La Paracha de cette semaine est parcourue par un personnage qui ne cesse d’étonner : la prophète des nations, Bil'am. La tradition rapporte à son sujet que sa faculté prophétique était très grande, à telle enseigne qu’il est comparé à Moché Rabbénou ! En effet, il ne fallait pas que les Nations du monde puissent prétendre qu’elles aussi auraient pu être proches de l’Eternel si seulement on leur avait donné un prophète de l’envergure de Moshé ! Pour éviter une telle doléance, l’Eternel leur a accordé un tel prophète, mais force est de constater que ce n’est pas suffisant pour accepter sur soi le « joug de la royauté divine » et une vie réglée selon le principe de la vertu, l’histoire de Bil'am le démontre.

Et de fait, ni la faculté prophétique, la connaissance, ni l’érudition ne suffisent pour être proche de D.ieu si elles ne sont accompagnées par un cœur sincère et une haute exigence morale.

Pour lieux percer le mystère et les paradoxes de Bil'am, le Rav J. Sacks suggère d’analyser l’étymologie de son nom qui peut se décomposer comme « Belo ‘Am » « sans peuple », sans « attache », sans « fidélité ».

Bil'am est un être exceptionnel, doué de grandes qualités intellectuelles et techniques. Il a une vision et une intuition puissantes, il est doué d’un esprit prophétique exceptionnel. Mais toutes ces qualités reposent sur un être dépourvu d’affect. Il est « sans peuple », c’est-à-dire qu’il ne se sent lié à rien. Il est tel un « mercenaire » qui accomplit le contrat qu’on lui demande : bénir ou maudire peu importe pour lui tant que l’on fait appel à ses services et que l’on reconnaît son génie. Bil'am incarne une sorte d’ « opportuniste » qui va où le vent le mène, où son intérêt et sa gloire le portent.

Moshé est, en ce sens, l’opposé de Bil'am. Il est lui aussi un immense prophète, le plus grand que le peuple Juif ait connu, mais il se caractérise par sa fidélité « Avdi Moché, Békhol Béiti, Nééman Hou » « Moïse est mon serviteur ; de toute ma maison c'est le plus fidèle » (Nombres 12. 7). Et cette fidélité, Moise l’incarne non seulement envers la parole de D.ieu mais aussi envers le peuple. Il est prêt à se sacrifier pour son peuple qu’il n’abandonnera jamais et dont il se fait le plus bel avocat auprès de D.ieu à de très nombreuses reprises.

« Ra’hamana liba baei » « L’Eternel désire le cœur » nous enseignent les Sages du Talmud. La compétence technique, l’intelligence, la perspicacité ne suffisent pas à qualifier un homme et à le rendre vertueux. Toutes ses qualités peuvent servir des fins funestes si elles ne sont pas incarnées par des hommes vertueux et sensibles.

Quand l’homme, à l’instar de Bil'am, se perçoit sans attache, sans ancrage affectif, sans loyauté, alors il n’est protégé par aucune digue morale, et il peut sombrer dans l’orgueil, la vanité et l’arrogance. A cet égard, nous pouvons noter combien Bil'am est imbu de lui-même et se lance dans notre Paracha à plusieurs reprises dans l’éloge de lui-même dans des termes dithyrambiques. L’absence de lien avec autrui, l’absence de fidélité et d’affect, conduisent l’homme à tourner à vide autour de lui-même et finalement à rendre stérile toutes les belles facultés que l’Eternel lui avait données.

Inversement, lorsque ces qualités sont incarnées par des êtres doués de sensibilité, d’empathie et de souci de l’autre, elles sont portées à leur plus haut niveau de perfection. L’intelligence ou la compétence n’ont pas de valeur en elle-même si elles ne sont pas tempérées par un cœur pur, un amour de l’autre et une exigence morale. La grandeur d’un homme nait précisément de sa capacité à concilier ses facultés intellectuelles, spirituelles et sa sensibilité et à trouver un équilibre entre ces deux pôles.

La faculté d’un homme à s’attacher à autrui, à lui être fidèle, à l’aimer et à le protéger témoigne de la profondeur de son cœur et de son amour. Or, l’amour a ceci de spécifique qu’il n’est jamais épuisé par la chose ou l’être aimés, il crée au contraire une prédisposition à être attentif aux autres, à leurs besoins, à leur fragilité, il s’élargit sans cesse au fil de la vie. C’est précisément cet amour et ces vertus que D.ieu recherche en l’homme et qui expliquent les commandements si nombreux et importants qui régulent notre rapport à autrui (la « Ahavat Israël » « l’amour du prochain », l’absence de médisance, la Tsédaka…). Elles incarnent l’objectif auquel doivent nous conduire les commandements de la Torah.

L’expérience de l’amour et de la fidélité envers certains êtres chers, sa famille, sa communauté, son peuple, l’humanité élargissent le cœur de l’homme et lui permettent d’être sensibles à l’Homme, et à l’humanité dans son ensemble. Et, inversement, l’absence d’ancrage affectif et de fidélité assèchent le cœur, elles enferment l’homme dans un face à face avec lui-même, et elles nivellent sa capacité à s’élever spirituellement.

Chaque amour (pour ses parents, son épouse, ses enfants, ses frères, son prochain…) est spécifique, mais tous s’enrichissent mutuellement et permettent à l’homme de faire l’expérience des capacités infinies de son cœur.

Puiss Hachem nous permettre de donner et recevoir de l’amour et de l’affection à nos proches dans une relation vertueuse, et ainsi nous rapprocher toujours davantage de Lui à travers la relation à l’autre.