Un verset de la paracha de cette semaine, parmi tant d’autres, a fait l’objet d’une étude attentive des Maîtres du Talmud. Il s’agit du verset suivant « Fais le silence et écoute, ô Israël ! En ce jour, tu es devenu le peuple de l’Eternel ton D.ieu » (Devarim 27.9).

Nos Sages s’interrogent sur les mots employés dans ce verset « en ce jour » alors que cela fait près de quarante ans que la Torah a été donnée aux Bnei Israël ! Et de conclure « En fait, ce verset veut nous enseigner que la Torah doit rester aussi précieuse aujourd’hui, à ceux qui l’étudient jour après jour, qu’elle ne l’était le jour où elle nous fut donnée au Mont Sinai » (Berakhot 63 b)

Le Rav ‘Haim Chmoulevitch dans ses célèbres enseignements intitulés Si’hot Moussar (traduit en français par le Pr. Lumbroso) s’intéresse en profondeur à cette idée et souligne combien il est impératif d’accorder une importance toute particulière à la Torah pour y percevoir sa richesse et se rapprocher de l’Eternel.

Il faut reconnaître qu’il s’agit d’un grand défi que de préserver un élan spontané, une capacité d’émerveillement et de fascination pour des textes que nous lisons de manière aussi régulière, des rites et des prières que nous accomplissons chaque jour, voire plusieurs fois par jour. La nature humaine a vite fait d’émousser les sentiments puissants qui accompagnent la découverte d’une idée, d’une pratique, et l’écueil de la banalisation n’est jamais loin.

C’est précisément contre cette menace que les Maîtres du Talmud veulent nous mettre en garde. Non pas qu’il serait simplement « inconvenant » de ne pas accorder tout le respect qui est dû à la Torah (ce qui serait déjà inacceptable), mais surtout car, en banalisant la relation au « sacré », à la « kedousha » que porte en elle la Torah, l’homme risque de passer à côté de tout ce qu’elle peut lui apporter.

Voilà pourquoi Rabbi Yossi ben Yo’ezer nous enjoint dans les Pirke Avot à « boire avec avidité les paroles des Sages » (Avot, 1.4), c’est-à-dire « comme s’il ne les avait jamais entendues » nous précise l’auteur du Ha’hassid Y’abetz.

C’est ainsi que l’homme doit essayer d’entretenir une relation de « nouveauté » avec la Torah, une capacité à s’émerveiller même d’enseignements que nous aurions déjà entendus à plusieurs reprises. 

Comment est-ce possible ?

Revenons sur les termes employés dans l’enseignement des Maximes des Pères. Faut-il préciser que pour « boire avec soif », il faut au préalable ressentir le sentiment de « soif », de « manque » et être désireux de le combler ? Celui qui « n’a pas soif », qui pense tout connaître, qui n’est pas ouvert à la sagesse d’autrui, qui n’est pas en quête du « Emet », qui ne donne pas de crédit à la parole qu’il écoute ne risque pas de ressentir une émotion face à un enseignement, qu’il soit innovant ou non.

En revanche, celui qui cherche à progresser, à s’améliorer, celui qui est à l’écoute d’autrui et de sa part de vérité, bref celui qui a « soif de sagesse », celui-là est susceptible de percevoir la force de la Torah, la profondeur des enseignements des Sages, et est enclin à se rapprocher de l’Eternel.

Le sentiment de nouveauté qui fait naître un émerveillement ne tient finalement pas à la nature de ce que nous lisons ou entendons mais il tient, avant tout, à l’état d’esprit avec lequel nous accueillons ce qui se présente à nous. Celui qui est persuadé que la Torah a une richesse insondable, que ses enseignements sont infinis saura sans aucun doute prêter une attention toute particulière à ce qu’il étudiera, et il sera enclin à faire naître de nouvelles idées qui l’émerveilleront et ne nourriront. Inversement, celui qui pense avoir déjà entendu une idée, avoir fait le tour d’une question, il peut être sûr qu’il passe à côté de beaucoup d’idées auxquelles il n’a pas donné la chance de pénétrer dans son esprit. 

A cet égard, rappelons ce que nous enseignent les maîtres du Talmud : il est possible de trouver des montagnes et des montagnes d’enseignements à partir de chaque point des lettres de la Torah.

Aussi, nous comprenons le choix de la Torah d’exhorter les hommes à considérer chaque jour de leur vie comme le jour où ils ont reçu la Torah afin de ne pas laisser de place, en matière de Kedousha, à la routine, à la banalisation, au sentiment de « déjà-vu » qui empêche l’homme de l’élever et de progresser continuellement.

Cet enseignement pourrait probablement se décliner sur tous les enjeux essentiels de nos vies. Conserver cette quête de perfectibilité, cette envie de faire mieux, ce désir d’apprendre toujours plus est probablement une des clefs de l’épanouissement individuel. Chaque jour devient une opportunité de s’améliorer, de prendre de nouvelles initiatives, de faire du bien autour de soi. 

Il était nécessaire de relire cet enseignement durant le mois de Eloul, un mois propice aux nouvelles résolutions et à la Teshouva, au repentir. La Torah nous enseigne ainsi que ce n’est pas le passé qui détermine l’homme mais le présent, ce que je décide de faire ou simplement de penser ici et maintenant. Nul ne peut préjuger des capacités d’un homme qui, armé de foi, d’espoir et de détermination, décide de changer sa vie.

C’est à cet exercice que nous engage notre tradition, notamment dans ce mois de Eloul : puiser en nous cette force de renouvellement, ce désir de progresser, et cette détermination à se rapprocher de l’Eternel.

« Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets » (Divagations). Ces mots de Mallarmé nous rappellent la foi du poète dans sa capacité à faire émerger des idées nouvelles, « une nouvelle fleur », à l’aide de mots pourtant éculés à force d’être employés.

Notre tradition, elle, a foi dans la capacité de l’homme à ne pas se satisfaire d’une pratique mécanique des mistvot, d’une perception routinière des enseignements de la Torah, et, finalement, D.ieu nous en préserve, d’une relation lointaine à l’Eternel. 

La Torah sait que l’homme a les ressources pour cultiver dans son cœur et dans son âme le désir ardent de se rapprocher toujours davantage de son Créateur, en abordant la Torah avec avidité, enthousiasme, et authenticité.

L’Eternel sait que chaque homme a la possibilité de formuler chaque jour, avec les mêmes mots que la veille, une nouvelle prière qui n’avait jusqu’ici été prononcée par aucun homme.