Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi dans son Likoutei Torah pose la question : comment se fait-il que Pessah’ ait lieu le jour même du miracle (15 Nissan) alors que ‘Hanouka et Pourim sont célébrés le lendemain de l’anniversaire du miracle[1].

Pour répondre à cette question, le Rabbi de Loubavitch commence par nous expliquer deux notions fondamentales quant aux modalités du dévoilement de D.ieu dans la Création: Mémalé Kol ‘Almine et Sovèv Kol ‘Almine, littéralement ce qui remplit les mondes et ce qui entoure les mondes.

La première notion, le Mémalé (qui emplit), que l’on pourrait traduire superficiellement par immanence, évoque un dévoilement divin hiérarchisé, parfaitement adapté à son hôte, lui donnant donc sa vitalité existentielle. Le terme employé est éloquent : Mémalé (remplit). La créature est emplie de cette vitalité et en a conscience. Mais évidemment, cette lumière divine ne peut être la même pour tous. L'étincelle divine animant la souris ne peut avoir la même intensité que celle animant la baleine bleue. Ce qui est vrai pour ce monde matériel l’est aussi pour les mondes spirituels. La brillance de la Lumière divine sera infiniment plus forte dans le monde de Briya comparé à celle présente dans le monde de Yétsira.[2]

Par contre le Sovèv Kol Almine, que l’on pourrait encore traduire superficiellement par transcendance, évoque un dévoilement divin tellement puissant qu’il ne peut être intériorisé par les créatures, il les entoure (Sovèv), métaphoriquement parlant.

La différence fondamentale avec le dévoilement de Mémalé, c’est qu’au niveau de Sovèv, toute la création, des anges les plus élevés jusqu’à ce monde matériel, toutes les créatures ont exactement le même rapport avec cette modalité de dévoiement divin procédant de l’essence même de la Lumière. Il n’y a plus de hiérarchie comme dans le Mémalé. A ce niveau, tous s’équivalent.

Ainsi, explique Rabbi Chnéor Zalman, le terme de “Pessa’h” évoque l’idée de “saut”. Au sens simple, D.ieu a “sauté” au-dessus des maisons des hébreux et ne frappa que celles des égyptiens. Mais à un niveau plus profond, cela veut dire que D.ieu “sauta” au-dessus de la hiérarchie des mondes (Mémalé) et se dévoila tel qu’Il est (Sovèv), comme il est dit dans la Hagada “Moi et non un ange, Moi et non un séraphin, Moi et non un émissaire”. Les commentateurs expliquent que seul D.ieu Lui-même pouvait savoir qui était premier né tellement était grave la dépravation des mœurs égyptiennes.

Le 15 Nissan, un dévoilement particulier

Après cette longue introduction, nous pouvons répondre à la question posée au début de nos propos. Un jour de Yom Tov est un immense dévoilement de sainteté. Mais ce dévoilement ne peut être effectif que si le Mal est d’abord évacué. Pour illustrer ceci, le Rabbi de Loubavitch amène la métaphore d’un roi qui veut s’installer dans une nouvelle résidence: il faut d’abord que ses serviteurs nettoient de fond en comble les lieux. Il en est de même pour ‘Hanouka et Pourim. Il fallait d’abord éliminer les ennemis d’Israël et c’est seulement après que l’on put instituer un Yom Tov et les dévoilements divins qui y sont associés. Nous sommes donc en présence d’un dévoilement divin procédant de la dimension de Mémalé : la Lumière divine, qui s’adapte à celui qui la reçoit, ne peut briller que si le mal est éliminé. Par contre, le 15 Nissan, c’est le Sovèv, l’Essence même de la Lumière qui est apparue. A ce niveau, rien d'impossible: le mal peut être chassé et en même temps la Kédoucha (Sainteté) peut se dévoiler. Pessa’h peut donc bien avoir lieu le 15 Nissan, le jour même du miracle.

Une faille dans le raisonnement ?

