סָדִין עָשְׂתָה וַתִּמְכֹּר וַחֲגוֹר נָתְנָה לַכְּנַעֲנִי

Elle confectionne des tissus, qu'elle vend, et des ceintures, qu'elle cède au marchand.

La Echet ‘Hayil est très économe, elle n’aime pas le gâchis ! Au lieu de jeter les restes du tissu dont elle s’est servi pour son commerce, elle les “recycle” et les transforme en habits fins, comme des ceintures ! Ensuite, elle vend ces habits ou bien les cède à des marchands… [1] Que veut nous enseigner ici le Roi Salomon ? Parle-t-on de simples activités triviales ? Ou bien s’agit-il ici d’une idée d’une plus grande profondeur ?

La Echet ‘Hayil profite de son temps libre… pour faire du ‘Hessed !

En fait, la Echet ‘Hayil confectionne des habits mais cette fois-ci il ne s’agit pas d’en faire du commerce, ni de vêtir les membres de sa famille : elle les confectionne pour faire du ‘Hessed. Elle profite de son temps libre pour s’engager dans des activités caritatives [2]. De quelle façon précisément ? Le Rav Chimchon Raphaël Hirsch explique que ce verset se divise en deux parties : tout d’abord, elle vend des habits qu’elle confectionne elle-même, afin de reverser les profits aux pauvres. Puis, en second lieu, elle confectionne des ceintures qu’elle donne gratuitement aux modestes marchands, afin de... leur donner un travail ! [3] 

Elle saisit toutes les occasions qui se présentent à elle pour pratiquer des actes de bonté

La Echet ‘Hayil nous enseigne là que l’on peut contribuer à aider la communauté grâce à nos talents et notre expertise. Par exemple, imaginons qu’une femme est comptable, elle pourrait utiliser ses aptitudes dans ce domaine pour aider une association à faire ses bilans gratuitement ou bien moyennant un honoraire symbolique. Une autre femme, qui est architecte, peut aider à rénover la synagogue de son quartier. Ou bien encore, une femme qui cuisine pour sa famille peut mettre un plat de côté pour envoyer à manger à une femme de son quartier qui vient d’accoucher

En fait, la Echet ‘Hayil saisit toutes les occasions qui se présentent pour pratiquer des actes de bonté et elle est capable de même créer des opportunités de faire du ‘Hessed, là où on n’y aurait pas forcément penser ! Elle est très créative quand il s’agit de pouvoir aider les autres ! En effet, dans le cas du marchand, elle voit qu’il peine à gagner de l’argent, alors elle réfléchit comment elle peut l’aider de façon durable, sans qu’il se sente redevable : elle lui cède donc les restes de ses habits, qu’elle a transformés en ceinture, en lui disant “Monsieur, prenez-les je n’en ai pas besoin !”. 

Il s’agit là de la forme de ‘Hessed la plus élevée : donner à quelqu’un sans qu’il ait l’impression d’avoir reçu de la Tsédaka. En effet, selon le Rambam, le niveau le plus élevé est lorsqu’on soutient un juif qui n’a pas d’argent et qu’on lui fournit une source de Parnassa en s’associant avec lui dans une affaire par exemple, afin qu’il n’ait absolument pas recours à la Tsédaka. C’est exactement ce que fait la Echet ‘Hayil pendant son temps libre ! [4] Non seulement, elle lui donne l’occasion de gagner de l’argent dignement, mais en plus elle fait comme si cela ne lui avait rien coûter, afin qu’il ne se sente par redevable. La Echet ‘Hayil pratique donc la plus haute forme de ‘Hessed, celle de donner dignement, sans que l’autre n’ait l’impression de recevoir, et sans rien attendre en retour.

Qui est la femme qui se cache derrière ce verset ?

Selon le Midrach, derrière chaque verset se cache une femme de la Bible.

Dans ce verset, il s’agit de Tslalfonit, la mère de Chimchon.

Tslalfonit était la femme de Manoa’h et était une grande tsadékette. Un jour, alors qu’ils étaient mariés depuis plusieurs années sans parvenir à avoir un enfant, un ange s’est révélé à elle et lui dit : “Tu portes un garçon dans ton ventre et il est destiné à être nazir pour D.ieu : c’est son statut depuis sa conception. Tu devras donc t’abstenir de boire du vin ou du jus de raisin pendant toute la grossesse. Dès qu’il naîtra, aucun rasoir ne touchera la chevelure de ton fils. Ton fils aura pour tâche de délivrer les Bnei Israël des mains des Philistins [6].

Chimchon va naître et grandir, et grâce aux restrictions que sa mère aura respectées et à toute la sainteté avec laquelle elle va l’éduquer, Chimchon deviendra le dirigeant du peuple juif. Un jour, alors qu’il a été pris en captivité par les Philistins, il va, grâce à sa force légendaire faire effondrer l’endroit dans lequel il se trouvait, tuant ainsi des milliers de Philistins et mettant fin définitivement à la menace des ennemis du peuple juif. Chimchon est la seule personne dans la Torah (avec Yossef) à avoir mérité le nom de “Tsadik” [7], ce qui nous prouve sa grandeur exceptionnelle.

Quel est le lien entre le ‘Hessed pratiqué par la Echet ‘Hayil et Tslalfonit, la mère de Chimchon ? La Echet ‘Hayil, Tslalfonit, c’est celle qui fait don à la communauté même dans des actes qui n’ont pas l’air d’être strictement de la Tsédaka. Tslalfonit a élevé un enfant spécial, avec toutes les restrictions que cela comportait afin de le consacrer au peuple juif. Ainsi, à chaque fois qu’elle a fait quelque chose pour lui, comme le nourrir, le vêtir ou lui donner de l’affection, elle préparait le futur dirigeant du peuple juif, qui allait les délivrer des mains de leurs ennemis. C’était indirectement du ‘Hessed, mais c’est la plus haute forme de ‘Hessed que l’on peut faire, dans la discrétion la plus absolue… et sans rien attendre en retour !

Dans le fond, toutes les mères font la même chose avec leurs enfants, à une autre échelle. En effet, on investit dans nos enfants pour qu’une vingtaine d’années plus tard, ce soient leurs conjoints qui bénéficient des bons traits de caractère que nous avons cultivés avec tant d’efforts pendant toutes ces années. C’est la raison pour laquelle il est écrit “‘Olam ‘Hessed Yibané” [8] “Le monde sera créé par le ‘Hessed”. C’est écrit au futur parce que le monde est un relais de ‘Hessed : une mère construit un individu et ce sera la génération suivante qui bénéficiera des fruits de l’éducation dans laquelle elle aura tant peiné ! La Echet ‘Hayil c’est celle qui incarne donc la plus grande forme de ‘Hessed que l’on peut faire en toutes occasions, dans la discrétion la plus absolue… et sans rien attendre en retour !

[1] Metsoudat David sur Michlé (31,24)

[2] Malbim, ibid.

[3] Rav Chimchon Raphael Hirsch, ibid.

[4] Rambam, Michne Torah

[5] Homme dont le voeu engage à se priver de vin et à ne pas se couper les cheveux afin de limiter les possibilités de jouir de ce monde 

[6] Bamidbar Rabba Chap.10

[7] Sota 9b 

[8] Téhilim (89,3)