Dans le traité Chabbath (88b), on peut lire : Au moment où Moché est monté sur les hauteurs, les anges du service divin dirent devant le Saint béni soit-Il : « Maître du monde ! Que vient faire ce fils de femme parmi nous ? » D.ieu leur répondit : « Il vient recevoir la Torah. » Les anges s’exclamèrent alors : « Le trésor caché ! Préservé par Toi depuis 974 générations avant la création du monde, Tu veux le donner à un homme de chair et de sang ! » Alors D.ieu dit à Moché : « Réponds-leur ! »

Moché dit à D.ieu : « Maître du monde ! Je crains qu’ils ne me brûlent de la fumée qui sort de leurs bouches. » D.ieu lui dit : « Tiens-toi à Mon trône glorieux et réponds-leur ! » Moché dit devant D.ieu : « Maître du monde ! La Torah que tu me donnes, qu’y a-t-il écrit ? « Je suis l’Éternel, ton D.ieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte » (Chémot 20, 2) et il dit aux anges : « Vous, êtes-vous descendus en Égypte ?! Avez-vous été soumis à Pharaon ? Que serait la Torah pour vous ? » Il ajouta : « Qu’y a-t-il écrit ? "Tu n’auras point d’autres Dieux que Moi" (Chémot 20,3). Êtes-vous installés parmi les nations qui servent des divinités étrangères ? » [...] Dès lors, les anges reconnurent Moché auprès du Saint béni soit-Il comme il est dit : « Que Ton Nom est glorieux par toute la terre ! » (Téhilim 8)

Ce passage soulève une difficulté flagrante :

Quelle était l’intention des anges lorsqu’ils refusèrent de donner la Torah aux enfants d’Israël ? Ne savaient-ils pas qu’elle ne leur était pas destinée, comme le leur a prouvé Moché ?

Le Maguid de Doubno propose de la résoudre au moyen de la parabole suivante :

Dans une grande ville, se trouvait un érudit de grand renom qui officiait en tant que Rav et Av Beth Din depuis de longues années. Son travail était important et nombreux étaient ceux qui sollicitaient ses conseils au quotidien. Arrivé à un certain âge, le Rav constata que ce poste était trop prenant pour lui et décida d’adresser une lettre aux administrateurs du village voisin pour leur proposer ses services. Là-bas, pensait-il, la tâche serait moins ardue puisque les fidèles étaient moins nombreux. Avant d’envoyer sa missive, le Rav appela les présidents de la communauté et demanda leur permission en expliquant la raison pour laquelle il souhaitait donner sa démission. Comprenant sa position, ces derniers donnèrent leur accord et lui souhaitèrent beaucoup de réussite dans son futur poste. Les villageois reçurent la lettre du Rav et honorés par sa proposition, ils s’empressèrent de lui envoyer des fiacres décorés pour le conduire à leur village.

Quand les calèches arrivèrent devant la maison du Rav, les notables de la ville se rassemblèrent devant sa porte et l’empêchèrent de partir.

« Je vous ai pourtant demandé votre avis avant de quitter la ville, s’étonna le Rav, et vous m’avez même donné votre accord. Pourquoi me retardez-vous maintenant ?

- Loin de nous une telle idée, répondirent les présidents de la communauté. Partez en paix et que D.ieu soit à vos côtés. »

Alors que les cochers s’affairaient à charger les bagages du Rav, les notables se ruèrent vers eux et les tirèrent hors de leurs calèches. Ils coupèrent les rênes de leurs montures et s’écrièrent : « Vous désirez enlever notre éminent Rav et nous priver de sa présence ? Partez d’ici et ne revenez plus jamais ! » Effrayés par l’attitude des habitants, les cochers coururent vers le Rav et lui racontèrent l’attaque qu’ils venaient de subir. Sans plus attendre, le Rav appela les présidents de la communauté.

« Que signifie ce manège ?, s’indigna-t-il.

- Notre maître, répondirent les notables, c’est pour votre honneur que nous agissons ainsi. En effet, puisque vous avez proposé aux villageois vos services, ceux-ci risquent d’en conclure à tort que nous vous avons chassé de notre ville. Voilà pourquoi nous tenons à leur montrer combien nous nous opposons à votre départ et combien la séparation nous est difficile ! »

De même, conclut le Maguid de Doubno, lorsque Moché Rabbénou monta vers l’Éternel pour recevoir la Torah, les anges savaient pertinemment qu’elle ne leur était pas destinée à eux mais aux enfants d’Israël. Toutefois, ils ne voulaient pas que ces derniers s’imaginent qu’eux-mêmes ne désiraient pas recevoir la Torah et qu’ils avaient donc accepté volontiers que D.ieu la descende sur terre pour l’offrir aux êtres humains. Ils tentèrent donc de porter atteinte à Moché Rabbénou afin de lui prouver l’importance considérable que la Torah revêtait à leurs yeux !

De son côté, le ’Hida propose d’illustrer ce même passage talmudique au moyen de la parabole suivante :

Un riche commerçant avait deux fils qui vivaient dans un pays d’outre-mer. Un jour, il leur envoya une tunique dont il remplit les poches de pierres précieuses. Lorsque le précieux cadeau arriva à bon port, une vive dispute éclata entre les deux enfants, chacun prétendant que le vêtement et son contenu lui étaient destinés.

Incapables de résoudre ce litige à l’amiable, nos deux hommes se tournèrent vers le Beth Din. Interrogé par les juges, l’aîné démontra à l’aide de preuves flagrantes que son père lui vouait une grande affection et que par le passé, il lui avait même envoyé une lettre laissant entendre qu’il désirait lui faire parvenir un certain cadeau. En outre, poursuivit l’homme, quelque temps auparavant, des voyageurs en provenance de sa ville natale lui avaient dit que son père leur avait demandé s’ils le connaissaient. N’était-ce pas là une preuve irréfutable que son père espérait profiter de leur voyage pour lui faire parvenir un colis ?

« Qu’as-tu à dire pour ta défense ? demandèrent les juges au cadet.

- Je n’accumulerai pas de preuves, répondit ce dernier, mais je me contenterai d’un seul argument. Mon frère aîné est grand et robuste tandis que moi, je suis petit et mince. Or le vêtement que notre père a envoyé est exactement à ma taille. C’est donc la preuve qu’il m’est destiné. »

À défaut d’autre choix, le frère aîné fut contraint de reconnaître que le cadeau revenait effectivement à son cadet.

De même, conclut le ’Hida, lorsque les anges prétendirent que la Torah leur était destinée, Moché Rabbénou aurait pu réfuter leur position en faisant valoir son propre droit dessus. Mais sachant qu’une telle démarche l’aurait engagé dans un débat sans fin, il préféra leur apporter des preuves que la Torah était totalement inadaptée à leur mode de vie. Et face à un tel argument, les anges s’inclinèrent sur-le-champ, en s’écriant : « Ô notre D.ieu, que Ton Nom est glorieux par toute la terre ! »