Les deux Parachiot que nous lisons cette semaine, Vayakhel et Pékoudé, achèvent la lecture du second livre de la Torah, le livre de l’Exode. Au cours de ces chapitres, nous avons assisté à la transformation de la famille de Ya'akov en un grand peuple, et à la multitude de miracles dont l’Éternel a gratifié le peuple pour lui permettre de passer de la servitude à la liberté, et lui transmettre la Torah.

La deuxième partie du livre de l’Exode nous a décrit notamment la construction du Michkan, un lieu de « résidence » pour l’Éternel au milieu de Son peuple. Comme nous l’avons vu, cette construction a été possible grâce à la très grande générosité du peuple qui a offert spontanément l’ensemble des matériaux nécessaires pour ce projet très ambitieux.

Les Sages du Midrach nous rappellent que certaines personnes observaient Moché Rabbénou et émettaient des doutes sur son honnêteté. En effet, ayant collecté tout l’argent et ayant orchestré l’ensemble du projet, certains prétendaient qu’il avait probablement prélevé une partie des richesses à son propre profit. Cette accusation est venue aux oreilles de Moché qui décida séance tenante de lever toute ambiguïté à ce sujet en faisant l’inventaire exact des sommes collectées et de leur affectation.

Aussi, le début de notre Paracha de « Pékoudé », « les comptes », nous décrit l’inventaire qui a été fait de toutes les richesses utilisées pour bâtir le Michkan et démontrer ainsi que rien, absolument rien, n’a été utilisé pour un profit personnel.

Cet épisode nous rappelle l’importance de l’honnêteté dans notre tradition. Nos Sages (Ba’al Hatourim) nous enseignent que le mot « Pékoudé » est écrit de manière complète avec un « Vav » dont la valeur numérique est « six » afin de nous enseigner que la comptabilité à laquelle se livre Moché a été faite devant les « six » cent mille hommes du peuple, et non devant une partie d’entre eux, les chefs de tribus ou les notables. Il importait à Moché Rabbénou que l’ensemble du peuple soit conscient de son honnêteté scrupuleuse et de ne laisser aucun flou à ce sujet.

Ce scrupule est caractéristique des grands leaders du peuple juif qui se caractérisent par une grande rectitude morale et une grande honnêteté. Nous avons déjà observé cette exigence morale chez Avraham qui se sépara de son neveu Loth notamment en raison de leurs divergences de point de vue à ce sujet ; et nous la retrouverons également chez le prophète Chmouel qui prendra le peuple à témoin, après avoir nommé Chaoul comme premier roi d’Israël, qu’il n’a jamais rien pris pour son profit personnel.

Cette exigence mérite d’être soulevée car parfois, lorsque l’homme a sa « conscience » pour lui et qu’il sait n’avoir commis aucune faute, il s’estime quitte envers D.ieu et ne juge pas nécessaire de se justifier devant les hommes. Ce n’est pas le cas de ces grands chefs spirituels du peuple Juif qui font de l’honnêteté et de l’intégrité une exigence morale de premier plan avec laquelle aucun compromis, ni aucune approximation ne sont de mise.

Et de fait, la Torah insiste à de nombreuses reprises sur cette vertu d’intégrité, d’honnêteté, qui sont intimement liées à la Émouna (la foi) de l’homme et sa confiance en D.ieu. En effet, que se passe-t-il lorsque l’homme se comporte de manière malhonnête, lorsqu’il vole son prochain ?

Cela signifie, en premier lieu, que l’homme pense devoir user de stratagèmes pour obtenir sa « Parnassa », ses moyens de subsistance comme si D.ieu ne lui avait pas envoyé ce qui était bon pour lui par un canal direct. Or, notre tradition nous enseigne que D.ieu fixe à Roch Hachana le niveau de revenus de l’homme pour l’année entière. En volant, l’homme n’obtient pas plus que ce qu’il aurait eu mais il contraint l’Éternel à retirer ce qu’il a volé de la part qui lui était destinée et qu’il aurait obtenue par des moyens légaux.

En outre, lorsqu’un homme vole ou fait preuve de malhonnêteté, il est obsédé par le fait de cacher ses turpitudes du regard des autres hommes, et tout se passe comme s’il ignorait que l’Éternel l’observait en permanence.

