L’époque moderne, on l’a assez répété, se veut rationnelle, dépourvue de relation avec une Valeur qui transcende la réalité la plus immédiate. Comment croire à des phénomènes qui appartiennent au passé, et qui évoquent des évènements miraculeux ? Telle est, consciemment ou non, l’attitude de l’homme moderne. Aujourd’hui, l’essentiel est de conquérir, de posséder ; AVOIR est plus important qu’ÊTRE. Même si l’on a une certaine considération pour l’histoire de l’humanité, l’essentiel est mythique, car le peuple enjolive, transforme la réalité ; et comment se rattacher, dans cette obscurité, à une lumière qui éclairerait, peut-être, un monde mystérieux ? Telle est, à peu près, l’image de l’incroyant moderne, du 21ème siècle. Orphelin des idéologies, des religions, il se trouve placé devant un néant, angoissant et désespérant.

Et voilà qu’au-delà de cet abîme, de ce chaos, un éveil tente, de façon légère, non organisée, de se faire jour, sous une forme inhabituelle. Une percée des musulmans chez les chrétiens, protestants évangélistes, est également suivie par des Français athées. C’est ce que décrit un article du Monde, ce 27 Mai. Y aurait-il un réveil religieux ? Cela annoncerait-il une transformation de la société ? Jusqu’à présent, on parlait de Français attirés par l’islam, et il y a eu parmi les Français radicalisés de nombreux candidats au djihadisme, qui sont allés se battre au Moyen-Orient rejoindre les islamistes. Le tournant actuel annoncerait-il un changement d’orientation ? Le christianisme serait-il devenu attractif pour une époque assez déchristianisée ? Ces questions méritent réflexion, et s’intègrent davantage dans un contexte médiéval, où les conquérants islamiques affrontèrent les chrétiens jusqu’en Europe. Un temps vide d’idéologie rencontrerait-il un peuple en quête d’idéal ? Serait-il imaginable qu’un certain syncrétisme religieux (compromis synthétique) soit l’issue du chaos intellectuel actuel ? Il ne nous appartient pas de répondre à ces interrogations, car on ne saurait s’investir comme maîtres d’un avenir qui nous transcende. Cependant, il convient de réfléchir dans la direction présentée par le désert idéologique actuel, et le besoin de s’arracher à une grisaille vide et stérile. C’est alors que cette rencontre entre deux traditions religieuses – même si, aujourd’hui, elle n’est qu’ébauchée, nous paraît s’engouffrer dans un processus dont l’évolution ne peut apparaître clairement. Les données actuelles ne permettent certainement pas d’émettre un avis et pourtant l’on doit se demander si, ayant disparu à l’horizon, la Transcendance n’est pas en train d’être l’objet d’une quête, inquiète d’un avenir inaccessible. Ce n’est pas une aventure imaginaire, mais la Transcendance ne peut pas ne pas laisser de « traces » (terme employé par Emmanuel Levinas), et cette trace porte une lumière, qu’il n’est pas toujours facile de percevoir. Or ce qui apparaît aujourd’hui comme une convergence éloignée peut-être, mais nécessaire elle-même, est riche de signification. L’interpénétration de croyances en un But de l’Histoire fait partie de notre foi en un avenir messianique. Si cette conversion des musulmans au christianisme est assurément intéressante, ce n’est peut-être qu’une hirondelle pour annoncer le printemps ! L’observance de la Torah reste, pour Israël, la seule solution de survie, et les avatars de la découverte de la Transcendance par nos contemporains ne sont rien d’autre que des poteaux indicateurs sur une voie dont nous savons qu’elle mène à la Guéoula (délivrance), c’est-à-dire à la Révélation finale du Créateur. Les idolâtries du paganisme, les religions issues du judaïsme, le panthéisme spinoziste, ou le matérialisme moderne sont des fuites de la voie droite. Le Messilat Yécharim – du Ramhal, 18ème siècle, conclut son livre sur l’éthique (Messilat Yécharim, Voie des Justes) par l’aspiration à la sainteté. Sans nous laisser entraîner par des séductions éphémères, sachons continuer la Révélation du Sinaï, dans un monde plein d’embûches. C’est notre fierté et notre salut.