Votre vie a-t-elle changé depuis la pandémie du Covid-19 ? 

Distanciation sociale, masque au visage et gel hydroalcoolique. Les rendez-vous familiaux tendent à s'espacer, le Kiddouch du Chabbath matin à la synagogue n'a plus lieu, les concerts d'Avraham Fried et de Yaakov Shwekey ont été reportés pour des durées indéterminées. Avant, on cherchait à se rencontrer, aujourd'hui, on essaie plutôt de s'éviter.

A l’heure où ces lignes sont rédigées, ce sont déjà plus de 500 000 personnes qui sont décédées du Coronavirus, sans compter les victimes que certains pays, comme probablement la Chine ou l’Iran, n’ont pas communiquées. La catastrophe est d’ordre planétaire et les mesures sanitaires sont on ne peut plus nécessaires.

Cependant, une question subsiste dans les esprits. Une question dont la réponse n’est pas toujours claire… Avant de la poser, introduisons-là :

La Torah nous dit que D.ieu gère et maîtrise absolument tout dans la vie de l’Homme, de sa position sociale, sa vie maritale en passant par sa santé ainsi que le jour de son trépas. " L’Éternel seul est D.ieu, dans le Ciel en haut comme ici-bas sur la Terre, qu'il n'en est point d'autre ! " (Deutéronome 4, 39). Le Ramban sur le livre Chémot (Exode 13, 15) le dit clairement d’ailleurs : « Tout est décrété du Ciel ! » et le ‘Hazon Ich d’étayer la notion dans son ouvrage Emouna Oubita’hon (chapitre 2) « La foi en D.ieu c’est de savoir qu’il n’y a aucun hasard dans le monde, et tout ce qui se trame dans le monde ici-bas est un décret divin ». Pour se rendre compte quelque peu de l’étendue de la conduite divine, Rabbénou Bé’hayé sur le livre Dévarim (Deutéronome 22, 8) explique : « Le Saint, béni soit-Il, a fait savoir à l’âme avant sa venue dans ce monde-ci, toutes les péripéties et les épreuves qu’elle allait subir ainsi que le jour de sa mort et la manière dont elle allait mourir… ». C’est le béaba du judaïsme, son fondement.

Et c’est justement ça qu’il faut faire coïncider avec notre situation actuelle. D’où la question.

D’après les paroles de la Torah, D.ieu décide intégralement du sort de l’Homme : alors pourquoi prendre toutes ces précautions ? S’il a été décrété qu’un individu sera contaminé par le Covid, il aura beau mettre un masque de fer hermétique, il se fera contaminer ! Et à l’inverse, s’il n’a pas été décrété qu’il sera contaminé, même sans masque, ni distanciation, au milieu d’un centre de malades infectés, il ne devrait rien lui arriver !

En deux mots, la question est la suivante : puisque D.ieu gère tout, l’homme n’a nullement besoin de se protéger, tout ce qu’il est censé lui arriver lui arrivera, non ?

L’explication délicate du Talmud

Pour tâcher de comprendre, ouvrons le Talmud, notre guide. Mais loin d’arranger les problèmes, la Guémara les corse…

Le Talmud, au traité Baba Batra (page 144) et Kétoubot (page 30) donnent l’enseignement suivant : « Tout est décrété par le Ciel, sauf les coups de froid » et le Ritva de préciser : « Il ne s’agit pas uniquement des coups de froids, mais de toutes les catastrophes naturelles dont un homme peut se protéger comme par exemple de consommer quelque chose de nocif etc. » (Baba Batra page 144) 

Tossefot va même plus loin en disant qu’un homme a même la possibilité de se suicider (à D.ieu ne plaise) sans que la chose ne soit décrétée du Ciel (Kétoubot page 30 et Baba Batra page 144).

Le Talmud accentue donc le problème ! Comment la nature peut-elle avoir un quelconque impact sur l’homme, si D.ieu ne l’a pas décrété ? Et comment concilier ça avec ce que nous avons cité plus haut, à savoir que c’est D.ieu qui gère tout ?

La « Nature » envoyée de D.ieu 

Ce genre de questions qui touche aux fondamentaux du judaïsme doit se traiter avec le plus grand sérieux pour ne pas commettre d’erreur d’interprétation. 

Établissons de bonnes bases. 

