Après avoir reçu les 10 commandements au pied du mont Sinaï dans la Paracha précédente, celle de cette semaine nous présente de manière plus détaillée les lois fondamentales de la justice telle qu’elle doit régner en Israël.

Comme l’enseignent nos Sages, notamment Rachi dès son premier commentaire, ce n’est pas un hasard si ces principes sont énoncés immédiatement après le décalogue, car D.ieu souhaitait enseigner aux Bné Israël que les règles qui président aux relations entre les hommes ont vocation à avoir la même importance que les fameux dix commandements.

En effet, l’homme peut parfois avoir tendance à faire une distinction entre les efforts qu’il doit faire dans le cadre de ses relations avec D.ieu, et ceux qu’il doit produire dans ses relations avec les hommes. La Torah prend donc soin d’introduire l’exposition des principes de justice, les « Michpatim », par la conjonction de coordination « Vé-élé » », c’est-à-dire « et ceux-ci », qui relie notre passage à celui de la semaine dernière, afin d’enseigner à l’homme qu’il doit leur accorder autant d’importance qu’aux 10 commandements reçus au mont Sinaï. Rachi s’exprime donc ainsi (Chémot, 21,1) :

Et celles-ci sont les ordonnances : Partout où il est écrit : Élé (ceux-ci sont), le texte implique une rupture avec ce qui précède, et lorsqu’il est écrit : Vé-élé (et ceux-ci sont), il implique un ajout à ce qui précède. De même que ce qui précède a été proclamé au Sinaï, de même « celles-ci » ont-elles été proclamées au Sinaï. Pourquoi les lois civiles font-elles immédiatement suite à celles relatives à l’autel ? Pour te dire que tu devras installer le Sanhedrin près du sanctuaire (Chémot Raba).  

Par ailleurs, Rachi ajoute ainsi une précision très intéressante mentionnant que l’on doit déduire, de cette juxtaposition entre les lois civiles de cette semaine et les prescriptions relatives à l’édification de l’autel la semaine passée, que le Sanhedrin, l’enceinte où les juges prononcent leurs sentences, doit se trouver près de l’autel, c’est-à-dire près du lieu où l’on apporte les sacrifices destinés à expier ses fautes ou bien à témoigner son désir de se rapprocher de D.ieu. De ce fait, la justice, lorsqu’elle est prononcée dans un souci de vérité et conformément à la Torah, a pour vocation de rapprocher l’homme d’Hachem et à lui faire sentir la dimension spirituellement très élevée qui se joue dans son rapport à l’autre.

En opérant un tel rapprochement entre les lois énoncées au Sinai et celles relatives à la justice, la Torah semble nous indiquer que, contrairement à ce que suggère le sens commun, la perception de la justice ne peut être intuitive et fondée sur le « bon sens ».  En effet, dans son approche de la justice, l’homme peut notamment être amené parfois à colorer le droit d’une dimension morale, de ce qui lui paraît « bon » ou « bien », et il peut ainsi s’éloigner de la vérité.

La Paracha de la semaine nous donne à cet égard un exemple éloquent en mentionnant cette injonction : « Ne favorise pas le pauvre ». Rachi comment ce verset de la manière suivante (Chémot, 23,3) :

Ne favorise pas le pauvre : Ne lui accorde pas d’égards pour lui faire gagner son procès en te disant que du moment qu’il est pauvre, il mérite d’être favorisé.

Ce principe est peut-être la meilleure illustration de la valeur absolue que représente la justice dans la Torah : elle est si importante que même la sollicitude et la pitié légitimes que l’on peut ressentir envers un pauvre ne peuvent lui faire obstacle. Le philosophe allemand Emmanuel Kant, qui était très sensible à l’application d’une justice absolue dans les rapports humains, a jugé que ce verset était « le plus beau de toute la Torah » (Rav E. Munk). Même si nous ne reprenons pas à notre compte cette hiérarchie des versets, cela peut indiquer que nous avons dans cette injonction de ne pas favoriser le pauvre, la base de l’impartialité requise de la part des juges et qui a été adoptée dans tous les systèmes judiciaires, avec plus ou moins de bonheur dans son application concrète.

Toutefois, l’homme ne saurait s’en tenir à l’énonciation d’une justice pure et absolue sous peine de se voir appliquer cette critique que le poète Charles Péguy avait adressé au kantisme: « Certes, Kant a les mains propres, mais il n’a pas de mains ». En effet, il est facile de s’en tenir à une justice idéale et absolue et se croire dispenser de se pencher sur la situation concrète des hommes. Tel n’est pas l’avis de la Torah. Une fois la sanction prononcée, le droit prononcé, il appartient au juge de modérer l’application des peines en fonction de ce que l’accusé peut supporter, en ne cherchant pas à le détruire mais à l’amener sur la voie du regret de ses fautes et du repentir, tout en préservant les conditions de sa réintégration ultérieure dans sa famille et dans la société.

Comme nous l’enseigne la Torah : « Tsédek Tsédek Tirdof », il faut rechercher la justice. Certes, les hommes doivent annoncer la justice pure dans un premier temps, mais par la suite, ils doivent veiller à ce que cette « justice soit juste », c’est-à-dire que son application soit conciliable avec la préservation de la dignité de l’accusé et puisse être adoucie par la bonté et la charité.

C’est ainsi que le Roi David, après avoir eu à juger un différend entre un riche et un pauvre, prononça dans un premier temps la stricte justice et condamna le pauvre qui était coupable. Puis, une fois la sanction prononcée, il déchargea le pauvre de payer sa dette en réglant lui-même la somme dont il était redevable. Il parvint ainsi à concilier l’exigence de justice avec l’idée de charité et de bonté que l’on doit à son prochain, bien qu’il fût coupable.

Concluons sur ces mots du prophète Yé’hezkel (chap. 18) se trouvant notamment dans la prière de Néila, celle qui vient clore la journée de Kippour ainsi que la période où l’homme est jugé : « Est-ce que Je souhaite la mort du méchant ? dit le Seigneur D.ieu. Je préfère qu'il arrange sa conduite et qu'il vive ! Abandonnez vos mauvaises voies et revenez vers Moi ; pourquoi mourriez-vous, maison d’Israël ? »