Pendant les évènements de la Révolution des étudiants en 1968, on a rapporté une phrase du Rav Rottenberg, le Rouv de Paris (rue Pavée), très significative : « Les gens, le public, (il pensait spécialement, lui, au public juif, mais c’est applicable à chaque être humain) sont toujours à la recherche d’une réalité qui les dépasse, et leur donne un repère. Quand ils ne trouvent pas de repère vers le haut, ils cherchent vers le bas, dans les détritus ». On se rappelle l’idolâtrie des Midyanites qui ont entraîné les enfants d’Israël à la débauche. Toutes sortes de cultes immoraux ont accompagné les idolâtres dans l’Antiquité.

Aujourd’hui, comme on l’a écrit, les religions perdent leur attrait ; le marxisme qui incluait un certain idéalisme a disparu de l’horizon, et pourtant l’humanité a besoin d’une référence. C’est alors qu’apparaît ce que l’on a appelé « le matin des magiciens ». Ce fut une fois la revue « Planète » qui tendait à fédérer toutes sortes de croyances irrationnelles. L’essor actuel de l’ésotérisme continue cette lignée inquiétante. Ici se situe le phénomène actuel du développement de ces éléments totalement irrationnels et pseudo-mystiques. Selon les statistiques, les sondages prétendent aujourd’hui que les jeunes – jusqu’à 30 ans – sont de plus en plus attirés par des croyances irrationnelles. C’est cet essor de l’ésotérisme, à notre époque, qui doit susciter une inquiétude croissante. La secte remplace la religion, le gourou remplace le prêtre ! On ne va plus à l’église ni à la synagogue, et l’on se réfugie dans l’irrationnel. Sans aller jusqu’à la catastrophe, cependant, cette situation mérite une réflexion approfondie. En Israël, par exemple, des jeunes qui, de plus en plus, partent en Inde, ne voudraient, en aucun cas, observer la Torah. Là-bas, en Orient, ils espèrent retrouver le mysticisme qui les attire, les séduit. En France, de plus en plus de jeunes – et moins jeunes – sont les objets d’une fascination qui s’inscrit dans tous les domaines : privé, social, artistique. On croit dans des oracles, dans toutes sortes de nouvelles spiritualités. Un monde parallèle – qui se veut étranger au rationnel et au scientifique – se crée de plus en plus dans la société moderne. On croit en l’occultisme, aux envoûtements, on se laisse entraîner par toutes sortes de pratiques et de croyances irrationnelles. Cela est devenu, en France, mais dans d’autres pays aussi, un défi pour la raison, et peut présenter un fait de civilisation : l’occultisme remplace la science ; le rationalisme est en recul, sous toutes sortes de formes ; l’ésotérisme séduit. Où situer notre foi en la vérité de la Torah dans ce fouillis pseudo-mystique ? Ce phénomène traduit assurément un recul du religieux, en particulier dans le christianisme, qui détenait une sorte d’exclusivité religieuse. Sans entrer dans une polémique inutile, l’islam, lui, a sa part dans le développement de ces pratiques irrationnelles toujours teintées d’un certain mysticisme. La raison essentielle est le refus d’une religion institutionnelle. 

Dans « Les Thibault », Roger Martin du Gard élucide clairement ce problème, cette nécessité d’une certaine foi pour agir : « Le vieux professeur Philip explique : ‘Toute mystique est légitime et peut-être nécessaire. L’humanité progresserait-elle sans mystique ? … À la base de toutes les grandes modifications sociales, il a toujours fallu quelque aspiration religieuse vers l’absurde. L’intelligence ne mène qu’à l’inaction. C’est la foi qui donne à l’homme l’élan qu’il faut pour agir et l’entêtement qu’il faut pour réussir » (Les Thibault, Tome IV, p. 329). Les sectes expriment assurément cette foi détournée ! Cette foi ésotérique serait-elle ce repère nécessaire, quelque irrationnel qu’il soit ?

La Torah – selon nous – échappe totalement à cette présentation de la religion, et ne s’identifie en rien à cet ersatz de foi !

Ni mysticisme aveugle, ni option irrationnelle, ni religion institutionnelle, la Torah doit être une référence NORMALE pour plusieurs raisons : elle transcende le temps, elle est fondée historiquement, elle est enrichie par une observance stricte mais précise, et surtout elle donne une DIRECTION à l’Histoire. Les sectes sont un substitut à la religion. La religion juive, elle, est une Révélation de la Transcendance. Elle se situe donc dans un devenir historique, concret, qui n’est pas une institution officielle ou politique, mais qui a concerné l’humanité entière, puisqu’elle est à la source des autres religions. Les diverses sectes « imitent » et, par là, profanent la Transcendance. On croit à de faux miracles, parce qu’il y a eu de vrais miracles (Sortie d’Égypte, par exemple) que la pérennité d’Israël confirme. L’irrationnel inventé par les hommes, les actes de sorcellerie, de divination sont étrangers à la tradition de la Torah qui les dénonce, mais, aujourd’hui, toutes ces pratiques témoignent d’une recherche, mais aussi, donc, d’un égarement de notre époque. La Torah peut et doit aider le contemporain à s’arracher à des « niaiseries idolâtriques » (expression utilisée dans le livre « Le Verbe et la Lumière » du Rav Sadin, p. 384) qui défigurent aujourd’hui la transcendance. L’humanité éprouve le besoin de se rattacher à des repères qui, au lieu de conduire l’homme sur des voies sans issue, doivent redonner un espoir. « Les catégories d’unité, de transcendance, d’espoir messianique sont coextensives à l’essence humaine » (cité ibid.) et doivent guider notre époque, au-delà de toutes les fantaisies actuelles. Alors, le but ultime de la Révélation, transmis au Sinaï comme message de vérité, se concrétisera par la Rédemption, facteur de salut pour l’humanité entière.