Voilà pourquoi, notre tradition nous met en garde notamment contre l’utilisation de poids et mesures erronés. En effet, le commerçant qui a recours à un tel stratagème peut certes leurrer ses clients, mais il ne leurre pas le Maître du monde qui l’observe agir à chaque instant.

C’est là une des grandes incohérences des hommes qui sont parfois davantage préoccupés par le regard de leurs prochains plutôt que par le regard de D.ieu. Voilà pourquoi R. Yohanan ben Zakaï a donné comme ultime bénédictions à ses élèves : « Puisse la crainte du Ciel être aussi chère à vos yeux que la crainte des hommes. » Et, alors que ses élèves s’étonnaient d’une bénédiction aussi simple alors qu’il allait quitter ce monde, il leur dit « Pourvu que vous y parveniez. Sachez ceci : lorsqu’un homme commet un délit, il se dit : « Pourvu que personne ne me voie ! »

Et il en va de l’honnêteté comme de nombreuses autres vertus que l’homme convoite. Peu importe qu’il les pratique authentiquement, l’homme est parfois satisfait dès lors que son entourage lui prête ces mérites, fût-ce à tort.

Dans le traité Houlin 94 a, les maîtres du Talmud nous mettent en garde contre la malhonnêteté intellectuelle (voler le « Da’at », l’esprit d’autrui) qui consiste à tromper autrui sur nos intentions réelles, sur notre générosité ou même sur nos connaissances.

Le Rav Elchanan Wasserman a illustré cette notion à partir d’une anecdote arrivée au ‘Hafets ‘Haïm qui était connu pour son honnêteté extraordinaire. Durant l'été 1883, le ‘Hafets ‘Haïm imprima le premier volume du Michna Béroura (recueil de référence sur la loi juive). Le ‘Hafets ‘Haïm commença alors à voyager pour vendre ses livres, et il donnait bien souvent, dans les villes où il s’arrêtait, des conférences pour encourager les fidèles à se renforcer dans la Torah. Une fois, le ‘Hafets ‘Haïm arriva dans une ville où il vit une affiche annonçant sa conférence. L'avis disait : "L'auteur du ‘‘Hafets ‘Haïm et Michna Béroura sur Orakh Haïm (nom d’une section du Choul'han 'Aroukh) prendra la parole dans notre communauté...." Et l'annonce de donner l'heure et la date de l'allocution publique. Le ‘Hafets ‘Haïm retira alors immédiatement un crayon aiguisé de sa poche et entreprit de corriger l'affiche. Il écrivit la précision suivante "Seul le premier volume, qui couvre le début d'Orakh Haïm jusqu'au Siman 128, a été imprimé à ce jour. Les volumes restants sortiront à des dates ultérieures avec l'aide d'Hachem". Il ne souhaitait pas laisser croire que le volume publié couvrait toute la section de « Orakh Haïm » mais il précisa là où il s’était arrêté.

C’est ainsi que l’honnêteté à la fois matérielle et intellectuelle est bien souvent le baromètre du niveau spirituel des grands leaders. En effet, cette vertu témoigne de leur capacité à s’extraire des jeux de rôle des relations humaines et à privilégier une relation authentique à la fois avec D.ieu mais aussi avec les hommes.

C’est là aussi la grandeur de Moché lorsqu’il a entrepris de dissiper les doutes portant sur son honnêteté aux yeux de l’ensemble du peuple, alors qu’il savait pertinemment qu’il n’avait rien à se reprocher. Il s’appliquait ainsi à lui-même, fût-il le grand leader du peuple juif, une exhortation de la Torah « soyez irréprochables aux yeux de D.ieu et aux yeux des hommes » (Nombres, 32.22). Il ne suffit pas de bien agir, il faut que cela soit su et reconnu, sans laisser place aux doutes ou aux rumeurs. Il en va de la stabilité et de l’équilibre de l’ensemble de la société. De nombreuses dispositions de la Halakha ont été instaurées dans ce sens.

Puissions-nous, chacun à notre niveau, progresser dans cette direction et nourrir l’exigence d’une relation authentique et honnête avec D.ieu et avec les hommes.