Dans la Paracha de ‘Houkat que l’on vient de lire, apparaît la fin du voyage du peuple d’Israël dans le désert. Ils arrivent au lieu qui s’appelle « Arvot Moav », « les plaines de Moav ». C’est ici la dernière étape avant l’entrée en terre de Canaan, dans le livre de Josué. Ce sont les circonstances de l’arrivée à cette ultime étape qui inspirent la réflexion. C’est aussi le moment du passage de l’intervention « miraculeuse » de la Providence, qui s’est manifestée pendant les 40 années du désert, à l’intervention « naturelle » qui se manifestera en Terre Sainte. C’est donc la fin du « surnaturel » qui apparaît ici, qui mérite notre attention.

Si l’on cherche à retrouver le motif central de cette Paracha, extrêmement diversifiée, il se résume en une seule idée : opposition entre le NEGATIF et le POSITIF, thème récurrent dans la Torah. Le négatif donne sa valeur au positif, qui privé d’opposition, serait neutre. L’exemple le plus concret de ce thème est l’exemple de la vache rousse. Elle rend purs les impurs, mais rend impurs les purs. Ce paradoxe – par lequel commence cette Paracha – est la source de la signification du monde matériel. L’eau lustrale, qui contient des cendres de la vache rousse, sert à purifier ceux qui ont été en contact avec des morts, et sont donc impurs. A l’inverse, ceux qui préparent cette eau deviennent impurs. Ce n’est pas l’objet matériel qui rend pur ou impur ; c’est l’intention que l’Eternel considère. Un autre exemple apparaît dans cette même Paracha avec l’épisode des serpents. Les serpents pouvaient entraîner la mort, et à l’inverse, le serpent d’airain pouvait sauver les vies humaines, si on levait les yeux vers lui (Bamidbar 21, 8). A ce sujet, le Rav Haïm de Volozhine, dans le « Néfèch Ha'haïm », fait remarquer que ce n’est pas le serpent qui faisait vivre ou mourir (comme l’explique la Guemara dans le traité Roch Ha-Chana 29a), mais « il fallait lever les yeux vers l’Eternel, c’est-à-dire se relier au pouvoir de la Transcendance, et alors le malade était guéri » (Néfèch Ha'Haïm chap. 3, par. 12, p. 148-149 de l’édition française). Ici aussi, la matière est un moyen, et non une cause. Une remarque semblable est faite à propos des mains de Moché, lors du combat avec Amalek : « Quand les mains de Moché étaient fermées (dans la Emouna, dit le texte de la Torah, Chemot 17, 13), alors Yehochoua triomphait d’Amalek ».

Au moment où le peuple d’Israël arrive aux frontières du pays de Canaan, qu’il doit conquérir, plusieurs circonstances s’ajoutent dans cette Paracha : la mort de Myriam, puis la « faute » de Moché qui utilise son bâton pour obtenir de l’eau au lieu de « parler » au rocher, la mort d’Aharon et les combats victorieux contre les deux puissants rois Si’hon, roi des Amoréens, et Og, roi de Bachan. Ces différentes circonstances inscrites ici ont un dénominateur commun : signification spirituelle symbolique, au-delà de leur « habit » matériel. Une remarque du Midrach Tan’houma nous ouvre les yeux sur le sens spirituel de ces deux dernières victoires sur Si’hon et Og. On sait que David Ha-Mélekh a confirmé les bénédictions de Moché : le dernier verset des bénédictions de Moché était : «Heureux es-tu Israël » (Devarim 33, 28) et le Roi David commence ses Tehillim par le terme de Moché : « Heureux l’homme » (Tehillim 1, 1). Moché aurait donc dû, dit le Midrach, entonner un chant, après la victoire sur Si’hon et Og – rois bien plus puissants que Pharaon et ses troupes. Mais c’est à David qu’il revenait de chanter la victoire sur Si’hon et Og : « Il a fait périr des grands rois, car Sa bienveillance est éternelle, Si’hon, roi des Amoréens… Og, roi de Bachan, car Sa bienveillance est éternelle » (Tehillim 136, 18-21). C’est peut-être cette remarque du Midrach – expression de la reconnaissance formulée par David, à la place de Moché, qui nous permet de comprendre ce passage d’une époque, l’époque du désert, à l’entrée dans la Terre Promise, ce passage du « surnaturel » au « naturel ».

Les points communs évoqués plus haut expriment aussi pour nous, aujourd’hui, dans la situation difficile que nous vivons, une signification profonde. Sachons voir au-delà des événements concrets, sachons retrouver un sens spirituel. Il n’est pas facile, en quelque endroit que l’on soit, d’affronter des conditions de vie particulières : confinement, masques obligatoires, menace de chômage, examens médicaux constants… Il faut apprendre, dans chaque situation, à lire et à reconnaître le Créateur. C’est le but de notre existence : la proximité avec le Créateur. En hébreu, le terme exprimant une faiblesse, un relâchement, s’écrit : Raf (Rifion – faiblesse) ; si on ajoute un Alef à ce terme, on arrive au terme Réfa (guérir). Ajoutons ce א', symbole de l’unité du Créateur, et n’oublions jamais ce qui est écrit : « Ki Ani Hachem Rofékha, Car c’est Moi l’Eternel qui te guérit » (Chemot 13, 26).