« Ils voyagèrent de Kadesh, ils campèrent à Hor-Hahar, à l’extrémité du pays d’Édom. » (Bamidbar 33,37)

« Du fait qu’ils s’associèrent à cet homme mauvais [le roi d’Édom] pour passer par son territoire, ils perdirent cet homme pieux [Aharon]. C’est pourquoi le chapitre évoquant la mort d’Aharon est placé juste après celui concernant [le dialogue avec] le roi d’Édom. » (Midrach Bamidbar Raba 17:16.)

La Paracha de cette semaine revient sur les différents périples du peuple juif et dans le verset précité, elle fait allusion à deux incidents qui survinrent dans la Paracha de ‘Houkat. Tout d’abord, Moché demanda au roi d’Édom la permission de laisser passer le peuple juif par son pays pour raccourcir leur voyage de manière significative. Le roi refusa. Immédiatement après, on nous fait part de la mort d’Aharon. Le Midrach lie les deux événements qui semblent, à priori, sans rapport : le décès d’Aharon servit de sanction pour avoir tenté d’établir une quelconque relation, quoique ténue, avec Édom, en voulant traverser son pays[1].

Rav Aharon Kotler[2] souligne la gravité de tout lien avec les « Réchaïm ». Dans ce cas, Moché Rabbénou avait une très bonne raison de vouloir passer par Édom. Qui plus est, sa requête fut rejetée et les Juifs ne traversèrent même pas cette terre. Néanmoins, le Midrach affirme que le peuple fut puni et perdit le vertueux Aharon. D’où la gravité de s’associer aux gens mauvais, même quand cela semble justifié.

Cette idée est exprimée dans les Pirké Avot : « Ne te lie pas au Racha », recommande Nitaï Haarbéli[3]. Deux dangers semblent résulter d’une telle relation : le mécréant risque d’inciter la personne à mal agir, d’avoir une influence directe. Et même si le Racha n’influence pas activement l’individu, l’environnement spirituel hostile risque d’avoir un effet négatif sur lui.

Cependant, le Sfat Émet[4] souligne une apparente contradiction entre l’idée exprimée dans cette Michna et dans le Midrach susmentionné, et une autre Michna dans Avot. Celle-ci nous enjoint d’émuler Aharon Hacohen qui « aimait la paix, poursuivait la paix, aimait les gens et les rapprochait de la Torah »[5]. Ce qui implique donc qu’Aharon avait un lien avec des personnes qui avaient commis certaines erreurs, puisqu’il les rapprochait de la Torah. Il est évident que pour rapprocher quelqu’un de la Torah, il faut passer du temps avec lui, se lier à lui. Comment Aharon put-il faire ceci et comment la Michna peut-elle nous demander d'imiter cette pratique, qui implique forcément un certain lien avec des gens éloignés de la Torah. La même contradiction peut être relevée quant à la réaction d’Hachem face à la volonté de Moché de « s’associer » à Édom qui contraste à celle concernant l’approche d’Aharon avec les fauteurs.

Le Tiféret Yéhochoua[6] répond en distinguant différents types de personnes qui ne respectent pas la Torah. Certains agissent effrontément et font tout pour influencer les autres à abandonner la Torah. D’autres ne sont pas impudents et n’essaient pas d’avoir un impact direct sur leur entourage. La Michna nous demande de ne pas nous lier à la première catégorie de fauteurs, qui tentent activement d’éloigner les gens de la Torah. Ce genre de personnes doit être évité, il ne faut même pas essayer de les rapprocher de la Torah, à cause du risque qu’ils affaiblissent notre observance. Par contre, il est permis de se lier avec la deuxième catégorie énoncée, afin de les rapprocher, parce qu’ils n’essaient pas activement de nous pousser à la faute.

Cette réponse est très pertinente pour la première raison mentionnée qui ne s’applique qu’à ceux qui inciteront effrontément les autres à fauter. Mais la deuxième raison rapportée – à savoir que l’environnement négatif risque d’avoir un effet néfaste sur la personne – s’applique également aux fauteurs « ordinaires » qui ne souhaitent pas voir les autres mal agir. Le Rambam affirme d’ailleurs que l’entourage d’une personne influe inévitablement sur elle[7]. Il parle longuement, et de manière très stricte de la nécessité de quitter un endroit où l’influence extérieure est mauvaise, ce qui semble s’appliquer également aux fauteurs qui ne cherchent pas activement à faire trébucher autrui.

Il faut comprendre qu’il existe deux manières de se lier au fauteur. On peut aller vers lui, dans son environnement et développer un lien dans les endroits qui lui sont familiers. Et on peut l’emmener vers nous, vers notre environnement et y créer le lien. En général, dans le premier cas, les risques que le Juif pratiquant se fasse influencer négativement par l’environnement laïque sont plus grands tandis que dans le second, c’est l’inverse qui est plus probable[8]. Par exemple, si un Juif pratiquant se rend à un mariage de gens qui ne le sont pas, il lui sera très difficile d’exercer une influence positive sur quiconque, puisque toute l’ambiance est contraire aux valeurs de la Torah et à la Halakha. En revanche, si l’on invite un Juif non religieux à passer un Chabbat en notre compagnie, les chances de l’influencer positivement seront bien plus importantes.[9]

On peut à présent expliquer que lorsque la Michna recommande de ne pas se lier aux fauteurs, elle fait référence à celui qui se rend chez le fauteur et non à celui qui cherche à développer un lien dans un environnement convenable. Ainsi, si le peuple juif avait traversé le pays d’Édom, il se serait retrouvé dans un milieu négatif qui aurait été très risqué pour lui. Par contre, Aharon ne se plaçait pas dans des situations spirituellement compromettantes, dans le but de faire du Kirouv. Et la Michna nous enjoint de suivre ses traces, c’est-à-dire de développer un lien de façon à ce que le « fauteur » soit influencé positivement et non l’inverse.

Puissions-nous mériter d’émuler l’approche d’Aharon envers les Juifs non pratiquants, tout en gardant à l’esprit l’enseignement de la Paracha et la Michna de Avot concernant le risque d’être spirituellement affecté par le lien créé avec les fauteurs.

[1] Aharon Hacohen avait déjà été puni pour le rôle qu’il tint dans les Mé Mériva – il allait mourir avant que le peuple juif n’entre en Terre Sainte, mais il semble qu’il décéda encore précocement à cause de la volonté de passer par le pays d’Édom.

[2] Michnat Reb Aharon, rapporté dans Michoul’han Gavoa, Bamidbar, p. 262.

[3] Pirké Avot 1:7.

[4] Rapporté dans Hamaor Chébaavot, p.57

[5] Pirké Avot 1:12.

[6] Écrit par Rav Yaacov Yéhochoua Belkrovits, rapporté dans Hamaor Chébaavot, p. 57.

[7] Rambam, Hilkhot Déot, chap. 6, Halakha 1.

[8] Parfois, on est invité à ce genre de mariage et notre absence risque de créer une discorde – il faut consulter un Rav expérimenté dans ce domaine.

[9] Inutile de préciser qu’un hôte doit se faire guider concernant la tenue vestimentaire de rigueur ou autres facteurs pertinents. Là aussi, il faut demander à un Rav comment s’y prendre.

[7] Rachi, Bamidbar, 16:7, dh: Rav Lakhem.

[8] Rachi, Bamidbar 16:1, dh : Datan Vaaviram.

[9] Entendu de Rav Issakhar Frand.