Les Sages nous révèlent que lorsque D.ieu créa le monde, Il décida de doter l’homme du libre arbitre afin qu’il jouisse pleinement de la rétribution de ses actes. (Ramh’al « le Chemin des Justes », Khouzari etc.). Pour ce faire, D.ieu réalisa le plus grand des miracles de l’Histoire : Il se dissimula derrière cette apparence que l’on nomme la « Nature ». Les Kabbalistes nous dévoilent que le Nom divin « Elokim » (sans Vav) et « Hatéva » (la Nature), ont la même valeur numérique, soit 86. Le message est clair : D.ieu se dissimule derrière les lois de la Nature. Mais au-delà d’être camouflé par la Nature, D.ieu nous ordonne également de la respecter, voir de s’en méfier comme il est marqué dans Deutéronome (4, 15) « Prenez donc bien garde à vous-mêmes ! »

Le Sefer Ha’hinoukh (Commandement 546) explique à ce sujet : « L’homme doit se garder des catastrophes de ce monde, car D.ieu a créé Son monde sur des lois de la Nature, et a décrété que le feu brûle, l’eau l’éteint, et la Nature est ainsi faite. Lorsqu’une grande pierre lancée heurte la tête d’un homme, elle le blesse. Ou lorsqu’un homme tombe d’un toit haut, il meurt à terre… et après que D.ieu ait soumis le corps de l’homme à la Nature, car telle en fut Sa volonté, Il ordonna l’homme de se protéger des catastrophes naturelles ».

Et les commentateurs de la Torah abondent dans le même sens, comme le Chomer Emounim (chapitre 22, page 134) : « Lorsque les Sages ont affirmé que les catastrophes naturelles ne sont pas décrétées par le Ciel, cela ne veut pas dire - à D.ieu ne plaise - que cela est dû au hasard. Te viendrait-il à l’esprit qu’une seule chose dans le monde ne soit pas décrétée par la Providence divine ? Mais sache que le Saint, béni soit-Il, a conçu le monde de sorte qu’il se conduise d’une manière naturelle. Ainsi, D.ieu a doté le froid de la faculté de nuire à celui qui ne s’en garderait pas. Et si l’homme s’entête et espère un miracle qui irait à l’encontre de la Nature, s’ouvre sur lui une accusation dans le Ciel ».

Mettons un peu d’ordre dans nos idées. 

Des sources que nous avons citées plus haut, il ressort que nous avons l’obligation de nous protéger des aléas de la Nature, tels que les coups de froid, les microbes et les virus en tous genres. Si une personne en venait à braver les lois de la Nature, elle s’auto-punirait, parfois même d’une peine qui ne lui été pas décrétée au préalable. Certaines souffrances dues au manque de précautions ne viennent pas expier les péchés d’une personne ni répondre aux épreuves que son âme doit surmonter pour se grandir et atteindre le niveau de perfection qui lui est propre. Ces maux sont gratuits, et vains… 

C’est vrai qu’il y a de grands hommes, extrêmement pieux, qui ne sont pas soumis aux lois de la Nature comme le Talmud le rapporte concernant des personnes comme Rabbi ‘Hanina Ben Dossa ou Rabbi Pin’has Ben Yaïr par exemple, mais ceux-là sont des cas d’exception et leur maîtrise sur la Nature n’a d’égal que leur haut niveau spirituel. Nous parlons ici du commun des mortels.

La surprotection, un manque de foi ? 

Nous savons aussi que l’excès de zèle est mal vu chez les Sages. Il est d’ailleurs reproché à Yossef (à son niveau bien entendu), d’avoir cherché du soutien du maître échanson du Pharaon. Le Midrach (Béréchit Rabba 9, 3) explique ce verset “ et ne te tourne pas vers les orgueilleux et les amis du mensonge “ (Psaumes 40, 5) en l’associant à l’attitude de Yossef lorsqu’il a demandé à l'échanson : « Parle de moi à Pharaon et fais-moi sortir de cette demeure » (Genèse 40, 14)

Est-ce que, nous aussi, avec nos masques et nos gels hydroalcooliques faisons de l’excès de zèle ?

Le Talmud donne la mesure : « Là où le danger est réel, il faut (le) prévenir » (Traité Pessa’him, page 8)

Un autre de nos grands maîtres, le Messilat Yécharim, dans son chapitre sur le zèle, explique : « Il y a confiance et insouciance. Le Maître du monde a doté l’homme d’une intelligence sincère et d’un raisonnement droit pour qu’il se dirige vers le bon chemin, qu’il se garde des fléaux créés seulement pour punir les impies. Cependant, si quelqu’un refuse de suivre le chemin de la sagesse et s’expose aux dangers, il ne fait pas preuve de confiance, mais de folie. Cette crainte fondée sur la sagesse et la raison est le comportement honorable, à propos duquel il est dit : “L’homme avisé aperçoit le danger et se met à l’abri, les sots passent outre et en pâtissent (Proverbes 22, 3) ».

Nous voyons donc qu’il y a des situations où, lorsque le danger est bien réel, comme dans notre cas de pandémie, il nous incombe de nous protéger du mieux que nous pouvons. Et il est important de souligner qu’une fois qu’un homme a bien rempli son devoir d'autoprotection comme il le fallait, il n’est plus responsable des fléaux qui malgré tout l’atteindraient. Si malgré tout, la personne est touchée par les maladies dont elle se protégeait, elle doit savoir que cela lui vient directement d’Hachem pour son bien. Comme le disait Rabbi Akiva à ses élèves : « Tout ce que fait l’Eternel est pour le bien… » (Traité Berakhot, page 60).