La Paracha de Terouma aborde une étape cruciale dans l’histoire du peuple Juif : la construction du "Michkan", le sanctuaire dans lequel devaient reposer les Tables de la loi, et qui avait vocation à accueillir symboliquement la présence divine au milieu du peuple.

Il s’agit, en effet, d’une étape fondamentale dans l’aventure humaine. Lors de la création du monde, nos Sages nous disent que D.ieu s’était provisoirement retiré du monde afin de laisser la possibilité à l’homme d’exister et d’avoir un libre arbitre. Avec la création du Michkan, l’homme achève la processus et offre cette fois-ci à son tour un “espace” symbolique pour permettre à l’Eternel de résider sur terre conformément à ‘l'injonction divine “Vous Me ferez un sanctuaire et Je résiderai au milieu de vous” (Exode, 25-8).

Ce projet a pourtant de quoi surprendre le lecteur de la Torah. En effet, comment l’homme peut-il prétendre construire une demeure pour l’Eternel ? Quel est le sens de ce projet ? Chacun sait bien que ce projet exprimé en des termes humains n’a pas de réalité pour le Maître du monde, conformément à ces versets du prophète Isaïe : “Ainsi parle l'Eternel : "Le ciel est mon trône et la terre mon marchepied: quelle est la maison que vous pourriez me bâtir, le lieu qui me servirait de résidence ?” (Isaïe, 66-1)

L’objectif de la création du sanctuaire dépasse naturellement sa conception matérielle, il vise davantage à amener l’homme à réfléchir et travailler intérieurement sur sa relation à Hachem.

La première leçon que nous pouvons tirer du Michkan réside dans la nécessité d’agir dans ce monde conformément à la volonté d’Hachem. Rachi précise ainsi dans son commentaire que le terme “Li” dans le verset : “Vé'assou Li Mikdach…” (“Et ils feront pour Moi un sanctuaire”) désigne précisément la capacité à agir “Lichma” “de manière désintéressée” uniquement pour Hachem.

Comme nous le voyons tout au long de la description de la construction du Michkan, les Bné Israël sont loués pour avoir agi “comme D.ieu l’avait ordonné à Moché”. Ils n’ont pas cherché à modifier les ordres de D.ieu, ils les ont simplement exécutés, et c’est précisément dans cette fidélité dénuée de calcul personnel qu’ils ont acquis leur grandeur et qu’ils ont permis à l’Eternel de trouver une place dans ce monde.

Nous comprenons ainsi qu’un des dangers qui menacent la présence de D.ieu sur terre réside dans la tentation de l’homme d’introduire ses calculs personnels et sa logique dans la pratique des commandements Divins. Or ces éléments sont de nature trouble, et leur composition échappe à l’homme lui-même. Ce dernier pense parfois qu’il s’agit simplement d’une logique naturelle, d’un bon sens légitime, et il ne perçoit pas leur côté subjectif façonné par les histoires individuelles, l’éducation, les apports des cultures environnantes éloignées de la Torah, les considérations d’égo… Or, tous ces éléments contribuent bien souvent à éloigner l’homme d’un service authentique de D.ieu. En nous rappelant que le sanctuaire doit être construit “Lichma” uniquement pour Hachem, et en répétant que les enfants d’Israël ont exécuté fidèlement les ordres de D.ieu, la Torah nous rappelle l’importance fondamentale d’accomplir les Mitsvot dans un but de Kédoucha, de sainteté, pour se rapprocher de l’Eternel et Le louer, depuis l’origine (la volonté, la pensée…) jusqu’à la réalisation concrète des commandements.

Pour comprendre ce principe, Rabbi 'Haïm Chmoulévitch nous rapporter un passage du Talmud (Ketouvot 103b) qui évoque les œuvres de Rabbi 'Hiya, un grand Maître de notre tradition. Ce dernier enseignait la Torah aux enfants dans les régions où il n’y avait pas de Talmud Torah. Et pour y parvenir, il écrivait lui-même le texte de la Torah sur des parchemins qu’il confiait aux enfants. Conscient de l’importance et de la sainteté de cette entreprise. Rabbi 'Hiya ne se contentait pas d’acheter des parchemins, mais il les fabriquait lui-même à partir de la peau d’animaux qu’il avait achetés et dont la viande avait permis de nourrir des orphelins. Comme l’explique le Gaon de Vilna, Rabbi 'Hiya avait pris soin que chaque étape de sa Mitsva soit orientée “Léchem Chamayim” (“pour la gloire de D.ieu”) et constitue ainsi en elle-même une Mitsva (Si’hot Moussar de R. H. Chmoulevitch, Pr. Lumbroso).

Il s’agit certes d’une très forte ambition mais elle vise probablement à amener l’homme à réfléchir au degré de raffinement extrême auquel la Torah le destine et qu’il lui appartient de mettre en oeuvre. Face à une telle ambition, l’homme peut être parfois déboussolé et se demander par quel bout commencer !

Nous pouvons alors nous référer au premier traité qui ouvre l’étude du Talmud, le traité de “Brakhot” qui prend soin de rappeler l’homme les différentes bénédictions et prières qui jalonnent la vie d’un homme. Elles constituent l’élément de base de la vie d’un homme, et elles sont récitées si souvent que l’homme peut perdre de vue leur signification profonde en s’en acquittant mécaniquement.

Et pourtant, à propos du verset (Dévarim 10-12) : « Et maintenant Israël, Qu’est-ce que (“Ma”) Hachem ton D.ieu te demande », nos Sages nous disent “Ne lis pas MA mais Méa (cent)”, conformément à ce que Rabbi Meir disait : “Tout un chacun a le devoir de dire 100 Brakhot [bénédictions] chaque jour”.

Comment est-ce possible que l’essentiel que ce que l’Eternel demande à l’homme se résume à réciter 100 bénédictions par jour ? Nous pouvons le comprendre à la lecture des développements précédents.

Si un homme prend soin de réciter ses bénédictions quotidiennes avec la concentration adéquate, en réfléchissant à accomplir la volonté de D.ieu de manière désintéressé, en se pénétrant de la bonté d’Hachem, alors il se rapproche effectivement chaque jour de D.ieu et il contribue à faire de lui-même un sanctuaire susceptible d’accueillir la présence Divine.

Nos Sages nous font remarquer à cet égard que les 100 bénédictions que l’homme récite chaque jour sont un rappel des 100 socles qui soutenaient le sanctuaires, nos bénédictions constituent le fondement même du sanctuaire spirituel que nous bâtissons en nous-mêmes.

C’est d’ailleurs dans ce sens que nos Maîtres ont compris la rupture de syntaxe dans notre verset entre le singulier “Vous Me ferez un sanctuaire”, et le pluriel qui suit “et Je résiderai en eux” (au lieu de dire “en lui”). Le Néfech Ha'haïm précise ainsi que la volonté de D.ieu est de résider à l’intérieur de chaque Ben Israël”.

Puissions-nous avoir le mérite, avec l’aide d’Hachem, de bâtir tout au long de notre vie, un espace intérieur de plus en plus raffiné susceptible d’accueillir la présence Divine.