Le lendemain de Pessa’h, le ‘Hamets fait sa réapparition dans les foyers, et, semble-t-il, la vie coutumière reprend. Alors, rien ne s’est-il passé ? Il est évident que le croyant sait qu’il n’est pas possible de retourner, sans réfléchir aux actes que la Torah nous demande d’accomplir. Chaque Mitsva, chaque acte religieux doit nécessairement être signifiant. Si le ‘Hamets a dû être supprimé, au point de le brûler, que signifie ce retour du même ‘Hamets, au lendemain du 21 Nissan ? Il est certain qu’il faille tirer une leçon de cette disparition, qui n’est que provisoire.

Une première preuve de la nécessité de voir dans cette apparition provisoire de la Matsa une influence pour toute l’année, réside dans le fait qu’il est interdit, à la fin du repas, de consommer quoi que ce soit après avoir consommé l’Afikoman, car il est nécessaire de rester avec le goût du dernier plat que l’on mange. De plus, cette obligation est mentionnée à la fin du traité du Talmud « Pessa’him », et la fin, la conclusion doit rester dans la mémoire. C’est aussi la réponse que l’on donne au fils ‘Hakham qui a su interroger avec discernement. À lui aussi, on donne comme réponse cette interdiction de consommer quoi que ce soit après l’Afikoman. C’est déjà une preuve de l’importance de cette ordonnance, la nécessité de garder dans la bouche le goût du dernier plat.

Cependant, c’est au-delà du goût qu’il faut approfondir cet enseignement. La Matsa est un enseignement pour toute l’année. C’est un aliment fait d’eau et de farine cuit de façon courte. C’est donc un élément de brièveté, un « pain de misère », La’hma Anya, qui doit nous enseigner les limites de nos biens terrestres. C’est le sens du terme « Guenay » (négation) que l’on applique à Pessa’h pour désigner la situation précédant la libération. Prendre conscience de notre situation « misérable », c’est-à-dire de la faiblesse de la condition humaine, c’est l’une des leçons à recevoir de la Matsa. Le caractère éphémère de la créature est donc symbolisé par la Matsa, faite de la façon la plus pure. Essence de la matière, ou plutôt quintessence, produit le plus épuré que l’on puisse consommer, la Matsa nous apprend donc à savoir que ce n’est pas le pain qui maintient l’homme, mais le désir du Créateur d’enseigner le caractère éphémère du créé. Certes, c’est seulement pour une semaine que cet enseignement nous est donné, mais il est interdit de l’oublier toute l’année. Il nous est permis de jouir de la création, mais n’oublions pas le Créateur, toute l’année. Le ‘Hamets est aussi un élément de la création, mais il s’inscrit dans la longueur. La fermentation est évidemment nécessaire. On ne peut pas vivre dans l’éphémère, dans le provisoire, mais l’origine, le caractère premier de la matière, c’est-à-dire la présence du Créateur, doit être rappelée. C’est une leçon importante à tirer : l’homme doit savoir qu’il est sur terre pour une période, et que la fermentation finira par l’emporter. Leçon fondamentale à tirer de Pessa’h : existence provisoire du corps, de l’essence matérielle.

Mais au-delà de la nécessité de garder le goût – le caractère « misérable » de l’homme, la brièveté de la condition humaine, une leçon supplémentaire nous est donnée par la Matsa : comprendre l’intervention du Créateur dans le devenir de la création. La « Matsa » – comme le rappelle le Maharal – symbolise le « miracle », c’est-à-dire l’intervention instantanée, précise, du Créateur, alors que le « ‘Hamets » traduit la présence « longue » d’Hachem dans l’Histoire, c’est-à-dire la présence « naturelle », permanente, du Tout-Puissant. « ‘Hamets » et « Matsa » sont, en hébreu, distincts par un petit point qui différencie le (dans Matsa) du ‘Het (dans ‘Hamets), mais cette différence est essentielle. La « nature » est la présence permanente de l’Éternel, alors que le miracle en est l’aspect ponctuel, bref. C’est cet aspect qu’il est interdit d’oublier, quand on ne voit que la « continuité » de l’existence. Le refus de croire au miracle est la caractéristique du « panthéisme » qui voit dans la « nature » un dieu, et lui donne les caractéristiques de la divinité. Pour le Juif croyant, la présence miraculeuse de l’intervention Divine dans l’Histoire est rappelée à Pessa’h. C’est ce dont nous devons nous rappeler : qu’au-delà de ce qui nous apparaît comme naturel, une Transcendance dépasse le regard de l’humain, et est active dans l’Histoire. À nos yeux, la Matsa est l’instant, le ‘Hamets est la durée, mais le Tout-Puissant est au-delà. Si nous avons tendance à l’oublier, à ne croire que dans les forces matérielles, le petit point qui manque dans le vient nous rappeler qu’il faut savoir que tout dépend de Lui. Ce que l’on dit dans la prière finale quotidienne : Ein ‘Od Milévado – Seul le Créateur dirige le monde. Leçon de la Matsa à digérer toute l’année !