La lecture de la paracha de Ki Tavo nous rappelle que nous ne sommes plus qu’à quelques jours de Roch Hachana. Nos Sages l’ont délibérément prévu à l’approche du jour de Jugement afin que ces versets terribles rappelent à l’homme l’enjeu fondamental de sa Techouva, et l’incitent à améliorer sa relation à D.ieu et aux hommes.

Ces versets ne peuvent laisser aucun lecteur indifférent, évoquant d’une part de merveilleuses bénédictions, puis mentionnant des passages parmi les plus difficiles de notre tradition. L’homme est ainsi mis face à ses responsabilités, et il lui appartient de mobiliser son libre arbitre dans la meilleure direction. C’est là notamment un des sens de cette période de Techouva, d’introspection et d’amendement de son comportement : rappeler à l’homme qu’il est fondamentalement libre de choisir la voie dans laquelle il s’engage : la bénédiction, ou D.ieu nous en préserve, une autre voie.

Il faut toutefois reconnaître que l’homme n’a pas toujours le sentiment d’être libre, il a parfois le sentiment d’être embarqué dans une vie qui lui laisse peu de marges de manœuvre pour changer de direction, ou pour modifier les décisions qu’il a prises dans le passé. Un tel individu peut être tenté par la résignation, ou pire le désespoir.

Nos Sages nous disent pourtant que « le désespoir » n’existe pas, et que l’homme a la possibilité de « réparer » toutes ses erreurs. Et, à cet égard, nous pouvons identifier dans la paracha deux vertus susceptibles de nous aider à avancer dans cette voie.

La première réside dans les versets relatifs aux « Bikourim », les premiers fruits que les agriculteurs devaient apporter au Temple à Jérusalem. Lorsqu’ils les offraient au Grand Prêtre, ils devaient prononcer les mots suivants : « Enfant d'Aram, mon père était errant, il descendit en Egypte, y vécut étranger, peu nombreux d'abord, puis y devint une nation considérable, puissante et nombreuse. Alors les Egyptiens nous traitèrent iniquement, nous opprimèrent, nous imposèrent un dur servage. Nous implorâmes l'Éternel, Dieu de nos pères; et l'Éternel entendit notre plainte, il considéra notre misère, notre labeur et notre détresse, 8 et il nous fit sortir de l'Egypte avec une main puissante et un bras étendu, en imprimant la terreur, en opérant signes et prodiges; et il nous introduisit dans cette contrée, et il nous fit présent de cette terre, une terre où ruissellent le lait et le miel. Or, maintenant j'apporte en hommage les premiers fruits de cette terre dont tu m'as fait présent, Seigneur ! » (Devarim, 26, 5-10)

Ces mots sont les mêmes que ceux qui scandent la Hagada de Pessah’. Ils viennent rappeler à l’homme, au paroxyisme de sa joie (la récolte des premiers fruits pour un agriculteur, ou l’accession à la liberté pour un ancien esclave), qu’il doit son bonheur avant tout à la providence divine qui lui permet de connaître au cours de sa vie des changements radicaux, et de ressentir de grands bonheurs. Ils invitent l’homme à mesurer combien l’aide de l’Eternel est grande, forte et permanente, à l’image de cette graine minuscule qui s’est décomposée dans le sol, puis a donné naissance à des fruits délicieux. Combien était-il improbable d’arriver à un tel résultat ! Combien d’obstacles auraient pu compromettre ce projet ! Et pourtant, l’homme, aidé par Hashem, y est parvenu !

Peut-être sommes-nous invités à mesurer que cette même aide providentielle est à notre disposition pour nous aider à faire Techouva, à réaliser des progrès que nous ne soupçonnons même pas, et atteindre ainsi un plus grand épanouissement. En développant notre gratitude vis-à-vis des miracles que l’Eternel a fait pour nos ancêtres, nous trouvons précisément la force de ne pas céder aux sirènes de la résignation et du désespoir, et nous mesurons combien il est possible de changer de vie, et de corriger les imperfections qui nous éloignent de notre épanouissement. C’est peut-être là une des raisons pour laquelle nous lisons ces mêmes versets aux deux moments phares de l’année : lors du Seder de Pessah, et à l’approche de Roch Hashana.

La deuxième vertu que notre paracha met en lumière est celle de la joie, et plus précisément de notre ardente obligation de servir Hashem dans la joie ! En effet, au terme des versets difficiles où la Torah évoque les conséquences funestes de ne pas suivre la loi donnée par D.Ieu, la Torah mentionne l’origine de toutes ces difficultés « Et parce que tu n'auras pas servi l'Éternel, ton Dieu, avec joie et contentement de cœur, au sein de l'abondance » (Dévarim, 28-47).

Nous sommes toujours surpris que l’origine de la faute ne réside pas tant dans l’acte lui-même, on ne sanctionne pas une transgression, mais dans le sentiment qui a accompagné l’acte. La Torah nous rappelle ainsi que ce qui « interesse » l’Eternel n’est pas tant que l’homme s’acquitte formellement de ces « devoirs religieux », c’est nécessaire certes, mais ce qui intéresse Hashem réside plutôt dans la joie et la satisfaction que va ressentir le fidèle. Celle-ci est liée à la chance inouïe offerte à l’homme de servir l’Eternel, d’accomplir Sa volonté, d’avoir la possibilité de se lier à Lui par la mitsva, et de susciter ainsi la bénédiction.

La pratique religieuse est toujours menacée par cet écueil : faire de l’acte matériel une fin en soi, et négliger l’impact que cet accomplissement doit avoir en nous. Or, c’est précisément ce sentiment de joie, d’épanouissement, de satisfaction qui accompagne la mistva que recherche l’Eternel car il permet de construire l’homme et de donner une pérennité à la relation qui le lie à son Créateur. En effet, seule une pratique religieuse empreinte de joie et de satisfaction est porteuse de vitalité et est susceptible de s’inscrire dans la durée et de se transmettre aux générations futures.

Armé de ces deux vertus, gratitude d’une part, joie d’autre part, l’homme est en mesure de percevoir avec plus d’acuité l’ensemble des possibilités qui s’offrent à lui tout au long de sa vie, de les saisir, et de se rapprocher chaque jour davantage du Maître du monde. Puisse l’Eternel nous aider à avancer dans cette direction !