« Et voici, vos yeux voient, et les yeux de mon frère Binyamin, que c’est ma bouche qui vous parle. » (Béréchit 45,12)

Rachi commente : « Vos yeux voient – Par mon honneur, que je suis votre frère et que je suis circoncis comme vous et qu’en plus, ma bouche vous parle en Lachon Hakodech. »

Quand Yossef se dévoila à ses frères, il leur prouva par divers moyens qu’il était bien leur frère perdu depuis longtemps et non un imposteur qui avait rencontré Yossef et avait obtenu des informations sur son passé et sur sa famille. Le Midrach, rapporté par Rachi, enseigne que l’une des ses preuves fut sa capacité de parler en Lachon Hakodech – la langue usitée dans la famille de Ya'acov.

Le Ramban pose une grande question sur ce Midrach. Pourquoi le fait que Yossef sache parler la même langue que les frères est-il une preuve valable ? N’était-il pas courant que le dirigeant d’une nation sache parler toutes les langues des pays alentour ? D’autant que Yossef avait un traducteur qui parlait manifestement la langue des frères, sans qu’ils n’en déduisent pour autant qu’il était de leur famille.[1]

La preuve n’était pas le fait même que Yossef sache parler leur langue, mais quand il se mit à leur parler dans cette langue, ils reconnurent sa voix. Ayant grandi avec Yossef, il n’était pas étonnant qu’ils reconnaissent sa voix, mais tant qu’il leur parlait en Égyptien, une langue qu’ils ne comprenaient pas, ils ne réalisaient pas qui parlait. Une fois qu’il passa à l’hébreu, ils reconnurent qui il était[2].

Le Na’halat Ya'acov[3] (un commentateur de Rachi) propose une réponse très intéressante à la question du Ramban. Ce dernier estime que l’hébreu moderne et le Lachon Hakodech sont une seule et même langue, mais le Na’halat Ya'acov pense que ce n’est pas vraiment le cas. Quand Rachi décrit le rôle du traducteur entre Yossef et les frères, il précise que ceux-ci lui parlèrent en « Lachon 'Ivri » - en langue hébraïque[4]. Or, quand Yossef voulut prouver son identité, il leur parla en « Lachon Hakodech » - la langue sainte. Cela prouve que l’hébreu et le Lachon Hakodech ne sont pas identiques.

Cette idée est justifiée par la Guémara.[5] Celle-ci raconte que lorsque Yossef rencontra Pharaon pour la première fois pour interpréter ses rêves, ce dernier parla avec lui en soixante-dix langages. Yossef les comprenait tous, parce que l’ange Gabriel les lui avait appris la nuit précédente, de façon à ce qu’il puisse répondre au monarque en toutes les langues. Ensuite, Yossef se mit à parler à Pharaon en Lachon Hakodech, langue que Pharaon ne pouvait comprendre. Par conséquent, Pharaon lui fit jurer de ne jamais révéler qu’il ne savait pas parler le Lachon Hakodech. Si le Lachon Hakodech était simplement la langue des Israélites qui vivaient à proximité et que même le traducteur de Yossef la comprenait et la parlait, pourquoi était-ce si compliqué pour Pharaon de l’apprendre ? Cela signifie sûrement que le Lachon Hakodech diffère de l’Ivrit.

La Guémara ajoute que Yossef voulut apprendre à Pharaon à parler le Lachon Hakodech, mais ce dernier ne comprenait pas. Pourquoi était-ce si difficile ? Le ’Hatam Sofer[6] explique que pour pouvoir parler le Lachon Hakodech, l’individu doit lui-même posséder une certaine Kédoucha (sainteté). Or, Pharaon manquait totalement de Kédoucha, donc il ne pouvait pas apprendre cette langue. Cela ne signifie pas que le Lachon Hakodech soit totalement détaché de l’hébreu, mais il y a une différence de fond.

Rav Bernstein affirme : « Apparemment, le Lachon Hakodech est plus qu’un ensemble de mots accompagnés de règles grammaticales. C’est une capacité à utiliser des mots d’une façon qui condense plusieurs significations en un minimum de termes, comme le fait la Torah. Ceci est impossible sans Kédoucha, et Pharaon le comprit. Ainsi, les mots employés par le Lachon Hakodech sont probablement les mêmes que ceux du Lachon Ivri et le fait de les utiliser de façon ordinaire donnerait ce que l’on appellerait l’hébreu moderne. »[7]

Revenons à la révélation de Yossef à ses frères. En leur parlant en Lachon Hakodech, Yossef ne cherchait pas seulement à prouver aux frères son identité. Il voulait aussi leur prouver qu’il n’avait pas perdu sa Kédoucha pendant ses longues années de vie parmi les Égyptiens immoraux[8]. Pourquoi était-il tellement important de véhiculer ce message ? Yossef voulait persuader les frères de faire venir Ya'acov en Égypte. Pour ce dernier, l’affaire n’était pas si simple. Outre sa réticence à quitter Erets Cana'an, il y avait un autre problème fondamental. La grandeur de Ya'acov et son lien avec Hachem dépendaient beaucoup de son Roua’h Hakodech (qu’il avait perdu depuis le jour où il croyait Yossef mort). Une fois qu’il entendrait la bonne nouvelle au sujet de Yossef, il allait pouvoir bénéficier à nouveau de cette proximité avec Hachem. Assurément, il ne voudrait pas la reperdre en habitant dans l’impureté de l’Égypte. Donc le problème du Roua’h Hakodech se posait sérieusement. Yossef voulait prouver qu’il était possible de vivre en Égypte tout en gardant le sublime niveau requis pour mériter le Roua’h Hakodech. Pour ce faire, il parla la langue de la Kédoucha – le Lachon Hakodech. Comme nous l’avons appris, seule une personne très élevée pouvait parler cette langue sainte et Yossef montrait que Ya'acov pouvait sereinement venir en Égypte et garder son Roua’h Hakodech.

Nous avons donc évoqué la force spirituelle du Lachon Hakodech. Cette leçon est pertinente à l’époque actuelle dans le sens où c’est la langue de l’étude de la Torah. Il y a de plus en plus d’excellentes traductions, dans tous les domaines de la Torah, et ce sont de merveilleuses façons de rendre la Torah accessible à un maximum de personnes qui ne comprennent pas le Lachon Hakodech. Or, il faut savoir que ce n’est pas la manière idéale d’étudier la Torah, compte tenu de la Kédoucha inhérente au Lachon Hakodech (sans parler de l’incroyable sagesse contenue dans la langue). Quiconque en a le temps et la possibilité, gagnera énormément en compréhension de la Torah s’il se perfectionne en Lachon Hakodech.

 

[1] En réalité, il s’agissait de Ménaché, qui était leur neveu, mais ils ne le savaient pas à l’époque.

[2] Radak, ibid ; Tiféret Yehonathan, Béréchit 42,8.

[3] Na’halat Yaacov, Béréchit 45,12. Rapporté par Rav Immanuel Bernstein

[4] Béréchit 42,23.

[5] Sota 36b.

[6] Dracha du ’Hatam Sofer, 8 Téveth.

[7] Ibid ; p. 268.

[8] Basé sur le Mechekh ’Hokhma, Béréchit 45,12, rapporté par Rav Bernstein.