« Tu ne haïras pas ton frère en ton cœur ; réprimander, tu le réprimanderas ton semblable et tu ne porteras pas sur lui de péché. » (Vayikra 19,17)

La Torah interdit de haïr son compatriote juif, qu’elle qualifie de « A’hikha – ton frère ». La Guémara (Pessa’him 113b) enseigne que si l’on voit quelqu’un pécher délibérément, il est permis de le haïr parce qu’il ne fait plus partie de la catégorie « A’hikha ». Rav Nachman Bar Its’hak estime qu’il convient de le haïr jusqu’à ce qu’il se repente.

Sur la base de cette Guémara, le Rambam tranche que c’est une Mitsva de haïr le pécheur.[1] Par ailleurs, il parle de la Mitsva d’aimer chaque Juif, même celui qui a commis une faute, tant qu’il croit aux treize principes de foi. [2] Le ’Hafets 'Haïm met cette contradiction en avant – comment peut-on haïr et aimer la même personne en même temps ?[3]

Le Rav Its’hak Berkovits suggère une explication basée sur une interprétation de Tossefot, dans la Guémara. Dans le passage de Guémara précité, on affirme qu’il est permis de haïr un pécheur. Or, dans le traité Baba Métsia, on évoque le cas de celui qui se trouve devant un choix entre deux Mitsvot ; aider un Juif à charger sa bête ou aider un Juif à décharger sa bête (Téina ou Prika). Qui a la priorité ? Normalement, la Prika a préséance, car le fait de soulager un animal qui porte une lourde charge ajoute l’aspect de Tsaar Ba'alé ’Haïm. Par contre, si l’individu qui a besoin de décharger sa bête est un ami et que celui qui a besoin de charger son animal est un ennemi, la Halakha enjoint de dominer son Yétser Hara' et d'aider la personne que l’on déteste. Tossefot présume que la cause de la haine est une faute commise, auquel cas il est permis de haïr.[4] Alors pourquoi faudrait-il surmonter sa haine qui provient du Yétser Hara' s’il est permis, voire obligatoire de haïr cette personne ?

Tossefot répondent que lorsque la personne hait son prochain qui a fauté, le pécheur la hait en retour et cette haine se reflète à nouveau sur ce dernier. L’individu entretient alors une haine « complète » envers le pécheur, pour laquelle il faut surmonter son Yétser Hara'.

Le Ma’hatsit Hachékel[5] ajoute que lorsqu’une personne déteste un pécheur, celui-ci rendra cette haine de manière personnelle, ce qui entraînera un niveau de haine plus élevé, au point que même si le pécheur se repent, la personne le haïra toujours. Rav Berkovits souligne que la haine initiale est centrée sur les actions du pécheur, mais le deuxième niveau de haine est personnel. Ce type de haine est interdit. Cela nous aide à résoudre la contradiction soulevée dans les écrits du Rambam : il nous incombe d’aimer son compatriote juif, même s’il faute, mais parallèlement, nous sommes tenus de haïr ses mauvaises actions.

Le Ba'al Hatania a une approche légèrement différente qui explique comment on peut simultanément aimer et haïr un pécheur. Il explique qu’il faut haïr le mal qui est en lui, et en même temps, aimer son essence qui est bonne. Il ajoute que lorsque David Hamélekh dit (dans le Séfer Téhilim) qu’il haïssait les pécheurs, cela faisait référence aux Apikorsim (renégats) uniquement.

Ainsi, quand nos Sages nous enjoignent de « haïr » les pécheurs, cela vise uniquement leurs actions négatives, ou les mauvais aspects qui sont en eux. Mais nous devons toujours aimer leur essence.

Notons que de manière générale, à l’époque de nos Sages, celui qui péchait avait été élevé dans l’observance de la Torah, mais l’avait volontairement rejetée. Dernièrement, la grande majorité des « pécheurs » n’ont pas de connaissances suffisantes en Torah et en Mitsvot. Bon nombre de décisionnaires les classent dans la catégorie de « Tinok Chénichba » - littéralement des « enfants capturés », pour faire référence aux Juifs élevés comme des non-juifs. Ils ne sont pas considérés comme des pécheurs délibérés et il est interdit de les haïr, sous quelque forme que ce soit ; nous devons les traiter avec amour et égards.[6]

Puissions-nous tous mériter de faire la distinction entre haïr les actions et l’essence du pécheur.

 

[1] Rambam Michné Torah Hilkhot Rotséa’h Ouchmirat Hanéfech, Halakha 14

[2] Rambam Pirouch Hamichnayot, Sanhédrin, chapitre 10, principe 13.

[3] Ahavat ’Hessed, chapitre 3, Nétiv Ha’hessed.

[4] Tossefot dans Baba Métsia (et bien d’autres Richonim) expliquent qu’il n’est pas permis de haïr « l’ennemi » évoqué ici

[5] Ma’ahatsit Hachékel, Ora’h ’Haïm Siman 156, Séif Katan 2. Il s’agit d’un commentaire sur le Maguen Avraham, sur le Choul’han 'Aroukh.

[6] Malheureusement, il arrive souvent que des Juifs élevés dans la pratique des Mitsvot quittent le droit chemin pour diverses raisons. Leur statut Halakhique fait l’objet de discussions importantes. Rav Berkovits estime qu’ils doivent être considérés avec amour et égards, et non être la cible d’un jugement sévère.