« Et au matin, voici [qu’] elle [était] Léa… ! » (Béréchit 29,25)

Ya'acov dit à Léa : « Quoi ?! Tu es fourbe, fille de fourbe ! N’ai-je pas appelé "Ra’hel" et tu m’as répondu ? » Elle lui répondit : « Y a-t-il un maître sans élèves ?... Quand ton père a appelé "Essav", n’as-tu pas répondu ? (Béréchit Raba 70,19)

Le Yéfat Toar ajoute que Léa dit à Ya'acov : « De la même manière que tu as menti pour exécuter l’ordre de ta mère, moi aussi, j’ai menti pour obéir à mon père et j’ai appris cela de toi ! »

Dans la Parachat Toledot, Ya'acov Avinou trompa son père pour recevoir la bénédiction que ce dernier prévoyait de donner à 'Essav. Les commentateurs proposent plusieurs justifications[1]. Néanmoins, dans la présente Paracha, Ya'acov fait face à des difficultés qui semblent directement liées à son acte de tromperie, mesure pour mesure.

Prenons l’exemple de la ruse de Lavan qui fit passer Léa à la place de Ra’hel. Le Midrach raconte que Ya'acov accusa Léa qui répondit qu’elle apprit cela de sa ruse avec Its’hak. Mais si Ya'acov avait le droit d’agir de la sorte et qu’il était même tenu de tromper Its’hak, pourquoi dut-il subir ces conséquences avec Léa ?

En outre, on répète exactement les mêmes mots dans les deux épisodes. Quand 'Essav découvrit la ruse de Ya'acov, la Torah affirme qu’il « éleva la voix et pleura »[2]. Et au début de la Parachat Vayetsé, quand Ya'acov rencontra Ra’hel, la Torah emploie les mêmes termes : « Il éleva la voix et pleura »[3]. Quel lien y a-t-il entre ces deux incidents ? Dans l’une de ses explications, Rachi affirme que Ya'acov pleura parce qu’il n’avait plus d’argent, ni de cadeaux à offrir à Ra’hel. 'Essav avait envoyé son fils, Elifaz, tuer Ya'acov et ce dernier le convainquit de ne pas lui faire de mal, mais plutôt de le dépouiller de tous ses biens, parce qu’un pauvre est considéré comme mort. Donc le fait que Ya'acov n’eut rien à offrir à Ra’hel fut une conséquence directe de sa ruse, qui entraina la poursuite d’Elifaz[4]. Là aussi, on nous montre que Ya'acov fut, en quelque sorte, puni à cause de son acte vis-à-vis d’Its’hak.[5]

Le Midrach[6] nous donne un autre exemple des conséquences néfastes de la ruse de Ya'acov – quand 'Essav découvrit ce qui s’était passé, il poussa un grand cri de douleur[7]. Plusieurs siècles plus tard, mesure pour mesure, Mordékhaï, descendant de Ya'acov poussa un cri semblable quand Haman – descendant d’Essav – décréta l’anéantissement du peuple juif. La question se pose à nouveau ; pourquoi Ya'acov ou ses descendants furent-ils punis pour un acte qui semblait justifié ?

On peut répondre à cette question grâce à une explication du Natsiv sur le Midrach concernant Mordékhaï. Le Natsiv précise qu’Its’hak Avinou fut également très affecté quand il apprit qu’il avait été trompé – la Torah raconte qu’il trembla en entendant ce qui s’était passé. Dans ce cas, pourquoi Ya'acov ne fut-il pas puni pour la peine causée à son père, mais pour celle qu’il provoqua chez 'Essav ? Ya'acov ne prit aucun plaisir à faire souffrir son père, donc il ne fut pas sanctionné pour la douleur subie par Its’hak. Cependant, il éprouva une certaine satisfaction devant le désarroi de son frère. Il fut donc sanctionné pour cette petite joie ressentie sur le compte de la douleur d’autrui[8].

Cette approche peut expliquer les autres incidents prouvant que Ya'acov fut puni d’avoir pris les bénédictions. Bien qu’il fût correct de tromper Its’hak et 'Essav, il lui fut reproché, étant donné son haut niveau, d’avoir éprouvé une petite satisfaction quand 'Essav manifesta sa douleur, ce qui est signe d’un manque de Léchem Chamayim, pour un personnage du calibre de Ya'acov.

La plupart d’entre nous ne sont pas placés dans des situations où une prophétie indique qu’il faut mentir, alors quelle leçon peut-on tirer de ce développement ? Plusieurs Mitsvot peuvent causer de la peine ou une souffrance à autrui – la plus courante est celle de réprimander son prochain ou encore de dire du Lachone Hara' dans un but constructif. Si l’on accomplit ces Mitsvot avec de mauvaises intentions, même en dose minime, la Mitsva potentielle peut se transformer en 'Avéra. Par exemple, si quelqu’un réprimande son prochain en public, il lui fait honte, ce qui constitue une très grave faute[9]. De même, il faut remplir sept conditions pour pouvoir dire du Lachone Hara' dans un but constructif et l’une d’elles est de n’éprouver aucun plaisir à médire de l’autre, sans quoi les propos deviendraient interdits.

Ainsi, il est très important d’apprendre sérieusement les lois relatives à ces Mitsvot, de prendre conseil sur la façon d’agir et d’être honnête avec soi-même pour déceler nos véritables intentions.

 

[1] Il avait le droit de mentir parce que son acte fut basé sur une prophétie de Rivka qui savait que Ya'acov devait recevoir les bénédictions. De plus, il est autorisé de mentir pour supplanter un autre menteur, en l’occurrence 'Essav qui trompa son père en lui faisant croire qu’il était vertueux. Voir Émet Léya'acov, Natsiv.

[2] Béréchit 27,38.

[3] Béréchit 29,11.

[4] Notons que Ya'acov fut contraint d’inciter Elifaz à mentir pour éviter la mort. «  Avéra Goréreth 'Avéra » - une mauvaise action en entraine une autre, bien qu’évidemment, Ya'acov avait le droit de donner ce conseil à Elifaz ; il n’empêche que pour un homme personnalisant la vérité, cela consiste en une « brèche », une faille dans ses valeurs.

[5] Cette approche est basée sur une explication du Rav David Fohrman.

[6] Esther Raba 8,1.

[7] Béréchit 27,34.

[8] Haémek Davar, Béréchit 27,9, Har’hev Davar, Oth 1.

[9] Dans certains cas, il est permis de réprimander quelqu’un en public, mais c’est rare et cela doit être fait avec l’accord et les conseils d’un Rav qui maitrise bien ce sujet.