C’est dans la paracha Lekh Lekha que nous trouvons la première mention de la mitsva de brit mila, comme il est dit : « Voici Mon alliance dont vous avez la garde entre vous et Moi, et entre tes descendants après toi : circoncire pour vous chaque mâle » (Béréchit 17, 10). L’affirmation de cette injonction est ensuite réitérée dans le Séfer Vayikra (paracha Tazria) quand il est dit : « Et le huitième jour, on circoncira son excroissance (orlato) [celle de l’enfant] » (Vayikra 12, 3). Or, l’acte qui consiste à retirer le prépuce, cette écorce qui recouvre l’organe génital masculin (Orla chéal haBrit) « ké Hilkhata – conformément à la loi », a pour conséquence d’amener l’homme juif à une certaine perfection, en particulier à générer en lui un nouveau rapport à ses pulsions corporelles (taavot). Mais de manière plus radicale encore, à l’instar du Chabbat, dénommé lui aussi « ot brit » - littéralement « le signe de l’alliance » (Chémot 31, 13), la brit mila a pour but d’inscrire l’existence de l’homme juif sous le sceau d’une indéfectible transcendance lui permettant ainsi de se relier aux plus hautes manifestations de la Révélation divine au cœur même du monde matériel.

La brit mila a pour but d’inscrire l’existence de l’homme juif sous le sceau d’une indéfectible transcendance lui permettant ainsi de se relier aux plus hautes manifestations de la Révélation divine au cœur même du monde matériel.
 
Par ailleurs, explique l’auteur du Séfer ha’Hinoukh, le Saint béni soit-Il voulut par ce commandement inscrire au cœur du peuple qu’Il distingua pour être appelé en Son nom [Israël], un signe indélébile (kavoua). Car, de même que le peuple juif se sépare des nations dans son âme, il portera dorénavant, dans sa chair même, la marque de sa vocation spirituelle. De plus, si cette distinction se trouve précisément au lieu de l’organe génital masculin, c’est parce qu’à l’instar de ce dernier qui assure la pérennité de l’espèce, la brit mila constitue le rappel de l’immortalité du peuple juif.
 
De plus, si l’Eternel a laissé à l’homme le soin d’inscrire le signe de sa perfection sur son propre corps, et s’Il n’a pas voulu le faire naître déjà circoncis, et pour ainsi dire doué de son plein achèvement matériel, c’est pour nous rappeler que, de la même manière que la « finition » de sa dimension physique lui échoit, de même le couronnement de sa dimension spirituelle et morale est laissée entre les mains de l’être humain. Mais qu’on ne s’y trompe pas : loin de prôner la toute-puissance de l’être humain sur la nature, ce que la mitsva de brit mila nous révèle, c’est que la nature possède en elle-même des ressources insoupçonnées, expression de la volonté divine ayant présidé à sa création.
 
La nature et l’esprit
 
Pour mettre en lumière cette idée, on rappellera cette anecdote extraite du livre « Anaf Ets Avot » (chapitre 2). Le Gaon Rabbénou Yehonatan Eibchitz fut un jour reçu chez l’empereur accompagné des autres ministres du pays. L’empereur leur posa à chacun des questions sur l’état de leur savoir. Puis il demanda : « Il y a deux forces dans le monde par le biais desquelles toutes les choses peuvent être mues : la nature et l’esprit. Et je me suis demandé laquelle des deux est la plus puissante, la loi naturelle ou l’esprit humain ? ».
 
Le conseiller du roi fut le premier à répondre et déclara : « A mon avis, c’est l’homme qui est la créature la plus excellente. Gouvernant la nature, il peut en faire ce que bon lui semble. Prenons par exemple cette table en bois qui se trouve devant nous. Auparavant, elle n’était qu’un arbre au beau milieu de la forêt, jusqu’à ce que l’artisan le coupe en morceaux, qu’il le taille et le ponce avant de les assembler et d’en faire cette magnifique table qui trône dans la demeure de l’empereur.
 
Mieux : cette coupe en or posée sur cette même table n’était auparavant rien de plus qu’un simple morceau de métal. Mais après que la main de l’artisan l’a touché de sa grâce, que l’orfèvre l’a fondu et poli, c’est un objet de charme qui nous est donné à voir. Il ne fait donc aucun doute, majesté : donnant naissance aux plus belles choses qui soient, l’esprit humain est bien plus excellent que la loi naturelle. Il peut tout sans que rien ne l’égale ».
 
Après que le conseiller eut terminé son discours, toutes les personnalités présentes qui s’étaient régalées de si belles paroles l’applaudirent largement. Tous firent remarquer que ses paroles étaient conformes à la science et la sagesse, seul rabbi Yehonatan restait silencieux. L’ayant remarqué, l’empereur se tourna vers lui et lui demanda : « Votre excellence, que pensez-vous des paroles de notre conseiller ? Ne recevraient-elles pas créance à vos yeux ? ».
 
