Alors que l’on a lu, dans la Paracha hebdomadaire, la règle de la « vache rousse », il n’est pas sans intérêt de tenter de comprendre ce paradoxe : celui qui brûlait la vache, puis préparait cette “eau lustrale”, destinée à purifier, celui-là devenait impur tandis que quelqu’un qui était impur, pour avoir été en contact avec un mort, devenait pur grâce à cette eau lustrale. « Rendre pur l’impur et rendre impur le pur ». N’est-ce pas cela le paradoxe, dont même le Roi Salomon, le plus sage des hommes, disait : “J’ai voulu approfondir la Sagesse, mais elle est restée éloignée de moi » (Kohéleth 7, 23). Les Sages appliquent cela à la sagesse de la loi de la Vache Rousse (Cf. Rachi ad hoc 7, 27). Cette difficulté « pour celui qui veut comprendre” peut s’expliquer rationnellement, comme l’injection d’un vaccin qui provient d’une maladie, mais dont l’inoculation protège de la maladie. Cela est assurément le secret de ce paradoxe, mais cela n’explique pas comment le même produit peut avoir une signification spirituelle (pureté) et son contraire (impureté). Utile, nécessaire d’une part, dangereux d’autre part.

Notre époque semble illustrer clairement ce paradoxe. L’existence d’une menace de guerre nucléaire a assuré la paix mondiale depuis 75 ans. Sans cette menace, la guerre froide entre deux superpuissances serait devenue une guerre chaude ! Avant la Seconde Guerre Mondiale, Hitler a chassé de son pays les savants juifs qui s’installèrent aux Etats-Unis et furent les auteurs de la bombe atomique, bombe qui, jetée en 1945 sur deux villes du Japon, a mis fin à la guerre. Seule, la crainte d’un affrontement nucléaire a évité la dégradation des conflits entre les deux Corée en une déflagration mondiale. Hier, ce ne fut pas une guerre nucléaire, mais une maladie inattendue qui a bouleversé l’univers et a causé plusieurs millions de morts. Sommes-nous conscients que Quelqu’un dirige le monde, et nous adresse des messages ? Le nier, c’est fermer les yeux, accepter l’absurde, et croire donc qu’il n’y a pas de direction dans l’Histoire. Notre époque, plus que jamais, nous invite à la réflexion. La loi de la « vache rousse » apparemment illogique mérite d’être méditée, car comment comprendre que l’impureté s’évapore grâce à un acte qui rend impur le pur ? Si l’on lit l’Histoire sans perspective globale, on peut se demander comment l’humanité perd toute rationalité. Les dictatures qui prétendaient dominer le monde – le fascisme, le communisme, et aujourd’hui le djihadisme – sont toutes des tentations vouées à l’échec, mais qui, aux yeux de l’univers, apparaissent stables… un temps et disparaissent. L’empire romain, la domination turque sur l’Europe, l’impérialisme anglais, et bien d’autres régimes, se sont voulus éternels, mais la « vache rousse » nous enseigne de dépasser ce que nous voyons, et même ce que nous comprenons. La Chine d’aujourd’hui se veut dominatrice, mais elle doit se heurter aux Etats-Unis, eux-mêmes déstabilisés par leurs problèmes racistes intérieurs !

Imaginons un instant – ce qu’à D.ieu ne plaise ! – une arme nucléaire entre les mains d’un déséquilibré, et cela donne le vertige ! Il faut le répéter, et s’en convaincre : le monde n’est pas une barque à la dérive, un « bateau ivre ». Non, un Souverain guide, protège, surveille le monde qu’Il a créé. La loi de la « vache rousse », selon les sages, vient effacer la faute du veau d’or, selon l’image rapportée par Rachi : « La servante du Roi doit venir nettoyer les lieux salis par son fils ». La vache (mère), ainsi, fait expier la faute du veau (fils). Cette image reprise par plusieurs commentaires rabbiniques traduit une idée fondamentale sur l’ordre de la création : il y a orientation. La législation n’est ni aveugle ni arbitraire. Nahmanide, le Rav Hirsch, les cabalistes, expliquent, chacun selon son approche du texte, les paradoxes des lois de la vache rousse, mais en les intégrant dans la vérité de la Torah. Il nous semble, aujourd’hui, alors que la science fait de tels progrès, qu’il ne faille pas occulter des ordonnances que nous ne comprenons pas toujours au premier abord. Citons ici le Rav Elie Munk qui rapporte ainsi l’opinion du Rav Samson Raphaël Hirsch : « (Si) les raisons originelles nous échappent, cela n’a rien d’extraordinaire du fait que la conception juive de la pureté et de l’impureté relève intégralement d’un domaine spirituel qui touche à la métaphysique, et qui est donc difficilement accessible au raisonnement humain » (Kol HaTorah, p. 189, Bamidbar, sur ‘Houkat 19, 1). La structure nucléaire de la matière se situe, certes, dans un autre registre, mais ce qui nous touche personnellement, c’est le lien entre l’Infini et le fini, entre le Créateur et la créature. Assurément, l’énergie nucléaire, utilisée à bon escient, est un facteur positif. Cela symbolise bien l’ambiguïté de la matière, dépendant de l’usage de l’homme, et nous retrouvons ici l’ambivalence de la Création. Les règles de la Torah, on le sait, peuvent être divisées en trois groupes : les « Michpatim » (lois rationnelles, nécessaires pour le maintien de la société), les « Edouyot » (qui viennent nous rappeler des événements inscrits dans l’Histoire), et les « ’Houkim » (« gravées » – « ‘Hok » veut dire « gravé », qui sont inscrites dans le projet divin comme la loi de la vache rousse). Il ne nous appartient pas de choisir ce qui correspond à notre goût, car la Torah est une. Chaque époque a ses défis, et le défi actuel est, plus que jamais, d’ignorer le Créateur. Certes, le Créateur n’ignore pas la création. On l’a déjà remarqué – et c’est la conclusion que le créé peut apporter sur sa vision du monde, à l’aide de la Torah : de même que la fission de l’atome, c’est-à-dire de l’élément le plus petit qui soit, libère une intense énergie, de même la cendre de la vache rousse – ou toute autre Mitsva provenant de l’une des trois catégories décrites précédemment – dégage une intense énergie spirituelle. C’est là la force intérieure de l’observance, de l’utilisation adéquate de la Création : c’est-à-dire de reconnaître, par notre conduite, l’omniprésence du Tout-Puissant. Ici se rejoignent l’explication rationnelle (éviter une guerre nucléaire) et la dimension spirituelle de l’univers (sens de la Mitsva, quelle qu’elle soit), et c’est le plus grand hommage à l’Eternel !