Le soleil, qui, en général, nous sourit chaque matin au réveil, lui, le boude immanquablement. Il sort des brumes vers 16h, hagard, les yeux bouffis, alors que le monde a déjà derrière lui « une journée bien remplie ». Rien ne l’attend, si ce n’est sa petite sœur qui, bientôt, va rentrer de l’école, et sa mère qui va revenir du travail à 17h, et il le sait qui évitera de passer devant sa chambre.

Il n’arrive pas à comprendre ce qui réjouit à ce point les gens dans la perspective d’une nouvelle journée. Lui, sa journée commence à 17h et finit à 5h du matin. Il ne voit, pour ainsi dire, jamais le soleil. Sa journée, elle, n’a ni début ni fin, rien ne l’attend, si ce n’est des échecs, et le regard déçu de ses parents. Il ne croit en rien et certainement plus en lui.

Cette description est celle de milliers de jeunes qui sont sortis des cadres scolaires ou yéchivatiques et errent dans les rues.

L'association Binou s'occupe de cette jeunesse à la dérive en collaboration avec la municipalité de Jérusalem.

Lorsque j'appelle le responsable, Rav Eliran Somekh, et lui dis que j'aimerais l'interviewer dans le cadre du site francophone de Torah-Box, il me bénit chaleureusement : "Vous ne pouvez pas savoir combien d'appels nous avons de familles francophones touchées par ce problème."

Mauvaise intégration des familles ? Problèmes scolaires négligés qui débouchent sur un retard et, en fin de compte, sur le ballotage de ces enfants ?

Toutes les couches socio-économiques, tous les courants, du laïc à l’orthodoxe, garçons/filles sans distinction, sont touchés. C’est très souvent la rue qui récupère ces enfants en errance, et pas besoin de détailler où elle mène…

Rav Somekh nous explique comment Binou fonctionne :

"Nous avons réuni sous un même toit toutes les étapes de repêchage de la jeunesse, et elles sont synchronisées entre elles. Tout d’abord :

1. Les premiers secours

Nous avons une équipe de 40 “Hon'khim” (tuteurs) qui arpentent les quartiers et repèrent les enfants en danger. Ils travaillent en général dans leur propre quartier, et connaissent ainsi souvent ces jeunes de la synagogue, du voisinage. Ils accostent les jeunes et commencent à leur parler. Ils ont reçu une formation et sont au fait de toute la problématique de cette jeunesse à risque. Ils deviennent comme des grands frères, des modèles, mais avec suffisamment d’ouverture pour permettre aux jeunes de se sentir en confiance et d’épancher leur cœur. Le but : recadrer ces jeunes par un accompagnement personnel, les réunir pour des activités régulières de 3 heures en soirée, leur mettre un début d’ordre, une prise. Les jeunes, à ce stade, peuvent être déjà en dehors de cadres scolaires, ou encore scolarisés, mais « tanguer ». 

2. Soins intensifs

Ces jeunes ont besoin de soins : au niveau psychologique, émotionnel et scolaire. Une équipe va diagnostiquer les problèmes et les aiguiller vers des professionnels qui vont leur fournir ces béquilles de soutien. Nous l’avons dit, très souvent, le problème du jeune, avant les mauvaises fréquentations, l’iPhone, ou le décalage avec les parents, peut être un problème d'hyperactivité, de difficultés de l’apprentissage qui l'empêche de se concentrer, et se trouver dans le cadre d’une classe et d’un enseignement frontal de longues heures est une torture. Si un jeune est encore dans un cadre scolaire ou yéchivatique, tout se fera en synchronisation avec la direction de l’établissement où il se trouve. Un travail avec les familles et les parents est effectué parallèlement, avec des cours, des ateliers qui expliqueront aux parents désemparés par quoi passent leurs adolescents et comment les aborder.

3. Tremplin vers la normalisation

Pour les jeunes qui ont déjà quitté les bancs de l’école et pour qui il ne peut plus être question d’une réintégration, Binou propose une intégration dans le milieu du travail. On triera sur le volet les dirigeants d’entreprises, de magasins qui sont intéressés à recevoir ces jeunes. Ce sont des personnes qui devront se distinguer par leur volonté de les faire réussir et capables de leur consacrer du temps et de leur rendre la confiance en eux qu’ils ont perdue. On choisira des lieux de travail respectables qui honorent leurs employés. Ils pourront parallèlement participer à des stages de formation professionnelle, et, ainsi, se projeter vers un avenir et se responsabiliser.

Le Rav Somekh poursuit : “L’adolescence est une période complexe pour le jeune lui-même, ses parents et ses éducateurs. Un enfant ne peut passer à l'âge adulte sans ce palier, il est obligatoire. Quelqu’un qui le sauterait, verrait toute sa vie d'adulte en pâtir. Il y a dans ce passage de transition des matériaux riches à exploiter et non pas à étouffer. Le mot adolescent en hébreu se dit “Na’ar”, qui bouge, en mouvance, en transformation. Quelle définition ciblée !

Le Gaon de Vilna lui-même donne son commentaire sur le verset "Éduque l’enfant selon ses voies” - ‘Hanokh Lana’ar ‘Al Pi Darko - que si tu lui imposes des choses qui ne correspondent pas à son être, enfant, il sera obéissant, mais très vite, dès que possible, le jeune se révoltera et abandonnera les chemins qu’on lui impose.

Aujourd’hui, plus que jamais, il faut parler à son âme, individuellement, le laisser poser ses questions, ne pas en avoir peur.

Dans le prochain et dernier volet, nous parlerons du département des filles, des résultats sur le terrain, de témoignages de jeunes passés par Binou et qui ont surmonté la “crise”. 

 

Pour toute personne intéressée à contacter l’association, voici leurs coordonnées :

tel : 00972 25333335

mail : [email protected]