La Torah répète les Dix Commandements dans cette Paracha, avec quelques changements par rapport à ceux énoncés dans Séfer Chemot. L’un d’eux figure dans la Mitsva de respecter le Chabbat. Dans Yitro, il est dit : « Zakhor Eth Yom Hachabbat Lékadécho… »[1] — souviens-toi du Chabbat pour le sanctifier. Et dans la Paracha de cette semaine, la Torah enjoint : « Chamor Eth Yom Hachabbat Lékadécho… » — garde le Chabbat pour le sanctifier.

On peut comprendre qu’il faille se garder d’effectuer une Mélakha durant Chabbat, mais que signifie « garder la Chabbat » ?[2] Rav Steinman propose une réponse basée sur l’explication du ’Hizkouni.

Ce dernier rapporte un verset de Béréchit, concernant la réaction de Yaacov Avinou aux rêves prémonitoires de Yossef. « Véaviv Chamar Eth Hadavar »[3] — son père « garda » la chose. Rachi explique que dans ce contexte, « Chamar » signifie qu’il resta dans l’expectative, il attendit de voir quand ces prophéties se concrétiseraient. Dans le même ordre d’idées, le ’Hizkouni explique que l’injonction de « Chamor Eth Yom Hachabbat » nous demande d’attendre l’arrivée du Chabbat. Les Mitsvot relatives à la préparation et à l’attente du Chabbat sont généralement des Mitsvot Dérabanane de Kevod Chabbat. Mais le ’Hizkouni montre que même la Torah y fait référence.

Le Ramban aussi trouve une source de la Torah au fait de penser au Chabbat durant la semaine, dans l’autre version des Dix Commandements, quand la Torah dit : « Zakhor Eth Yom Hachabbat »[4]. Le Ramban estime qu’il y a une Mitsva de se souvenir du Chabbat chaque jour, car nous nous rappelons ainsi de la Création du monde qui culmina avec le Chabbat.

Le ’Hokhmat Adam[5] écrit que lorsque l’on compte les jours de la semaine, on garde Chabbat comme référence. Par exemple, le dimanche est le premier jour depuis le Chabbat précédent. L’auteur du Chmirat Chabbat Kéhilkhéta[6] affirme que celui qui compte les jours en mentionnant le Chabbat accomplit la Mitsva de « Zakhor Eth Yom Hachabbat ». C’est le cas lorsque l’on énonce le jour avant de réciter le Chir Chel Yom. Le Mékor ’Haïm[7] écrit que même les jours de Roch ’Hodech et Yom Tov, bien que plusieurs communautés n’aient pas l’habitude de dire le Chir Chel Yom, il convient de mentionner le jour de la semaine, en référence au précédent Chabbat, pour accomplir la Mitsva de « Zakhor Eth Yom Hachabbat ».

Pourquoi est-ce si important, selon le Ramban et le ’Hizkouni, que la Torah parle de l’attente du Chabbat durant la semaine ? Premièrement, le Chabbat est le fondement de notre foi en la Création du monde – en cessant toute activité le septième jour, nous nous souvenons qu’Hachem créa le monde en six jours et qu’Il se reposa le septième jour.

Une analyse plus approfondie nous mène vers une idée développée dans Parachat Vayakel. Cette Paracha commence par l’injonction d’observer le Chabbat : « Durant six jours, le travail sera effectué, et le septième jour sera saint pour vous, un jour de repos complet pour Hachem, celui qui y travaillera sera mis à mort »[8]. Les commentateurs se penchent sur les termes employés par la Torah dans ce verset. On aurait dû lire : « Durant six jours, tu travailleras », à la voix active, plutôt que « le travail sera effectué ».[9]

Ils expliquent que la Torah nous enseigne l’attitude à prendre pour avoir la force de s’abstenir de faire une Mélakha (action interdite) pendant Chabbat. Tout au long de la semaine, nous sommes tenus de travailler pour subvenir à nos besoins, il ne convient pas de rester assis et d’attendre que D.ieu nous nourrisse, si l’on ne fournit aucun effort. Notre Hichtadlout est nécessaire à cause du décret d’Hachem après la faute d’Adam Harichon. Mais en réalité nos efforts ne sont pas la source de notre réussite, seul Hachem en est à l’origine. Pendant Chabbat, Hachem nous ordonne de cesser toute activité créatrice pour intérioriser ceci. Celui qui pense que ses efforts sont à l’origine de sa subsistance, aura beaucoup de mal à arrêter de travailler pendant Chabbat ; il pense que plus il travaille, plus il gagne et il est donc normal de travailler pendant Chabbat comme le reste de la semaine. Pour répondre à cette attitude erronée, la Torah nous demande de considérer le travail effectué à la voix passive, car en réalité, nous ne faisons pas le travail, il est accompli. C’est Hachem, si l’on peut s’exprimer ainsi, qui travaille pour subvenir aux besoins de chacun. Savoir ceci nous aidera à garder le Chabbat[10].

De plus, cela nous aide à comprendre que l’idée de travailler pour gagner sa vie, n’est qu’illusion, car la véritable existence est celle du Chabbat, quand tout est fait pour nous. Rav Chalom Chwadron compare ceci à un homme peu futé, qui passe ses journées à diriger les voitures selon le feu tricolore. Les conducteurs l’ignorent et suivent d’eux-mêmes la signalisation, mais cet homme s’imagine qu’il fluidifie la circulation. De la même manière, certains croient qu’ils gèrent leur vie, alors qu’en fait ils s’occupent d’une circulation qui se gère toute seule – on doit faire une Hichtadlout, mais aussi se souvenir de Celui Qui dirige le monde. Chabbat nous aide à cela.

En attendant le Chabbat toute la semaine durant, on intériorise son message. Puissions-nous tous mériter de vivre le moment où tout ne sera qu’un seul long Chabbat.



[1] Dévarim, 5:12.

[2] On pourrait expliquer qu’il faut garder la sainteté du Chabbat et empêcher sa profanation par les Mélakhot.

[3] Béréchit, 37:11.

[4] Chemot, 20:8.

[5] ’Hayé Adam, Chabbat, Klal 1, Séif 1.

[6] Chmirat Chabbat Kéhilkhéta, 2ème Volume, Chap. 42, note 11.

[7] Siman 271, Séif 3

[8] Vayakel, 35:2.

[9] Voir Parachat Yitro, 20:9, où il est dit : « Tu travailleras » et Parachat Ki Tissa, 31:5 où il est écrit : « Le travail sera effectué ».

[10] Voir Tallelé Orot, Parachat Vayakel, p. 279 ; Darké Moussar, Parachat Vayakel, p. 136-137.