« Ce fut lorsque les chameaux eurent fini de boire, l’homme prit une boucle en or, du poids d’un béka, et deux bracelets pour ses bras, du poids de dix sicles d’or. Et il dit : "De qui es-tu fille ?"… » (Beréchit, 24:22-23)

« Je l’ai questionnée et j’ai dit : "De qui es-tu fille ?" Elle répondit : "Fille de Betouel, fils de Na’hor, que Milka lui a enfanté." J’ai alors placé la boucle à son nez et les bracelets à ses bras.» (Beréchit, 24:47)

Rachi explique sur les mots « Je l’ai questionnée et j’ai placé » : Il changea l’ordre chronologique, puisqu’il a d’abord donné [les bijoux] et [seulement] ensuite, il lui a demandé [qui étaient ses parents] ! Il agit ainsi afin qu’ils ne reviennent pas sur ses paroles et disent : « Comment as-tu pu lui donner [les bijoux] alors que tu ne savais pas encore qui elle était ?! »

Quand Eliezer vit l’admirable bonté de Rivka, il comprit qu’Hachem lui avait indiqué le zivoug (conjointe destinée) d’Its’hak et il agit selon cette certitude, en lui donnant les cadeaux, avant même de connaître son identité. Or, quand il rapporta ces faits à Betouel et à Lavan, il modifia le déroulement des événements, pour faire croire qu’il vérifia d’abord qui elle était avant de lui offrir les cadeaux. Rachi explique qu’Eliezer fit ceci parce que Betouel et Lavan ne pouvaient pas comprendre que l’on puisse avoir une telle confiance en D., et s’y fier aveuglément au point de donner des cadeaux avant de la vérifier.

Le commentaire de Rachi sur la crainte d’Eliezer soulève une question. Il ne fait aucun doute que Betouel et Lavan croyaient en D. et même en la Providence Divine, comme le montre leur réaction à la suite du récit d’Eliezer. « La chose émane d’Hachem... » [1] Ils ont aussi reconnu clairement la grandeur d’Eliezer et sa proximité avec Hachem. Alors pourquoi Eliezer eut-il si peur de leur scepticisme quant à sa foi en Hachem lorsqu’il donna les cadeaux à Rivka avant de vérifier son identité ?

On peut répondre à cette question grâce à un principe énoncé dans le séfer Nétivot Chalom. Il existe deux niveaux de bita’hon (foi en D.). Il y a le bita’hon passif et le bita’hon actif. Quand on se trouve dans une situation difficile, mais que l’on ne peut rien changer aux événements, notre avoda consiste à croire que tout ce qui advient est pour le bien ; c’est un bita’hon passif. Le bita’hon actif devient nécessaire quand il nous faut faire quelque chose qui montre notre foi en Hachem.

Prenons l’exemple de l’ouverture de la Mer des Joncs ; Moché Rabbénou et le peuple juif imploraient Hachem de les sauver de l’armée de Pharaon qui les rattrapait dangereusement. Hachem leur répondit d’arrêter de prier et d’entrer dans l’eau. Le séfer Nétivot Chalom précise que pour mériter un miracle de la part d’Hachem, les Bné Israël devaient être convaincus que si Hachem voulait qu’ils traversent la mer, Il pouvait leur permettre de le faire, même s’ils ne savaient pas du tout comment cela pouvait se concrétiser. Leur avancée dans la mer déchaînée avant que celle-ci ne s’ouvre était une preuve de leur « bita’hon actif » qui leur octroya le mérite d’assister au grand miracle de Kriat Yam Souf. [2]

On déduit du Nétivot Chalom que le fait de croire que ce qui se passe vient d’Hachem et le fait d’agir en conséquence sont deux choses bien différentes. Betouel et Lavan acceptaient facilement la croyance et la confiance en D. d’Eliezer, mais ils ne pouvaient pas concevoir que quelqu’un puisse croire en D. au point de donner des objets d’une telle valeur sans avoir, au préalable, une confirmation qu’il les offre à la bonne personne. À leurs yeux, un tel comportement aurait été irréfléchi et irresponsable — si Eliezer leur avait raconté ce qui s’était réellement passé, ils l’auraient soupçonné de mensonge. Eliezer, quant à lui, fit preuve d’un niveau exceptionnel de bita’hon, comparable à celui du peuple juif lors de leur entrée dans la mer.  

Nous ne devons pas, pour autant, agir aveuglément, sur la base de notre « croyance » en D. Ce que l’on pense être le résultat d’un bita’hon peut parfois être vraiment de l’irresponsabilité ou de l’insouciance. Néanmoins, chacun à son niveau peut apprendre d’ici que la foi en D.ieu ne signifie pas simplement se convaincre que tout ira pour le mieux. Il est parfois nécessaire d’agir avec la certitude que si Hachem nous enjoint de faire une certaine chose, on peut et l'on doit l’accomplir, et Il nous aidera à réussir et à mener à bien nos entreprises.



[1] Parachat ‘Hayé Sarah, Beréchit, 24:50.

[2] Nétivot Chalom, Parachat Béchala’h.