Nous savons tous que le zèle avec lequel un homme fait une action témoigne d’un enthousiasme interne profond. Une règle moins connue affirme que la réciproque est vraie : l’homme peut éveiller le feu de son cœur en agissant avec ardeur. Celui qui ne se sent pas motivé à faire une action pourtant importante a la capacité d’éveiller son enthousiasme en se forçant à agir avec vivacité.

Le Sefer haHinoukh [16] exprime cette règle ainsi : ‘Les pensées et sentiments d’un homme sont toujours influencés par ses actions. Même un homme profondément mauvais qui se force à faire du bien finira par éveiller sa sensibilité. Et inversement, un homme profondément bon contraint de faire des gestes cruels finit par inculquer la cruauté dans son cœur’. Selon ce principe, il explique que la Torah ordonne toujours de faire des Mitsvot pour intégrer certains fondements plutôt que de les commémorer par la pensée uniquement, parce que le cœur s'imprègne plus d'un acte que de méditation.

 

Ainsi, à chaque fois que l’on se force à soutenir un pauvre par exemple, le cœur devient un peu plus miséricordieux, développe de la sensibilité à l’autre, bien plus que si on écoutait un cours portant sur l’importance de la Tsedaka. Idem pour celui qui entre un soir irrité et contrarié à la maison, et ne veut pourtant pas se montrer désagréable avec sa femme ou ses enfants. Il a la capacité de changer la polarité de son cœur en s’efforçant de leur faire plaisir, en astiquant par ex. la maison pour faire plaisir à sa femme, ou en lui préparant un petit en-cas délicat.

Cette règle est certes peu connue sous cette formule. Néanmoins, beaucoup semblent en être inconsciemment convaincus. D’où la raison pour laquelle tant de parents forcent leur enfant à se conduire selon des règles que le petit n’a initialement aucune envie de suivre. Vraisemblablement, ils pensent qu’habituer le petit à se plier à ces règles finira par éveiller en lui l’enthousiasme pour les appliquer, car ‘le cœur de l’homme est influencé par ses actions’. Pourtant, tant de jeunes ‘dressés’ ainsi rompent à la première occasion avec l’éducation contraignante des parents. Pourquoi? La règle du Sefer haHinoukh n’est-elle pas toujours vraie?

Il est évident que la règle est toujours vérifiée, le cœur ne cesse de se faire influencer de l’action. Le problème est: quel aspect de l’action l’a-t-il influencé ? En effet, chaque action même bonne dans l’absolu peut être motivée par toutes sortes d’intérêts. Prenons l’exemple d’un pauvre qui me demande une pièce. Si je la lui donne parce que je comprends qu’il faut aider mon prochain, j’ai effectivement renforcé ma sensibilité à l’autre. Mais si je la lui donne parce qu’il m’exaspère, et espère ainsi m'en débarrasser, j’ai tout simplement renforcé dans mon cœur le dédain pour les parasites qui vivent sur le compte des autres. Et si je la lui donne pour qu’un spectateur remarque ma générosité, je sortirai de ce geste bien fier et enorgueilli. Et si toutes ces raisons motivent mon geste, chacun de ces sentiments aura été renforcé proportionnellement dans mon cœur.

Idem pour le prisonnier : tant qu’il ne perçoit que l’aspect ‘privation’ de son isolation, sa captivité décuple exponentiellement son désir de croquer la vie. Une fois sorti, il doit impérativement assouvir ses désirs ardents. Certes, il arrive qu’il intègre aussi l’importance de ne plus se faire attraper ‘la main dans le sac’, mais il n’intériorisera jamais la nécessité de vivre avec moralité.