Dans le cadre de l’étude des vertus qui jalonnent les Parachiot de la Torah, l’étude de la Paracha de Noa’h est particulièrement intéressante car elle souligne la difficulté de la vie morale et sa grande exigence.

En effet, Noa’h est qualifié d’emblée de « Tsadik » « juste », et même de « Tsadik Tamim » « juste parfait » ou « juste intègre ». Mais pourtant les commentaires semblent nuancer cette appréciation en soulignant que, par exemple, Noa’h était un Tsadik pour sa génération, mais peut-être ne l’aurait-il pas été dans d’autres générations plus vertueuses, comme celle d’Avraham. De même, le déluge est qualifié dans la Haftara de cette semaine, à travers les mots d’Isaïe, de « mei Noa’h » « eaux de Noa’h » alors que, paradoxalement, il est la seule personne à ne pas avoir mérité le déluge, et à y avoir échappé.

Que cherche donc la Torah à nous indiquer à travers ce tableau en demi-teintes ?

Il est acquis que Noa’h était un Tsadik par son comportement personnel et la relation qu’il entretenait avec l’Eternel. Toutefois, comme tout leader spirituel, son rôle ne s’arrêtait pas là, il devait aller bien au-delà, en prenant à « bras le corps » le destin spirituel de sa génération. Or, précisément, nos Sages nous disent que le déluge a été qualifié d’ « eaux de Noa’h » car ce dernier n’a pas déployé suffisamment d’efforts pour inciter sa génération au repentir. Or, en tant que Tsadik, ce rôle lui incombait, il devait se porter garant de sa génération, à l’image d’Avraham Avinou qui intercéda pour sauver la ville de Sodome et Gomorrhe de la destruction, ou encore de Moché Rabbénou qui lia son destin personnel à celui de son peuple.

Noa’h, pour sa part, semble accepter le décret divin de destruction du monde, et ne semble pas s’échiner à l’inverser en ramenant sa génération au repentir. Il construit l’arche pour sa famille et lui-même et informe ses contemporains de la catastrophe imminente, quand ils l’interrogent sur la raison de la construction de l’arche, du déluge qui se prépare, mais il semble s’en tenir là.

Une expression Yiddish, attribuée à R. Mendel de Kotsk, résume l’écueil qui menace le Tsadik « Ah Tsadik in Peltz » « Un Tsadik dans un manteau de fourrure ». Et le grand maître Hassidique d’expliquer : quand les rigueurs de l'hiver traversent le monde et qu'il fait un froid glacial, il y a deux choses que l’on peut faire : allumer un feu ou s'envelopper dans un manteau de fourrure. Dans les deux cas, la personne sera au chaud. Mais quand on fait du feu, tous ceux qui se rassemblent autour de nous seront aussi réchauffés. Avec le manteau de fourrure, le seul qui est réchauffé est celui qui porte le manteau.

Il en va de même de la vie spirituelle. Lorsque le niveau des générations décline, le Tsadik a l’alternative suivante : revêtir un manteau de fourrure pour se protéger des influences négatives et se renforcer dans sa relation à l’Eternel, ou bien allumer un feu et essayer de réchauffer avec lui tous ceux qui se sont égarés et qui ne trouvent pas l’énergie en eux-mêmes de s’amender. C’est précisément cette dernière attitude que le Tsadik doit rechercher afin d’assumer sa responsabilité à l’égard des nations.

Au terme de cette année d’étude des vertus qui traversent la Torah, l’exemple de Noa’h nous rappelle que la vie morale prônée par la Torah n’est pas une vie solitaire, égoïste, elle est avant tout une vie collective, une « vie que nous partageons avec les autres » (R. J. Sacks).

Nous avons souhaité étudier les vertus car nos Sages nous disent que l’un des objectifs de la Torah est précisément le « Tikoun Hamidot » « le raffinement des vertus » afin de faire de l’homme un réceptacle digne de la présence divine, non seulement dans sa relation « verticale » avec Hachem, mais aussi dans sa relation « horizontale » avec les hommes.

Nous pourrions conclure (provisoirement) en constatant que ce travail de raffinement intérieur et d’exigence avec soi est un travail sans fin. Chaque jour se renouvellent le défi d’être à la hauteur des situations qui vont se présenter à nous, le défi de surmonter les impulsions spontanées de notre corps ou de notre esprit, et, bien sûr, le défi de faire le bien. La victoire que nous avons eue hier, ou la vertu dont nous avons fait preuve dans une situation donnée ne préjugent pas de notre réussite d’aujourd’hui et encore moins de celle de demain.

Seules l’étude régulière de la Torah, la pratique des Mitsvot, la conscience de notre proximité avec l’Eternel peuvent nous servir de boussole afin de faire les bons choix et nous aider à acquérir une certaine forme d’autonomie dans la vie morale. Car, ne l’oublions pas, aucun livre n’épuisera la grande variété de situations que l’homme peut rencontrer au cours de son existence.

Voilà pourquoi, il est essentiel, également, de prier l’Eternel et lui demander Son aide afin de mériter la Sagesse du cœur et de l’esprit susceptibles de nous aider à prendre les bonnes décisions à chaque instant.

Alors prions ensemble pour que le Maître du monde nous permette d’acquérir la « 'Hokhma » « la sagesse », d’être épargnés des emportements et nous donne le mérite de raffiner continuellement nos Midot/qualités afin d’être Ses dignes représentants sur terre, et d’avoir un esprit apaisé et apaisant !