Rabbi Yehonatan se leva alors et déclara : « Malgré le respect que je dois à votre conseiller, je ne partage pas son analyse. Même s’il ne fait aucun doute que la matière se transforme entre les mains de l’artisan selon son bon vouloir, celui-ci n’en modifie que l’apparence extérieure, mais jamais il ne peut atteindre l’essence même des choses. La nature ne faisant qu’abandonner une forme pour en vêtir une autre. Les lois naturelles en revanche ne changent jamais et ce, parce qu’elles sont l’œuvre de D.ieu. Il est donc impossible que l’homme y porte atteinte. Cette table en effet, si nous voulions la faire disparaître, ne serions-nous pas obligés de la faire passer par le feu, tout comme l’arbre de la forêt dont elle est issue disparaîtrait sous les flammes ? De même, nous serions obligés de faire fondre cette coupe comme l’orfèvre l’a fait pour l’extraire du métal dont elle provient. Il est donc évident que ce sont les forces de la nature qui constituent les lois du monde. Et ce dont elles sont incapables, l’esprit de l’homme ne saurait l’exécuter.
 
Le fleuve qui déborde emporte avec lui tout sur son passage ; le tremblement de terre retourne les montagnes en un seul instant, les réduisant au néant. C’est en vain que le savant s’enorgueillit de sa science. N’est-il pas lui-même une simple créature qui bientôt disparaîtra de la surface du globe ? La nature en revanche est l’œuvre de l’Artisan divin, Lui qui créa le ciel et ses habitants, qui fracasse la terre et tout ce qu’elle contient. C’est à Lui que reviennent toutes les réalités de ce monde ».
 
Le chat et la souris
 
Tous les ministres, subjugués par les propos de rabbi Yehonatan, étaient perplexes. Ils ne savaient plus qui avait raison. Un silence pesant se posa sur la salle d’audience, jusqu’à ce que l’empereur se lève pour mettre un terme au débat, déclarant : « Vous vous êtes tous les deux exprimé avec tellement de sagesse qu’il m’est difficile de décider lequel d’entre vous a raison. Je vous demande donc de nous retrouver dans un mois, et lors d’une prochaine rencontre, nous vérifierons alors le dire de chacun ». Sur ces mots, l’assemblée se dispersa dans les murmures, et rabbi Yehonatan rentra chez lui pour reprendre son étude de la Torah là où il l’avait laissée.
Un mois passa. Préparant son discours du lendemain, rabbi Yehonatan se trouvait à sa table de travail lorsque soudain une souris fit irruption sur son bureau. Le rav la chassa avec un foulard. Effrayée, elle s’enfuit. Or, sur cette table se trouvait une boîte à tabac dont de temps à autre le rav aimait respirer l’agréable odeur. Quand à nouveau, la souris sauta sur le meuble, elle tomba à l’intérieur de la boîte dont le rav referma aussitôt le couvercle avant de la glisser dans la poche de son manteau. 
 
Quelques instants plus tard, l’envoyé de l’empereur priait le rav de le suivre pour participer au banquet que sa majesté avait arrangé en l’honneur des ministres du palais.
 
La salle était comble, et les tables dressées avec tous les apparats qui sied à ce genre d’occasion, le vin coulait à flots…
 
Le rav Eibchitz prit place à la table d’honneur. Soudain, un chat dressé sur ses deux pattes arrière et tenant avec ses pattes avant un petit plateau d’argent sur lequel étaient posés une bouteille de vin et de petits gobelets, fit son apparition à l’entrée de la salle. Il était vêtu du costume des serviteurs de l’empire, muni d’un tablier blanc, et portait sur la tête un délicat ruban sur lequel on pouvait lire : « La nature et l’esprit ». Le félin passait entre les convives, faisant de-ci de-là la révérence, tandis que tous riaient à gorge déployée devant cette mascarade fantastique. Le conseiller de l’empereur et les ministres se tournèrent alors vers le rav, satisfaits de cette démonstration ingénieuse prouvant sans nul doute possible que l’esprit humain maîtrise bel et bien la nature… 
Se souvenant alors qu’il avait emprisonné dans sa boîte à tabac une souris, le rav sortit délicatement la main de sa poche et la libéra. A peine était-elle sortie, que le chat savant laissa tomber le plateau et son contenu, se ruant sauvagement sur la souris. Il courrait de table en table sans ne plus prêter aucune attention au chaos qu’il laissait sur son passage. Les autres serveurs courraient derrière lui pour ramasser ses habits déchirés qui tombaient en lambeaux, et pour débarrasser les débris de verre de la bouteille et des gobelets éparpillés au sol.
 
Les plus sagaces des convives comprirent alors que se dévoilait sous leurs yeux ébahis la preuve éclatante que le conseiller de l’empereur avait perdu. Ce dernier, honteux, se tenait en effet dans un coin de la pièce, la tête entre les mains. L’empereur s’approcha alors du rav Eibchitz et, pausant une main chaleureuse sur son épaule, il lui dit : « C’est vous qui avez raison. Ce que la nature est susceptible de faire, jamais l’esprit humain n’en sera capable. Nul n’est plus avisé que toi »