Avec la Paracha de Chela'h Lékha, nous abordons une Sidra qui, d’une part, met à l’honneur les vertus de certains hommes d’élite, Yéhochou'a bin Noun et Calev ben Yefoune, qui ont su garder leur indépendance d’esprit, refuser de suivre aveuglement les propos négatifs de leurs collègues, et préserver ainsi leur fidélité en D.ieu ; et qui souligne, d’autre part, combien n’importe quel homme, fut-il un vertueux, peut se laisser prendre au piège de mauvais calculs, et en venir à commettre des fautes terribles.

Effectivement, ce qu’il y’a de particulièrement troublant dans cette Paracha, c’est le retournement de personnalité des 10 explorateurs qui vont se livrer à un compte-rendu désespérant au sujet de la terre d’Israël. Pourtant si l’on en croit les commentateurs, et notamment Rashi, ces hommes étaient à l’origine des chefs de tribus, des personnes irréprochables.

Néanmoins, le changement de référentiel qu’il s’apprête à vivre : passer d’une vie protégée par l’Eternel dans le désert à une vie autonome en Erets Israël, va les faire vaciller. En effet, parmi les nombreuses explications avancées pour essayer de comprendre ce brusque revirement de conviction, une d’entre elles souligne le fait que les chefs de tribus avaient peur de ne pas être à la hauteur de leur nouvelle mission : bâtir une société qui exige d’eux à la fois un investissement matériel pour subvenir à leurs besoins élémentaires, tout en conservant une vie spirituelle, et une proximité avec le Maître du monde.

Aussi, convaincus qu’ils n’y parviendront pas, ils essaient de dissuader l’ensemble du peuple de conquérir la terre d’Israël. Cette vision réductrice d’eux-mêmes et de leurs capacités se traduit également dans leur discours. En effet, lorsqu’ils relatent la rencontre avec les géants, ils se qualifient de « sauterelles » : « nous étions à nos propres yeux comme des sauterelles, et ainsi étions-nous à leurs yeux." (Nombres, 13-33). En réalité, explique le Maharal de Prague, la vision qu’un homme porte sur lui-même détermine la perception que les autres auront de lui.

C’est précisément parce qu’ils étaient comme des sauterelles à leurs propres yeux qu’ils ont cru qu’ils étaient perçus ainsi par ceux qui leur semblaient être des « géants ». Le Rabbi de Kotzk note à cet égard qu’ils avaient le droit de dire la première moitié de leur phrase, et d’indiquer comment ils se ressentaient, mais ils n’avaient pas le droit de préjuger comment ils étaient perçus par autrui.

Les explorateurs doutaient tant de leurs capacités, ils s’estimaient si peu à la hauteur de la mission que D.ieu leur avait demandé d’accomplir, que par un effet de « distorsion cognitive », ils ont projeté cette image sur les habitants qu’ils rencontraient et ils étaient convaincus d’être à leurs yeux comme des « sauterelles », des proies faciles.

Ainsi, le miroir que l’homme tend à autrui sur lui-même détermine en partie la manière dont il sera perçu. Nous déterminons nous-même notre grille de lecture du monde et la nature de nos relations avec les hommes. Sommes-nous conscients de nos qualités ? Notre entourage les percevra. Doutons-nous de nos compétences ? Nous diffuserons un parfum de méfiance, d’instabilité.

Nous pouvons également songer au reproche qu’adressera le prophète Chmouel au roi Chaoul : « Si tu es petit à tes propres yeux, n'es-tu pas le chef des tribus d'Israël? » (Samuel, 15-17). Le prophète signifiait ainsi que l’image qu’il avait de lui-même n’était pas conforme à la mission que D.ieu lui avait demandé d’accomplir.

L’auteur du livre 'Akédat Its'hak explique cet enjeu en ces termes « Lorsque l’homme s'efforce de réaliser son potentiel, il doit regarder au-delà de lui-même et essayer d'agir comme s'il était devenu une partie intégrante de ce qu'il cherche à atteindre. Lorsque le roi Saül a écouté le peuple et a permis à Agag de vivre, son erreur était qu'il était trop conscient de ses propres défauts et pas assez conscient de la position élevée qu'il occupait en tant que roi d'Israël, la nation sainte de D.ieu (voir Samuel I, chapitre 15) ».

Concentrer son esprit sur l’étincelle divine qui réside en nous, le lien intime qui nous unit au Créateur du monde, est l'antidote pour dépasser les limites liées notre condition matérielle. Cette dernière est déprimante, alors que la première est source d’élévation. L'impératif "Sois saint, car je suis saint" peut alors signifier "n'utilise pas le fait que tu es dans une coquille mortelle comme une excuse pour ne pas chercher à atteindre le summum dont tu es capable", nous dit le 'Akédat Its'hak.

Comme le remarque le Rav J. Sacks, la Torah décrit à travers l’épisode des explorateurs une réalité éternelle de l’esprit humain que les recherches modernes en sciences cognitives et comportementales ont étayée scientifiquement. Le regard que chaque individu porte sur lui-même détermine sa relation au monde et aux hommes.

C’est peut-être aussi en ce sens qu’il faut lire le passage lié aux Tsitsit qui figure dans notre Paracha également. En les portant constamment auprès de nous, et en les regardant, nous sommes invités à orienter en permanence notre regard vers le ciel. En effet, le fil bleu qui y figure « ressemble à la mer, la mer ressemble au ciel, et le ciel nous rapproche du trône céleste » nous disent les maîtres du Talmud.

Cette leçon trouve une application particulièrement pertinente dans l’éducation des enfants. A cet égard, les parents doivent être vigilants à préserver auprès de leurs enfants une image positive d’eux-mêmes, de leurs capacités et leur enseigner dès le plus jeune âge que le lien qui les unit au Maître du monde leur ouvre des portes insoupçonnées et constituent une richesse éternelle.

Puisse Hachem nous permettre de progresser dans cette voie !