La Paracha de cette semaine est d’une grande densité et les sujets d’étude et d’approfondissement ne manquent pas. Toutefois, dans le cadre de notre étude sur les liens familiaux analysés au fil des Parachiot, il semble opportun de se pencher sur les liens de filiation et notamment de succession tels qu’ils apparaissent dans notre texte.

En effet, cet enjeu de la succession apparaît à deux reprises notables la Paracha de Pin'has. Une première évocation est explicite à travers la requête des filles de Tsélof'had. Rappelons le contexte : Tsélof'had est mort peu de temps avant le partage de la terre et n’a eu de son vivant aucun descendant garçon, il n’a que des filles. Or, ces dernières redoutent que ce cas de figure en vienne à exclure la famille de leur père de tout héritage dans la terre d’Israël. Aussi vont-elles interroger Moché Rabbénou pour connaître la loi dans un tel cas de figure, et le maître va directement poser la question à l’Eternel. La réponse de D.ieu est bien connue : « Les filles de Tsélof'had ont raison. Tu dois leur accorder un droit d'hérédité parmi les frères de leur père, et leur transmettre l'héritage de leur père. » (Bamidbar 27-7)

Aussi, les filles sont ici le vecteur qui permet de donner une forme d’éternité au père. A travers leur mérite personnel, elles viennent défendre l’honneur de leur père, fut-il fauteur, et obtenir la reconnaissance de la légitimité de leur héritage. Bien plus, c’est à travers leur requête que l’Eternel expose les lois de la succession dans la Torah. Les commentateurs invitent à rapprocher ce passage de celui évoquant les lois relatives à Pessa'h Chéni où ce fut à nouveau grâce à la question d’une minorité empêchée d’accomplir une Mitsva que toute une série de règles va être exposée.

Nos Maîtres soulignent ainsi que la Torah appartient avant tout à ceux qui la chérissent et qui souhaitent ardemment accomplir ses commandements. Les filles de Tsélof'had ressentaient un amour profond pour la terre d’Israël et elles ne pouvaient concevoir de ne pas avoir de part dans cette terre. Aussi, c’est à travers elles, pour récompenser leur piété et leur fidélité à Hachem, que les lois de l’héritage vont être données. De même, c’est à l’occasion de la requête de ceux qui déploraient de ne pas pouvoir amener l’offrande du Korban Passa'h que les lois de Pessa’h Chéni vont être énoncées.

Immédiatement après ce passage relatif aux filles de Tsélof'had, la Torah aborde à nouveau la question de la succession sous un autre angle. Moshé s’adresse alors à l’Eternel de la manière suivante : "Que l'Éternel, le D.ieu des esprits de toute chair, institue un chef sur cette communauté, qui marche sans cesse à leur tête et qui dirige tous leurs mouvements, afin que la communauté de l'Éternel ne soit pas comme un troupeau sans pasteur." (Bamidbar 27-16)

 Et Rachi d’expliquer ainsi cette demande de Moché Rabbénou : « Lorsque Moché a entendu l’ordre de Hachem : « Donne l’héritage de Tsélof'had à ses filles ! », il s’est dit : « Le moment est venu de m’occuper de mes propres intérêts et de demander que mes enfants héritent de ma dignité. » Le Saint béni soit-Il lui a répondu : « Tel n’est pas mon dessein. Yéhochou‘a mérite de recueillir la récompense de sa fidélité pour n’avoir pas « bougé de l’intérieur de la tente » (Chémot 33, 11). C’est ce qu’a voulu dire Chlomo : « Qui garde le figuier mangera de ses fruits » (Michlé 27, 18) (Midrach Tan‘houma).

S’il est vrai que l’héritage matériel d’un homme peut être transmis à sa descendance, il n’en va pas de même de son héritage spirituel. La Torah n’est pas une charge qui se transmet automatiquement aux générations suivantes, elle doit se mériter et se conquérir par le labeur, la fidélité et l’amour des commandements.

Nos Sages parlent ainsi de trois couronnes : celle de la prêtrise, celle de la royauté et celle de la Torah. Les deux premières se transmettent de père en fils (la descendance d’Aharon pour la première, celle du Roi David pour la deuxième), en revanche la Torah se destine au plus méritant, en l’occurrence à Yéhochou'a, l’élève fidèle de Moché Rabbénou.

C’est là également le sens d’une très belle page du Talmud (traité Nédarim 81a) : « Et fais attention à l'éducation des fils de pauvres, car c'est d'eux que sortira la Torah. Comme il est dit : "L'eau coulera de ses branches [midalyav]" (Nombres 24:7), ce qui signifie : Des pauvres [midalim] parmi lui.

Et pour quelle raison n'est-il pas courant que les érudits de la Torah donnent naissance à des érudits en Torah parmi leurs fils ? Rav Yossef a dit : C'est pour qu'ils ne disent pas que la Torah est leur héritage. Rav Chéchèt, fils de Rav Idi, a dit : Ceci afin qu'ils ne soient pas présomptueux envers la communauté, en sachant qu'ils seront des érudits de la Torah comme leurs pères. Mar Zutra a dit : Parce qu'ils profitent de la position de leurs pères pour régner sur la communauté et sont punis pour leur conduite. Rav Ashi a dit : Parce qu'ils appellent les gens ordinaires des ânes. »

Aussi, comme le rappelle cette Paracha, la Torah et la sagesse des enfants, qu’ils soient des filles ou des garçons, ne s’héritent pas directement de leurs parents, elles se méritent grâce au travail personnel de piété et de service de D.ieu.

Bien sûr, la vertu des parents est un mérite pour leurs descendants, et, sans aucun doute, une source d’inspiration au quotidien. Mais cela ne suffit pas, rien ne peut remplacer la dévotion, l’étude, et la sensibilité personnelle aux Mitsvot.

Comme le note Rav J. Sacks, Moshé a probablement ressenti une forme de déception en réalisant que ce ne sont pas ses enfants qui lui succèderont mon son élève, Yéhochou'a. Toutefois, cette déception apporte en creux deux bonnes nouvelles : la première est l’espoir est ouvert à tout un chacun de pouvoir devenir demain un grand maître du peuple juif, quelle que soit son origine sociale ou familiale ; la deuxième est qu’un maître, un enseignant a une double descendance : d’une part ses enfants biologiques, d’autre part ses élèves. Notons d’ailleurs que nous continuons des milliers d’années plus tard à nous référer à Moïse comme Moché « Rabbénou » « notre maître ».

Son enseignement de la Torah lui a donné, avec l’aide d’Hachem, une postérité éternelle.

Puisse l’Eternel nous permettre de trouver la force de nous inscrire à la fois dans la fidélité à nos héritages tout en traçant notre propre route auprès du Maître du monde.