Avez-vous déjà ressenti cette petite pointe de malaise sur les réseaux sociaux ? Cette voisine qui publie les exploits scolaires de ses enfants, ce collègue qui partage sa promotion avec un large sourire, ou encore cette amie qui poste chaque semaine ses plats faits maison et ses photos de vacances… Tout semble devenir un concours : qui réussit le mieux ? Qui a la vie la plus parfaite ? Qui paraît le plus accompli ? Et nous, spectateurs, nous finissons par nous demander : « Et moi, où est-ce que je me situe ? » Mais ce fameux « mieux que les autres » est-il vraiment un moteur sain pour mener une vie juive ?

Comparer les gens entre eux, ce n’est pas une approche juive. Chaque être humain a été créé avec une Néchama (âme), une étincelle divine et une mission unique à accomplir. Même si cela ne saute pas toujours aux yeux — on admire plus facilement un PDG charismatique qu’un technicien de surface —, en réalité les deux ont une importance égale aux yeux d’Hachem. Comme le dit le Talmud [1] : « Chaque personne est tenue de dire : le monde a été créé pour moi. » Cela signifie que chaque vie est un monde à part entière, irremplaçable.

Dire que Noa est une meilleure oratrice que Déborah, à quoi bon ? Déborah n’a pas besoin d’avoir les compétences de Noa, car sa mission est différente. Comparer Eytan, qui galère entre des CDD et passe son temps libre à écrire, à son frère Simon, qui a revendu sa boîte à 6 millions d’euros, est tout aussi absurde. Peut-être qu’Hachem attend d’Eytan qu’il transmette des idées, qu’il s’occupe de ses enfants, qu’il grandisse à un autre rythme. En vérité, comparer les gens, c’est une habitude non juive. C’est même remettre en cause, quelque part, les attributs que chacun a reçus du Créateur. Le Roi Salomon nous le fait savoir d’ailleurs dès l’enfance lorsqu’il nous enjoint d’éduquer chaque enfant selon sa voie [2].

Alors vous penserez peut-être que parfois, la compétition, c’est bien… pour motiver les gens ! Bien sûr, cette réflexion est légitime. Et dans le monde moderne — hérité de la vision grecque — c’est une évidence : il n’y a qu’à observer les applications qui fonctionnent le mieux aujourd’hui. Elles sont bourrées de récompenses, de classements, de bonus si on dépasse l’autre… Les entreprises aussi adorent afficher « l’employé du mois », les écoles se plaisent à distribuer les copies dans l’ordre décroissant — une expérience traumatisante si vous êtes parmi les moins bons, et un petit cirage de chaussures qui ne fait qu’accroître votre sentiment de supériorité si vous êtes parmi les meilleurs…

En réalité, vouloir grandir pour faire « mieux que l’autre », c’est nourrir notre ego, notre Gaava (orgueil). Et s’il y a bien une chose qu’Hachem déteste, c’est l’orgueilleux.

Il est écrit dans le Talmud [3] : « Tout homme qui est orgueilleux, dit le Saint béni soit-Il : Moi et lui ne pouvons pas demeurer ensemble dans le même monde. »

Donc la compétition, lorsqu’elle est affichée, a souvent plus de points négatifs que positifs. Et puis, les baromètres qu’on utilise ne sont pas le reflet de la réalité. On a tous connu en classe cette fille qui n’avait que des 20/20 en travaillant cinq minutes, versus sa camarade qui galérait pour décrocher un 13 alors qu’elle avait travaillé des heures… Or Hachem ne valorise pas le résultat. Il valorise l’effort. Seule la personne sait vraiment où elle en est.

C’est valable aussi dans la Torah. Qui vous dit que telle femme qui a une jupe jusqu’à terre est plus vertueuse que cette petite parisienne qui vient tout juste de troquer son jean contre une jupe à peine en dessous du genou ? Seul Hachem sait. Il connaît la mesure de no. efforts, Il connaît notre mauvais penchant. Personne ne peut savoir — ni juger — qu’une personne a mieux réussi qu’une autre. Il n’y a pas de « meilleure personne que ».

Il ne s’agit pas d’enlever le système de notation. Il est parfois nécessaire pour savoir où l'on en est, pour se remettre en question ou progresser. Mais afficher son succès, se comparer aux autres et s’attribuer tous les lauriers, ce n’est résolument pas juif.

En plus, nous ne maîtrisons même pas les résultats de nos efforts. Comme le rappelle le ‘Hovot Halévavot, l’homme agit, mais c’est Hachem qui décide de l’issue. Alors, pourquoi s’enorgueillir d’un succès dont on ne détient pas les clés ? Pourquoi se croire meilleur qu’un autre, quand en vérité chacun court une course différente, avec un point de départ, un parcours et des obstacles qui lui sont propres ? L’essentiel n’est pas de gagner contre les autres, mais de rester fidèle à sa mission…

 

[1] Sanhédrin 37a 

[2] Michlé / Proverbes 22:6

[3] Sota 5a