Cette semaine, mon collègue de travail m’a envoyé une vidéo, comme il aime le faire régulièrement. Je ne les ouvre pas toujours, mais cette fois-ci, le titre m’a fait frissonner, je l’ai donc ouverte à la seconde où je l’ai reçue : « Un jeune de 15 ans se suicide à cause de textos qu’il recevait de ses copains de classe. »

Je regardai la vidéo et j’avais la chair de poule, je pensais à ce que j’avais enduré durant ma jeunesse, je pensais à mes enfants, je priais en silence qu’ils n’aient jamais dans leur cercle d’amis des enfants pareils.

L’intimidation entre jeunes est une réalité inquiétante. Ce qui peut partir d’une plaisanterie de mauvais goût peut prendre des proportions affolantes dans la tête d’un adolescent en mal-être, qui peut ensuite cultiver une haine et un manque d’estime de soi exacerbé.

À mon époque, j’étais la plus religieuse de ma classe, je portais jupe et collants toute l’année, je mangeais uniquement ce que ma mère me donnait et ne participais pas à certaines sorties que mes parents jugeaient en désaccord avec notre façon de vivre. Tous ces choix faisaient de moi une proie parfaite pour les vautours de la classe. Mais ma force de caractère et l’étreinte permanente de mes parents ont fait qu’ils m’ont vite laissé tomber et ont cherché une victime plus facile à détruire.

C’est tombé sur cette pauvre Déborah. Déborah était une jeune fille tout ce qu’il y a d’adorable, mais la pauvre enfant venait d’une famille aux modestes moyens. À 15 ans, ne jamais pouvoir s’acheter un nouveau vêtement (je bénis l’école de mes enfants qui a mis en place le port de l’uniforme), ne pas ramener de cadeaux aux anniversaires, ou ne jamais pouvoir s’offrir une coupe chez le coiffeur, ça peut être très violent. Qui plus est lorsqu’on a une bande de gosses pourris gâtés qui nous rappellent à chaque occasion combien la vie est injuste. À la cantine, personne ne la laissait s’asseoir à côté d’elles. En sport, personne ne la prenait dans son équipe. À la récréation, elle se retrouvait encore et toujours seule. Elle n’était évidemment jamais invitée nulle part. Sans compter les fois incalculables où elles lui ont tiré les cheveux, où elles lui ont caché ses lunettes, où elles l’ont fait tomber à coups de croche-pattes ou autres méchancetés sans nom.

Je vous écris ces lignes et ma gorge se noue. Combien d’enfants doivent vivre ces atrocités, combien d’enfants doivent regretter leur existence, combien d’enfants doivent porter le masque de la honte à cause du fait qu’ils sont nés pauvres, avec un physique disgracieux, un retard intellectuel ou une famille « hors-norme » ?

J’ai revu un jour Déborah et j’ai eu le plaisir de discuter avec elle un long moment. Elle m’a dit à quel point ces années, ces affronts, ces humiliations l’avaient profondément affectée. « Je pensais ne pas avoir droit à l’amour, au respect, je ne croyais plus en moi, en ce que je pouvais offrir aux personnes qui me côtoyaient. Mes parents étaient bien trop occupés à gagner leur maigre subsistance pour remarquer que je m’enfonçais dans un gouffre. Et honnêtement, je ne leur en voulais pas, la vie était suffisamment dure pour eux, pour que je leur rajoute mon problème. Toutes ces méchancetés ont résonné dans mes oreilles pendant de longues années après le collège. Lorsque je me présentais à une recherche d’emploi, j’entendais « tu ne vaux rien, rentre chez toi souillon », lorsque je rencontrais des jeunes hommes, j’entendais « tu es si moche que personne ne voudra jamais de toi »… Puis, un jour, à force de pleurs et de prières, Hachem m’a envoyé un ange, mon sauveur, l’homme qui partage ma vie aujourd’hui, l’homme qui m’a appris à aimer et surtout à être aimée, l’homme qui m’a dit toute la valeur que je représentais pour lui, l’homme qui m’a tout simplement redonné vie. » Elle me parlait et les larmes coulaient sur mon visage. Une telle souffrance durant toutes ces années à cause de « plaisanteries d’enfants ».

Il n’était pas question que mes enfants soient ni victimes ni responsables d’une telle douleur.

Je pense très sincèrement qu’en tant que parents, nous avons une grande responsabilité à rendre nos enfants réceptifs ou non à l’intimidation.

  1. Soyons là pour nos enfants. Peu importe nos soucis et nos obligations, faites une pause dans votre journée le soir et observez chacun de vos enfants. Prenez le temps de parler avec eux et si vous savez que votre mode de vie peut être une source de conflits dans les cours de récréation (comme ça l’a été pour Déborah et pour moi), parlez-leur, dites-leur que c’est votre choix et votre force. Et dans le cas où ce n’est pas un choix (la pauvreté), entourez-les d’amour et aidez-les à focaliser sur les bonnes choses dont votre famille est bénie (beaucoup d’enfants, de la joie…). Sans jugement aucun, je sais aujourd’hui que ce qui a fait que nos deux histoires, à Déborah et à moi, ne se soient pas passées de la même façon, a été l’implication et le soutien de nos parents dans nos vies. Encore une fois, je ne juge pas. Mes parents avaient choisi d’être orthodoxes, donc ils ont su me convaincre des bienfaits de ce mode de vie, tandis que les parents de Déborah n’avaient pas choisi d’être pauvres. C’est plus compliqué dans ce cas de figure, je le conçois. Malgré tout, ne laissez pas votre enfant souffrir.
  2.  Apprenons à nos enfants leur valeur. Chez certains, c’est inné, chez d’autres, ça doit s’apprendre. Si votre enfant est conscient de sa valeur et de la valeur qu’il a à vos yeux, il ne laissera personne la piétiner.
  3. Apprenons l’amour et la tolérance à nos enfants. On ne doit pas respecter uniquement les personnes qui nous ressemblent. On a tellement à apprendre de la différence. Et s’ils sont trop jeunes pour tirer un enseignement, qu’ils l’acceptent et la respectent au moins.
  4. Vivez selon ces règles à la maison. L’enseignement théorique est bien beau, mais la mise en pratique marque tellement plus. Si chez vous, vous vous respectez, vous ne laissez personne vous manquer de respect, vous accueillez dans vos murs toutes sortes de personnes, vous tendez la main à plus démuni… votre enfant ne sera pas un candidat potentiel à l’intimidation, et encore moins un acteur de cette même intimidation, car il sera imprégné de valeurs solides.

Ce soir-là, j’ai récupéré mes enfants à l’avance et, alors que je les voyais courir vers moi, je priais que mes yeux voient, que mon cœur sonde et que mes lèvres rassurent et aiment.