« Un Baychan (qui est gêné de poser des questions) ne peut apprendre, et un Kapdan (qui est Makpid, strict) ne peut enseigner. »

La Boucha (honte) est un trait de caractère généralement prôné par nos Sages. C'est en réalité l'une des trois caractéristiques qui définissent le peuple juif.[1] Or, Hillel nous enseigne que même des traits de caractère positifs peuvent parfois être appliqués de manière incorrecte. Dans ce contexte, Rabbénou Yona explique que la honte ou l'embarras n'ont pas leur place dans la sphère de l'étude de la Torah. Si un élève ne comprend pas les propos de son enseignant, il ne devrait pas avoir peur de poser une question au cas où sa question sera considérée comme faible ou indiquera une lacune dans son intelligence. Rachi ajoute que le roi Chlomo loue également la vertu de risquer d'être embarrassé pour la Torah. Il dit : « Im Nivhalta Bémitnassé, Véim Zamot Yad Lapé – que l'on traduit littéralement par : que tu aies agi follement en cherchant à t'élever ou après de sages réflexions, mets-toi la main sur la bouche » [2] La Guémara interprète ce verset ainsi : si l'on prend le risque de se rabaisser pour l'honneur de la Torah, on finira par être élevé et à réussir dans son étude. Mais si l'homme met sa main sur la bouche et s'abstient de poser des questions, alors lorsqu'on lui posera des questions, il mettre aussi la main sur sa bouche du fait qu'il ne sera pas capable de répondre.

Hillel poursuit en traitant le cas de l'enseignant ; il nous apprend qu'un Kapdan, un homme strict, ne peut être un bon enseignant. En effet, même si Hillel vient de nous enseigner qu'un élève ne doit éprouver aucun embarras de poser des questions, si l'enseignant traite les questions de manière stricte ou impatiente, et donne au questionneur le sentiment qu'il est stupide de poser de telles questions, il est impossible que l'élève soit en mesure d'étudier correctement.

Les commentateurs relèvent une contradiction apparente de cet enseignement de Hillel dans la Guémara[3] qui prescrit à l'enseignant ceci : Zarak Mara Létalmidim, que l'on traduit littéralement par : envoie de l'amertume aux élèves. Ceci sous-entend que l'enseignant doit réagir avec colère et instiller la crainte chez les élèves dans certains cas. Le Rambam[4] traite cette contradiction apparente : il explique que la Michna dans Avot se réfère à la manière dont l'enseignant doit traiter un élève qui tente de comprendre son étude, mais qui en est incapable du fait de son manque de compréhension. L'enseignant doit être patient et compréhensif avec un tel élève, et lui expliquer la matière patiemment à plusieurs reprises jusqu'à ce qu'il comprenne. La Guémara, en revanche, traite de la question de la manière dont l'enseignant doit réagir à un type d'élève tout à fait différent : un élève qui n'a vraisemblablement pas investi les efforts nécessaires à la compréhension de l'étude, et en raison de son attitude négligente, pose des questions hors sujet. L'enseignant devra traiter un tel élève avec sévérité afin qu'il soit plus réfléchi à l'avenir lorsqu'il posera des questions.

Une autre Guémara[5]démontre la valeur de la patience avec un élève sérieux. Elle relate comment Rabbi Preda enseigna à un élève de faible niveau le même passage quatre cents fois ! À titre de récompense, on proposa à Rabbi Préda de vivre quatre cents ans ou d'accorder à toute sa génération le privilège d'entrer au 'Olam Haba, le Monde futur. Cette récompense inédite nous renseigne sur l'immense valeur d'enseigner à un élève avec patience.

En revanche, le Rambam nous enseigne qu'il faut se conduire avec l'élève paresseux de manière stricte, afin qu'il soit plus vigilant avant de poser des questions. On sait que certains Rabbanim étaient connus pour réagir de manière virulente à des questions faibles. Comme un enseignant de Yéchiva de haute stature l'attesta : avant de poser une question à un grand Rav, il réfléchissait trois ou quatre heures pour être certain qu'elle était valable. En effet, si ce Gadol, ce grand maître en Torah, jugeait que cette question n'était pas réfléchie, sa réaction traduisait son dédain. De ce fait, l'élève était amené à réfléchir de manière approfondie avant de poser une question.

Inutile de préciser qu'il est essentiel pour un enseignant d'établir la distinction dans la nature des questionneurs et des questions qu'ils posent. Parfois, un élève faible posera une question faible sans être fautif pour autant. L'enseignant devra réagir avec beaucoup de patience à de telles questions, pour éviter d'être responsable d'avoir incité l'élève à tomber dans le piège en devenant un Baychan (timide) dans la Torah. Si, d'un autre côté, il perçoit que l'élève agit avec paresse, dans ce cas une réaction différente sera peut-être appropriée.

 

[1] Les deux autres traits : les Juifs sont Ra'hmanim (compatissants) et Gomlé 'Hassadim (accomplissent des actes de bonté).

[2] Michlé 30:32

[3] Kétoubot 113b.

[4] Hilkhot Talmud Torah, chapitre 4, Halakha 5.

[5] Erouvin 54b.