Quand Yossef raconta ses rêves à ses frères, ils le soupçonnèrent de vouloir régner sur eux. Ceci leur déplut et ils dirent avec mépris : « Vas-tu devenir notre roi, vas-tu nous dominer ? »[1] Le Chem Michmouël demande pourquoi les frères jugèrent cette éventualité à ce point ahurissante. Si c’était parce que Yossef était l’un des plus jeunes, en quoi diffère-t-il tellement de Yéhouda, qui n’avait que trois ans de plus que lui et qu’ils acceptèrent comme dirigeant ? Qui plus est, David Hamélekh était le plus jeune de sa fratrie et pourtant il devint roi.[2]

Pour répondre à cela, il faut d’abord comprendre les rôles qu’eurent Yossef et Yéhouda dans l’histoire. ’Hazal affirment que deux Machia’h viendront délivrer le peuple juif : Machia’h ben Yossef et Machia’h ben David. Le premier s’occupera de l’aspect « Sour Méra »[3] (éloigne-toi du mal) en détruisant les ennemis de la nation juive. C’est ainsi qu’il pavera la voie au Machia’h ben David qui devra compléter le travail par le « Assé Tov » (accomplis le bien) – le rassemblement des exilés et la reconstruction du Beth Hamikdach. Et dans chaque génération, certaines personnes ont le potentiel de remplir ces rôles, mais elles échouent, soit à cause de leurs erreurs personnelles, soit à cause des failles du peuple. Ainsi, le roi Chaoul devait devenir Machia’h ben Yossef, en anéantissant Amalek. S’il l’avait fait, David serait devenu le roi Machia’h. Il n’aurait pas eu besoin de mener tant de combats et il aurait pu construire le Beth Hamikdach. En conséquence de l’erreur de Chaoul, David dut remplir le rôle du Machia’h ben Yossef et faire plusieurs guerres. Et à cause du sang versé, il ne put construire le Beth Hamikdach.[4]

Notons que Chaoul est issu de la tribu de Binyamin, pas de Yossef. Certes, Binyamin  est également le fils de Ra’hel et a donc une force particulière d’abolir le mal incarné par Amalek, mais pourquoi le premier roi d’Israël ne pouvait-il pas être un descendant de Yossef ?

Le Chem Michmouël rapporte le commentaire du Ramban sur le verset : « Il pourrait exister parmi vous une racine d’où naîtraient des fruits vénéneux et amers.[5] » Il nous apprend qu’une petite faiblesse à la racine peut grandir, se développer et prendre des proportions bien plus pernicieuses. Le Chem Michmouël précise que Yérovam[6], un mauvais roi de la tribu d’Éphraïm[7], devait naître de Yossef. Or, la Torah nous raconte que ce dernier médit sur ses frères[8]. Il est évident que la faute de Yossef était minime ; il pensait réellement que ses frères agissaient mal et ses motivations étaient certainement des plus nobles. Malgré tout, cela lui est reproché, à son niveau, et la Torah considère ceci comme du Lachon Hara.

Les gros défauts de Yérovam provenaient de cette petite faille « insignifiante » perçue chez Yossef[9]. Yérovam devint roi après la construction du Beth Hamikdach. Sa personnalité était si mauvaise que s’il avait régné avant la construction du Beth Hamikdach, le désastre spirituel provoqué aurait été tellement important qu’il en aurait empêché l’édification ! Il fallait donc que le premier roi soit un descendant de Ra’hel, mais pas de Yossef.

Revenons à notre question de départ. Pourquoi les frères de Yossef avaient-ils tant de mal à envisager qu’il soit roi ? Le Chem Michmouël explique qu’ils virent ce petit manquement et comprirent qu’il pouvait s’aggraver et s’avérer désastreux à l’avenir. Ils eurent, certes, raison concernant Yérovam, mais Yossef eut d’autres descendants qui suivirent le droit chemin et celui qui pavera la voie du Machia’h ben David sera issu de Yossef.

Ainsi, bien que les gênes spirituelles d’une personne jouent sur son caractère, elles le ne définissent pas. Chacun est jugé sur ses propres traits de caractère, sur sa façon de gérer ses challenges, de surmonter les tests qui lui sont présentés. Les descendants de Yossef ont peut-être une propension à fauter dans certains domaines, nombreux sont ceux qui parvinrent à se dominer et à devenir de grands Tsadikim[10].

Puissions-nous tous mériter de surmonter les défis auxquels nous sommes confrontés et d’atteindre notre propre, unique potentiel.



[1] Béréchit, 37:7

[2] Chem Michmouël, Vayéchev, 5677.

[3] Téhilim, 34:15.

[4] Divré Hayamim, I, 22:6-10.

[5] Dévarim, 29:17.

[6] Il fut le premier roi des tribus d’Israël. Il était, au début, un homme très sage et vertueux, mais, craignant la chute de son royaume, il empêcha les Juifs de se rendre à Yérouchalaïm et mis en place deux Veaux d’Or dans son territoire. Il entraina donc la terrible faute de Avoda Zara au sein du peuple. Il est l’exemple type de celui qui fait fauter autrui (Avot, 5:21).

[7] Yossef eut deux fils – Ménaché et Éphraïm. Tous deux méritèrent de faire partie des douze tribus.

[8] Béréchit, 37:2

[9] Cela ne signifie pas que Yérovam n’avait pas de libre arbitre, auquel cas, il n’aurait pas été puni. Mais les personnes importantes ont généralement une protection spirituelle plus grande qui les aide à surmonter leur Yétser Hara. Et à cause de la faute de Yossef, cette protection manque à ses descendants.

[10] L’exemple le plus connu est celui de Yéhochoua.