Isolée dans un aquarium, loin de ses petits camarades, elle flottait paisiblement. Et nous, on attendait. Quand est-ce que notre poisson guppy allait enfin accoucher ?! Nous étions alors en pleine période du ‘Omer et les enfants étaient bien plus concentrés à compter les jours qui nous séparaient de sa délivrance que de la fête de Chavou’ot !
Et soudain, le miracle a eu lieu : notre poisson a accouché… Un accouchement qui a duré presque six heures, pour mettre au monde 28 alevins ! Pleine de compassion envers ma jeune accouchée, j’aurais voulu lui dire de se reposer un peu, mais elle gérait ça comme une pro. J’avoue que j’étais un peu jalouse, quand même... Moi qui avais souffert pendant des heures, à plusieurs reprises, à côté de Madame qui les sortait tranquillement, l’un après l’autre, en deux mini-poussées !
Mais le pire… c’est qu’à peine sortis, elle les ignorait complètement ! Pas de tétée de bienvenue, ni deux secondes de peau à peau, rien ! « Allez hop, débrouillez-vous les cocos ! » Et les bébés poissons ? Déjà autonomes, traversant tout l’aquarium en deux secondes du haut de leur demi-centimètre. Et ensuite, pas de coliques, ni de poussées dentaires, ni même une petite crise d’ado à prévoir… Non mais franchement, quelle injustice !
En même temps, pondre et tourner les nageoires, c’est pas vraiment une super notion de la parentalité. OK, elle n’aura aucune galère mais aucun plaisir non plus, aucune joie. Bon, en même temps, le ratio plaisir/galère n’est pas toujours à notre avantage. C’est souvent bien plus de fatigue, de stress et de contrariétés que de moments de plénitude absolue...
En termes de business, ce serait un investissement désastreux : rendement incertain, charge mentale écrasante, retour sur effort dérisoire… Une absurdité totale ! Sans parler de l’instabilité : on peut passer d’un sourire béat devant son petit amour qui partage son jouet avec son frère… à une colère noire quand il le pousse et le fait tomber deux secondes plus tard. Aucun trader ne survivrait plus de deux jours sur ce marché.
Et nous ? On signe. Et avec le sourire en plus ! Parce qu’en réalité, les bons moments avec nos enfants ont un coefficient émotionnel inestimable. Un seul câlin sincère ou un "je t’aime maman/papa" au bon moment… et hop, la balance est non seulement équilibrée, mais renversée du bon côté. On ne se fait pas tant avoir que ça, finalement. On y gagne, et beaucoup.
Y compris dans notre développement personnel. Réaliser l’exploit de se retenir de crier quand un verre de choco se renverse “accidentellement” sur la pile de linge propre et plié. Expliquer avec pédagogie que non, on ne joue pas à saute-mouton au-dessus du transat avec le bébé dedans. Trouver la force de préparer Chabbath quand on vacille de fatigue… Il n’y a que notre rôle de parent qui nous permet d’atteindre ce niveau de maîtrise, de patience et de don de soi. Formation ultra-intensive sur des années, hyper efficace !
Mais attention : la qualité du lien avec l’enfant et notre métamorphose personnelle ne se font pas toutes seules. Il faut s’investir dans notre rôle de parent : se remettre en question, faire des efforts… Et parfois ça peut être vraiment usant ! Surtout quand les résultats semblent dérisoires face à l’énergie déployée. De quoi donner envie de tout laisser tomber et de fermer la boutique ! Mais on continue, on prend sur soi, on prie, on cherche des solutions, on tente, on désespère puis on se relève, on se renforce en Émouna (foi)…
Et des années plus tard, notre enfant devenu grand nous surprendra avec une phrase inattendue : « Tu sais, quand tu me disais qu’il fallait toujours être droit dans la vie, même quand personne ne nous regarde, c’est un truc dont je me suis toujours rappelé. » Là, on réalisera que nos efforts, notre exemple, nos mots répétés mille fois sans écho apparent, ont laissé une empreinte. On saura que quelque chose s’est transmis, que les valeurs se sont ancrées. Il suffisait juste d’être un peu patient pour voir les fruits de notre investissement.
Alors en attendant, profitons et remplissons-nous de bons moments. Renforçons notre complicité et l’amour qui nous lient. Serrons les dents quand notre ado nous rend dingue alors qu’on est en train de vider nos comptes en banque pour payer sa Bar-Mitsva ou quand tout le monde se plaint des vacances qu’on a mis des heures à organiser. Ça passera avec l’aide d’Hachem… Ce qui restera, c’est la qualité de notre relation avec nos enfants. Et ça, mon poisson ne le saura jamais !






