Parmi les personnages qui traversent le livre de Béréchit, la figure de Yéhouda intervient à de nombreuses reprises, notamment lors d’épisode d’une grande intensité où il joue un rôle déterminant. L’observation de ses qualités permet de comprendre pourquoi lui et sa descendance furent choisis pour incarner la royauté.

Le premier épisode notoire dans la vie de Yéhouda fut narré dans la Paracha Vayéchev que nous avons lue la semaine dernière, à propos de la vente de Yossef. Alors que les frères avaient décidé de tuer leur frère Yossef, Yéhouda va les convaincre de ne pas mettre leur projet à exécution, mais de le vendre comme esclave. « Yéhouda dit à ses frères : "Quel avantage, si nous tuons notre frère et si nous scellons sa mort ? Venez, vendons-le aux Ismaélites et que notre main ne soit pas sur lui, car il est notre frère, notre chair !" Et ses frères consentirent. » (Béréchit, 37, 26-27) Non pas que Yéhouda ne soit pas convaincu de la justesse du verdict prononcé par les frères selon la Halakha, mais il était travaillé par l’impossibilité d’assumer cet acte devant leur père Ya'acov. Or, comme le dit le Rav 'Haïm Shmoulewitz, un verdict dont on ne peut assumer les conséquences n’est pas un verdict acceptable. Yéhouda ressent intimement cette nécessité dans certaines situations de juger « Lifnim Michourat Hadin », c’est-à-dire de dépasser le cadre strict de la loi. Il fait preuve à la fois de qualité analytique « Quel avantage… » mais aussi d’humanité et de sensibilité « car il est notre frère, notre chair ! ». La combinaison de ces qualités d’esprit et de cœur sont le propre des grands hommes, capables de convaincre, d’inspirer et de guider. Et, de fait, il obtiendra immédiatement l’adhésion de ses frères à sa proposition.

Quelques versets plus loin, la figure de Yéhouda apparaît à nouveau lors du fameux épisode relatant son union avec Tamar. À nouveau, nous voyons Yéhouda assumer ses responsabilités, quelles que soient les conséquences pour son honneur et sa notoriété. En effet, lorsque Tamar lui apportera les preuves de leur union, il les reconnaîtra publiquement immédiatement avec une grande humilité. Au lieu de condamner à mort Tamar, il célèbre sa grandeur et reconnait sa responsabilité. «  Yéhouda les reconnut et dit : "Elle est plus juste que moi, car il est vrai que je ne l'ai point donnée à Chéla mon fils. » (Béréchit 38-26). Ce faisant, il a ouvert la voie au futur Machia'h, rédempteur de l’humanité qui sera le descendant de cette union placée sous le signe d’un double esprit de responsabilité et d’effacement de soi : celui de Tamar prête à se laisser tuer plutôt que de faire honte à Yéhouda, et celui de Yéhouda qui est prêt à s’humilier publiquement plutôt que de fuir sa responsabilité.

Enfin, dans la Paracha de cette semaine, Yéhouda revient à la manœuvre dans une situation particulièrement épineuse. Rappelons le contexte : Yossef est alors vice-roi d’Égypte, et il accuse ses frères (qui ne l’ont pas reconnu) d’être des espions. Yossef emprisonne Chim'on, et il exige qu’on lui apporte Binyamin, resté auprès de Ya'acov, pour attester la sincérité de ses frères. Toutefois, Ya'acov refuse d’envoyer son plus jeune fils au risque d’être lui aussi emprisonné. Cette situation n’est toutefois pas tenable, car la famine menace et ils ne pourront y échapper qu’en retournant en Égypte afin d’y acheter des provisions.

Réouven, le fils aîné, a une bonne intuition mais la solution qu’il propose n’est pas opérante car trop exaltée par l’émotion. Il suggère en effet de se porter garant que Binyamin ne sera pas emprisonné et affirme que s’il échoue, il est prêt à ce que ses deux fils meurent, D.ieu préserve.

Yéhouda intervient après lui en se portant garant lui-même de la réussite de la mission, et en s’engageant à supporter lui-même la responsabilité d’un échec « tous les jours de sa vie », quitte à perdre sa part dans « le monde futur ». (Rav H. Shoumlevitch, Sihot Moussar, trad. Pr. F. H. Lumbroso).

C’est précisément cette démarche de responsabilité individuelle qui achève de convaincre Ya'akov de laisser partir Binyamin. Et de fait, son engagement ne sera pas feint, il proposera plus tard à Yossef de rester lui-même esclave auprès de lui à la place de son frère Binyamin.

Yéhouda achève alors le « Tikoun », la « réparation » de la faute originelle à l’égard de Yossef mue notamment par la jalousie vis-à-vis de ce frère pour lequel Ya'akov avait une tendresse particulière. En effet, Binyamin est aussi un enfant choyé par son père, le plus jeune de la fratrie, et le fils de Ra'hel, l’épouse bien aimée de Ya'akov. Toutefois, cet élément n’a plus tellement d’importance aux yeux de Yéhouda qui semble avoir compris que son rôle et sa vocation ne dépendent pas de la relation que son père entretient affectivement avec ses frères, mais davantage de la mission qu’il s’assigne à lui-même et des responsabilités qu’il est prêt à endosser.

C’est précisément cette approche qui va déterminer la ligne de conduite de Yéhouda et qui va lui permettre de jouer un rôle de premier plan dans l’histoire. Elle va aussi lui permettre de trouver une grâce particulière aux yeux de son père qui lui reconnaîtra ainsi sa vocation royale  « Le sceptre n'échappera point à Yéhouda, ni l'autorité à sa descendance, jusqu'à l'avènement du Machia’h auquel obéiront les peuples. » (Béréchit 49-10).

À travers son intuition mais aussi son intelligence analytique, à travers sa sensibilité mais aussi son sens des responsabilités, Yéhouda s’est montré digne d’incarner un leadership éclairé pour sa fratrie et, à travers l’histoire, pour le peuple d’Israël.