion aurait-elle pu avoir lieu ?

Très rapidement, nous sommes arrivés au tombeau de Ra’hel et avons convenu d’un lieu où il nous attendrait. Il y avait environ une dizaine de femmes sur la tombe, chacune plongée dans sa propre prière, versant des larmes et implorant la compassion Divine.

Y a-t-il de meilleur endroit pour prononcer des prières ? Lorsque nous prions sur la tombe de notre mère Ra’hel, lorsque nous y versons des larmes, nous savons que Ra’hel prie avec nous. Elle ressent notre douleur, pleure avec nous et rassemble nos larmes qu’elle place devant le trône divin. Ra’hel Iménou refuse d’être consolée avant que notre salut arrive, et ce savoir nous fortifie. Je me trouvai une place juste à côté de son catafalque et commençai à prier.

Je vidai mon cœur - je me trouvai dans un autre monde -, lorsque, soudain, je fus ébranlée. Un autobus rempli de femmes Séfarades venait d’arriver. Elles avancèrent dans la petite pièce où nous priions, et, plus la foule entrait, plus j’eus l’impression d’être écrasée. Je ne pouvais plus bouger.

Comme je suis de constitution mince, il n’en faut pas beaucoup pour me renverser; j’étais là, poussée et bousculée jusqu’à ce que je fusse sur le point de tomber. Si cela m’était arrivé dans un autre pays, un autre lieu, j’aurais été hors de moi. Au minimum, je me serais exclamée : « Mesdames, regardez ce que vous faites. Vous m’écrasez ! » Et je dois avouer que mon inclination initiale fut de protester.

Mais je commençai à réfléchir où je me trouvais, et tous ces mouvements de bousculade prirent une autre dimension. Un enseignement de nos Sages me revint à l’esprit : lorsque tout le peuple juif se rassemblait depuis tout le pays et montait à Jérusalem pour les fêtes de pèlerinage, personne ne se plaignit jamais d’être à l’étroit. Nous étions là, des milliers d’années plus tard, au Kéver Ra’hel, et nous ne pouvions bouger - et, tout comme nos ancêtres, nous avons tous trouvé une place et prié comme un seul homme.

« Maman Ra’hel, murmurai-je, regarde tes enfants. Des millénaires ont passé depuis que tu es montée au Ciel, et, pendant ces milliers d’années, nous, tes enfants, avons été dispersés aux quatre coins du globe. Nous avons été torturés et opprimés. Nous avons vécu la sauvagerie barbare des nations. Nos enfants ont été arrachés de nos bras, notre sang a coulé librement dans le monde entier, et les cieux se sont assombris de la fumée des feux qui ont consumé notre peuple. Mais, malgré tout, tes enfants ne t’ont jamais oubliée. Nous avons gardé ton souvenir vivant dans notre cœur et notre âme. Nous savions exactement où tu étais enterrée, et, lorsque Hachem, dans Son infinie bonté, nous a permis de revenir sur notre terre, nous avons combattu et sacrifié nos vies pour pouvoir nous rendre sur ton lieu de sépulture pour prier, te remercier pour les larmes infinies qui attestent que tu ne nous as jamais abandonnés à notre sort.

Donc, Ra’hel Iménou, observe ces femmes venues des quatre coins de la terre, poussant et bousculant - non pas pour profiter des bonnes occasions d’un jour de solde ou pour apercevoir une star de rock, mais pour te rendre honneur et te demander de prier avec elles et d’intercéder en leur faveur devant le trône de D.ieu. »

Ce sont ces pensées qui ont traversé mon esprit alors que j’étais bousculée dans une mer de femmes. Et, comme par magie, le désagrément se transforma en inspiration, et l’exaspération en appréciation.

« Hachem, priai-je, regarde Ton peuple et souviens-Toi : malgré tout, nous ne T’avons jamais oublié ! Nous n’avons jamais oublié que Tu avais prescrit à notre ancêtre Ya’acov d’enterrer sa mère Ra’hel sur le côté de la route, pour qu’elle soit toujours accessible à nous, ses enfants. Et, à présent, des milliers d’années plus tard, nous sommes là, à notre tour. Qui ressemble à Ton peuple d’Israël ? »

Je finis ma prière et tentai de me frayer un chemin vers la sortie, mais, dès que je sortis de la foule, une femme s’approcha de moi. « Viens, me proposa-t-elle, récitons Nichmat ensemble. »

Nous avions déjà passé beaucoup de temps ici et étions très en retard sur notre programme. Le taxi qui nous avait amené et était censé nous attendre était parti depuis bien longtemps. Nous étions à Bethlé’hèm (une ville pas très sympathique), et nous nous demandions comment obtenir un autre taxi - mais nous n’avons pu résister à une invitation aussi remarquable, réciter le Nichmat en sortant du Kéver Ra’hel - « Nichmat Kol ‘Haï - l’âme de tout être vivant Te bénit et T’adresse ses louanges ».

Y a-t-il une prière plus spectaculaire et chargée de sens à réciter en quittant le tombeau de Ra’hel ?

A coup sûr, si j’avais pris du retard n’importe où ailleurs, j’aurais poliment décliné : « Je suis désolée, mais je dois me rendre à un rendez-vous. » Mais ici, j’avais tout le temps au monde, et plutôt que d’être irritée, mon cœur était empli de joie. Quel mérite de réciter le Nichmat sur le Kéver Ra’hel avec un groupe de femmes venues des quatre coins du monde, parlant différentes langues, mais toutes unies comme une seule entité : ce sont toutes des enfants de Maman Ra’hel.

Il était tard lorsqu’enfin nous trouvâmes un autre taxi, mais j’étais d’humeur à chanter. Quelle journée magnifique : prier comme un seul homme avec le peuple juif et être immergée dans la ferveur qui a maintenu notre peuple en vie au fil des siècles.