Tout ceci est très beau, mais si vous avez bien suivi ce qu’on a dit, on peut facilement soulever une grosse difficulté. Si ce dévoilement de Sovèv ne fait aucune différence entre les créatures, comment les hébreux furent ils épargnés lors de la plaie des premiers nés ? Au niveau de Sovèv, l’Essence de la Lumière infinie de D.ieu, quelle différence entre un premier né hébreu et égyptien? La réponse à cette question se trouve dans les écrits du Ari Zal. Passons sur le jargon kabbalistique et intéressons-nous plutôt au principe évoqué par cette réponse. A Pessah’ ce n’est pas seulement le Sovèv qui se dévoile mais le Sovèv qui s’habille dans le Mémalé. Qu’est-ce à dire ? Ces quelques mots résument à eux seuls le but ultime de la Création. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard qu’ils apparaissent lors de l’événement fondateur du peuple d’Israël. Le but ultime du monde c’est le dévoilement de l’essence de D.ieu (Sovèv) dans le monde de la limite, et plus particulièrement dans ce monde matériel (Mémalé). Ainsi, le monde, ses limites et sa hiérarchie continuent d’exister tout en dévoilant la Lumière sans limite de D.ieu. C’est ce qui se passera au temps du Machia’h et ce qui arriva de manière ponctuelle lors de la sortie d’Egypte. Le Sovèv s’habillant dans le Mémalé, les choses restèrent à leur place : les égyptiens moururent et les hébreux furent sauvés malgré un dévoilement divin qui à priori efface les hiérarchies.

En pratique...

Chaque année, le 15 Nissan nous pouvons revivre ce grand dévoilement la nuit du Séder. Le terme même de Séder choisi par nos Sages est lui-même remarquable et nous apprend une notion fondamentale. On aurait pu croire que le dévoilement de la Lumière sans limite de D.ieu ne puisse se faire qu’en se libérant des règles et des rites par définition limitant, et que seule une profonde méditation transcendantale pourrait nous faire arriver à ce niveau.

Il n’en n’est rien ! Le Or ‘Ein Sof (la lumière infinie) se dévoile par et dans le Séder, l’ordre, la discipline et la hiérarchie, par tous ces rites bien précis qu’ont institués nos Sages et par la transmission trans-générationnelle. C’est cela le Sovèv qui se dévoile dans le Mémalé. Chaque détail du Séder a son importance, et permet de dévoiler un peu plus le divin dans ce monde (C’est pour cela qu’il est capital d’étudier son déroulement AVANT la nuit du 15 Nissan !)

Puissions-nous donc mériter, avant même la nuit du Séder le dévoilement définitif du Sovèv dans le Mémalé et la réalisation de la promesse des prophètes: “comme au temps de la sortie d’Egypte, Il nous montrera des merveilles” avec la venue de notre juste Machia’h.

 

[1] Le Admour Hazakène suit ici l’avis du Méiri à propos du miracle de la victoire de ‘Hanouka qui eut lieu le 24 Kislev. Ceci n’est pas l’avis du Rambam qui pense que celle-ci se déroula aussi le 25. Concernant Pourim, il n’y a pas de question : il est clairement écrit dans la Méguila que la victoire eut lieu le 13 Adar.

[2] Pour créer le monde, D.ieu dut rétracter Sa Lumière infinie pour permettre aux créatures

d’exister. C’est ce qu’on appelle le Tsimtsoum. Cette rétractation de la Lumière se fait graduellement. On compte de manière générale quatre niveaux, des « mondes », des dimensions spirituelles : Atsilout, Bria, Yétsira, Assia. Atsilout, littéralement « émanation », étant le dévoilement le plus pur des 10 Séfirot, (attributs divins) par l’intermédiaire desquelles le Créateur se dévoile aux créatures. A l’opposé se trouve Assia, dont fait partie notre monde matériel. Le divin y est pratiquement totalement occulté et le Mal y domine. Entre les deux se trouvent deux mondes intermédiaires, Bria et Yétsira. C’est à ces niveaux que se trouvent les différents Anges et autres Séraphins. Le divin n’y est que partiellement occulté, chacun selon son niveau.