L’incroyable histoire d’amitié qui va lier un esclave hébreu, Eliakoum à un prince égyptien : Ankhéfènie, sensible à la souffrance humaine.

Sur fond de sortie d’Egypte, découvrez au fil des épisodes comment un héritier du trône égyptien s’apprête à troquer le pouvoir absolu contre une vérité qui le transcende, au fil de ses débats théologiques avec l’un des représentants de la caste la plus méprisée et la plus vile de la société égyptienne.

Résumé de l’épisode précédent :

Alors qu’Eliakoum, le jeune esclave hébreu commence tout juste à former le prince Ankhéfènie à l’art du tir à l’arc, les deux jeunes hommes ignorent que leur rencontre a été surprise par Osmaarê, l’un des sorciers, proches conseiller du Pharaon. 

Des coups résonnèrent sur la petite porte en bois de saule. Il fallut un long moment à  l’homme avant d'ouvrir la petite porte de sa maisonnée. Mais le prince le savait, il ne se hâta pas. Ankhéfènie connaissait  bien le vieux Pakhémétnou, il s’occupait des archives du palais. Son âge était indéfinissable. On racontait même qu’il connut le premier Pharaon. L’air toujours fatigué sous sa longue barbe blanche aux poils raides, il vivait reclus, dans un quartier éloigné du palais en compagnie de ses papyrus.

Son aversion pour la sorcellerie et ses idées humanistes lui avaient jadis attiré les foudres du conseil qui ne tarda pas à l’isoler de la société. Çà et là, ses chroniques étaient épluchées pour s’assurer que ne transpire aucune de ses conceptions rationalistes. Pharaon, superstitieux, craignait qu’il ne hante ses rêves s’il attentait à sa vie.

« Jeune prince, que faites-vous ici à une heure pareille ? » s’étonna le scribe.

« J’ai besoin de vous parler… ».

« Entrez donc mon enfant, ne restez pas là ».

Le Prince se fraya un chemin parmi les rouleaux dispersés de part et d’autre de la petite pièce avant d’atteindre une chaise, elle aussi remplie de répertoires en tous genres. 

« Si j’avais su que le Prince viendrait visiter mon humble demeure, j’aurais épousseté les vieux bibelots », dit le vieille homme qui regagna péniblement son siège grinçant.

« Pakhémétnou, je suis venu vous voir, parce que j’ai rencontré un Hébreu… ».

Un  léger sourire fit bouger les poils blancs de sa longue barbe.

« Je ne sais pas, il paraissait…normal », poursuivit le Prince. «Plus normal que beaucoup d’Egyptiens que j’ai côtoyé jusqu’ici ».

Le sourire revint.

« Pourquoi riez-vous donc ? », s’interrompit le Prince.

« Je savais qu’un jour le destin m'amènerait ici ». Il marqua une pause avant de reprendre.

« Moi aussi, autrefois, j’ai connu des Hébreux, Ankhéfhènie. Jadis, l’Egypte les accueillit à bras ouvert, c’est même l’un d’eux qui sauva le royaume d’une terrible famine. Des années durant, ils résidaient parmi nous, fidèles à leurs coutumes. Attachés à leur foi en un D.ieu Unique, ils propageaient des idéologies pacifiques et morales. Cela déplut férocement au conseil, qui luttait afin d’affermir son emprise sur les masses par l’idolâtrie ».

 « Pourquoi me dites-vous cela maintenant ? », demanda le Prince sceptique.

« Je sens que mes jours sont comptés, Prince d’Egypte. Bientôt, je ne serai plus de ce monde pour transmettre ce qu’ont vus mes pauvres yeux ».

« Continuez, je vous prie ».

« Un jour, ton grand-père fit un songe qui le tourmenta au point d’en perdre le goût de vivre. Il convoqua tous les savants et mages d’Egypte, mais aucune réponse proposée ne parvint à le satisfaire. Sa santé déclina, il s’effondrait.

Un jour, un de ses valets lui dit qu’il connaissait un jeune Cananéen capable d’interpréter les rêves. Le jeune homme se trouvait dans une des prisons au fin fond de l’Egypte. Le roi, désespéré, le convoqua, contre tout usage. Il s’appelait Yossef fils de Yaacov. Il résolut immédiatement le rêve de ton grand-père et prédit qu’après sept années d’abondance, une rude famine s’abattrait sur l’Egypte pendant sept années… ».

« J’ai entendu parler d’un certain Yossef, j’ignorais qu’il fût si qualifié ».

« Le Pharaon, pour le remercier, convia sa famille au palais le temps de survivre à la terrible famine. Il lui donna Goshen comme lieu de résidence. Ce fut autrefois l’une plus belle ville d’Egypte. C’était en tout cas une ville idéale pour les Hébreux. L’étendue des pâturages de Goshen convenait particulièrement à ces bergers. Suite à cela, le conseil s’efforça de cacher tous les bienfaits dont Yossef gratifia l’Egypte. Une terrible division régnait entre ton grand-père et son conseil .»

L’homme mélancolique s’arrêta quelque peu. 

« Et après ? », questionna le Prince qui n’en croyait pas ses oreilles.

« Après… Les Hébreux se multiplièrent, laissant paraître leurs convictions au sein de la population qui y  adhérait de plus en plus. Le conseil ne tint plus et commença à matraquer une campagne de propagande corrosive. Les papyrus historiques relatant le moindre événement concernant les Hébreux furent brûlés, les stèles furent démolies, les gens furent soumis à de fortes pressions pour abandonner tout contact avec eux. Des missives et des dépêches furent diffusées dans toute l’Egypte, raillant les Hébreux devenus une race dangereuse, sale et hérétique jusqu’à les asservir à l’esclavage le plus vil qu’il soit. Même le Pharaon, harassé par cette intoxication virulemment rabâchée, devint hostile à ses propres hôtes…».

 « Mais pourquoi ? », lâcha le Prince.

« Plusieurs raisons. Le peuple hébreu croissait à une vitesse fulgurante, le conseil craignait qu’il n’en viennent à dominer l’Egypte. Moi-même je fus surpris par la fécondité hors normes de femmes hébreux.Les idéaux que les Hébreux véhiculaient déplaisaient profondément aux membres du conseil. Les Hébreux prêchaient la morale, la conscience, mais aussi la pudeur et la vertu, des valeurs que le régime essayait de remplacer par la violence et la débauche. Les Hébreux parlaient aussi du D.ieu de leurs pères. Un D.ieu omniprésent abhorrant le mal et l’immoralité auquel le conseil préférait des divinités perverses ».

« Vous semblez croire en leur D.ieu, vous aussi ? »

Un court silence s’installa. 

« Oui », finit-il par lâcher d’un ton solennel.

Le prince eut du mal à encaisser toutes ces lourdes confidences d’un seul coup. Sa bouche s’asséchait. Il était déboussolé.

« Comment pourrais-je en savoir plus sur ce D.ieu mystérieux ? ».

Les yeux du vieil homme s’humectaient de larmes. L’honnêteté et le courage du prince le renvoyait à des années plus tôt, où la quête de vérité portait tout son être avant que sa peur eut raison de son idéal. Il dût se soumettre à cette triste réalité gouverné par les bas instincts de l’Homme. 

« Tu dois te rendre à Goshen ».