« Il dit : "De grâce mon maître ! Envoie donc par la main [de celui que] Tu enverras !" La colère d’Hachem s’enflamma contre Moché, Il dit : "N’y a-t-il pas Aharon, ton frère, le Lévi ? Je sais que parler, il parlera, lui, et aussi, le voici sortant à ta rencontre, il te verra, il se réjouira en son cœur." » (Chémot 4,13-14)

« Tu feras un pectoral de jugement (’Hochen Michpat), ouvrage tissé… Tu mettras au pectoral de jugement les Ourim et les Toumim, ils seront sur le cœur d’Aharon lorsqu’il viendra devant Hachem… » (Chémot 28,15-30)

La Guémara (Chabbat 139a) affirme, au nom de Rabbi Milaï, que la joie qu’Aharon éprouva en son cœur lui fit mériter de porter le ’Hochen Michpat sur son cœur.

La présente Paracha nous parle de l’obligation de préparer des vêtements spéciaux pour Aharon et ses fils. L’uniforme ordinaire du Kohen était composé de quatre vêtements et celui du Kohen Gadol était composé de huit vêtements. L’un d’eux était le ’Hochen Hamichpat que le Kohen Gadol plaçait sur son cœur. La Guémara[1] explique qu’Aharon mérita de porter le ’Hochen Hamichpat sur son cœur, du fait qu’il se « réjouit en son cœur », quand il vit son jeune frère, Moché Rabbénou, revenir en Egypte avec le nouveau titre de dirigeant du peuple (ce qui signifiait qu’il prendrait sa place de dirigeant). Le ’Hochen Michpat n’était pas un simple vêtement, il était composé des Ourim Vétoumim.

Les commentateurs proposent plusieurs interprétations sur la joie d’Aharon. Comme précisé, ce fut elle qui lui donna le mérite de porter le ’Hochen Hamichpat. Le Maharcha précise que puisque Aharon se réjouit dans son cœur, mesure pour mesure, il mérita de porter le ’Hochen Hamichpat qui se positionne au niveau du cœur. Cela nous indique que sa joie n’était pas extérieure, mais qu’il était sincèrement heureux devant le succès de son petit frère, même si cela signifiait qu’il perdait sa place de chef.

Le Drachot Haran[2] propose une symbolique plus profonde sur le lien entre la joie d’Aharon et le ’Hochen Hamichpat. A quoi servaient les Ourim Vétoumim présents sur ce vêtement ? Si le peuple juif avait une question d’ordre national, on demandait au Kohen Gadol de la poser aux Ourim Vétoumim et les lettres du ’Hochen Hamichpat s’allumaient de façon à épeler la réponse miraculeusement communiquée. Ainsi, les Ourim Vétoumim équivalaient presqu’à une prophétie puisque le Kohen Gadol recevait les paroles d’Hachem. Le Ran souligne que la prophétie n’était pas forcément accordée au Kohen Gadol. Le rôle de ce dernier concernait la 'Avoda tandis que les prophètes avaient une mission tout à fait différente. Alors pourquoi était-ce précisément le Kohen Gadol qui était choisi pour communiquer avec Hachem via les Ourim Vétoumim, d’une manière pseudo-prophétique ?

Le Ran répond que c’est dû à la réaction d’Aharon quand il entendit que son frère allait diriger le peuple juif a sa place. Nos Sages enseignent qu’Aharon fut prophète durant les quatre-vingts ans où il dirigea le peuple juif avant que Moché Rabbénou ne le fasse[3]. Donc, il aurait été compréhensible qu’il éprouve une certaine peine à perdre sa place de chef et son titre de prophète. Mais c’est le contraire qui se produisit. Aharon ressentit une joie sincère quand il accueillit Moché qui venait d’être nommé dirigeant et prophète du peuple. Mesure pour mesure, en récompense pour cette joie, Aharon mérita la prophétie à travers le contrôle des Ourim Vétoumim.

Jusque-là, nous avons parlé de la joie d’Aharon devant la réussite de son frère. Voit-on une attitude réciproque de la part de Moché ? Rav ’Haïm Chmoulewitz[4] rapporte plusieurs versets qui prouvent que ce fut le cas. Il cite les versets de Téhilim[5] : « Cantique des degrés de David : Voici comme il est bon et comme il est doux à des frères de vivre dans une étroite union. C’est comme l’huile parfumée sur la tête, qui découle sur la barbe, la barbe d’Aharon, et humecte le bord de sa tunique. » Le Midrach[6] précise que le roi David fait référence aux deux frères, Moché et Aharon. Il explique que la répétition du mot « barbe » indique que lorsque l’huile coula sur la barbe d’Aharon, c’était comme si elle avait coulé aussi sur celle de Moché, parce que celui-ci ne faisait qu’un avec son frère. Donc, Moché considérait la joie d’Aharon comme la sienne.

Rav Chmoulewitz utilise cette idée pour expliquer une Guémara intéressante[7]. Devant le buisson ardent, après le refus de Moché de prendre la direction du peuple juif, la Torah nous raconte qu’Hachem se mit en colère[8], mais elle ne nous parle pas des conséquences de cette colère ni d’une quelconque sanction attribuée à Moché. D’ailleurs, Rav Yéhochoua ben Kor’ha affirme que c’est le seul endroit de la Torah où la colère d’Hachem ne fut pas suivie d’une punition. Mais Rabbi Yossi s’oppose et affirme que dès les mots qui suivent cet épisode, nous voyons une sanction. Hachem dit : « N’y a-t-il pas Aharon, ton frère, le Lévi ? Je sais que parler, il parlera… » Rabbi Yossi explique qu’en appelant Aharon « le Lévi », Hachem faisait allusion au fait que jusqu’alors, Aharon n’était censé être qu’un « simple » Lévi tandis que Moché devait être Kohen Gadol, mais qu’en punition pour son refus, Moché n'allait plus pouvoir être le Kohen Gadol et que ce serait Aharon qui allait remplir ce rôle. Dans ce débat, les deux Rabbanim n’ont pas la même compréhension des mots décrivant Aharon comme un Lévi. Toutefois, selon Rav Chmoulewitz, tous deux s’accordent à dire qu’Hachem faisait allusion à une sanction, mais Rav Yéhochoua ben Kor’ha comprend que Moché était à un tel niveau d’union avec son frère, qu’il ne ressentit aucune peine du fait qu’Aharon prenne sa place de Kohen Gadol.

Inutile de préciser que Moché et Aharon atteignirent un niveau incroyablement élevé de joie et de non-jalousie devant le succès et la gloire d’autrui. Il faut toutefois souligner que ce n’est pas une Midat ’Hassidout ; le Rambam estime qu’il s’agit de l’obligation fondamentale de « Véaavta Léréakha Kamokha », d’aimer son prochain comme soi-même. Il tranche que l’essence de cette Mitsva consiste à souhaiter le meilleur pour l’autre et à éliminer tout vestige de jalousie devant sa réussite. Moché et Aharon se distinguaient dans cette Mitsva ; puissions-nous mériter d’émuler leur exemple.

 

[1] Chabbat 139a.

[2] Drachot Haran 3, rapporté par Rav Issakhar Frand.

[3] Midrach Tan’houma, Chémot 27, rapporté par Rachi, Chmouel I 2,27 – Haniglé.

[4] Si’hot Moussar, Maamar 51.

[5] Téhilim 133,1-2.

[6] Vayikra Raba 3,6.

[7] Zéva’him 102a, rapport par Rachi, Chémot 4,14 – Vayi’har Af.

[8] Chémot 4,13.