A Roch Hachana, le Juif est obligé de méditer sur la Malkhout, la royauté. La crainte mêlée au respect pour le jugement à venir, ainsi que l’obligation de réciter le Moussaf Malkhouyot avec la Kavana (intention) appropriée nous pousse à une réflexion approfondie sur les rois et leur pouvoir.

De même, lors d’un changement de gouvernement, effectué en grande pompe, entraînant la prise de conscience qu’un simple mortel a accès aux codes nucléaires et dispose du pouvoir de gracier, de décider entre la vie ou la mort, le sens de la Malkhout redevient capital. Pourquoi est-ce important ?

Rav Nathan Wachtfogel nous rappelle que, dans ce monde, nous avons peu d’outils pour cerner la grandeur et la majesté de la monarchie céleste, si ce n’est les marques extérieures des dirigeants terrestres, qu’ils soient rois ou présidents.

Nos Sages nous enjoignent à « accourir pour voir les rois, même non-Juifs, car si nous sommes assez chanceux [d’accueillir le Mélèkh Hamachia’h], nous comprendrons la distinction entre lui et les rois laïcs que nous avons rencontrés. » Le Rav Wachtfogel est perplexe. « Et si nous n’accourons-pas et que nous comprenons la distinction ? Quelles conséquences sont à attendre? » Il répond qu’en effet, nous allons tout manquer. Il souligne que tous les géants de notre histoire - Yossef, Ya’acov, Eliyahou, ‘Hanania, Michaël et Azaria - ont accordé des honneurs à divers rois. Or, non seulement ces monarques étaient de vils despotes, mais nous savons qu’honorer les êtres pervers est source de nombreux obstacles. Alors pourquoi nos vénérables ancêtres ont-ils jugé bon de servir des rois et de leur rendre hommage ? La réponse, telle que nous la chantons (« Vékhol Maaminim ») pendant les Jours Redoutables, est qu’il y a une juxtaposition directe entre la royauté humaine - même si elle est fragile et lacunaire - et la royauté suprême et universelle d’Hachem : « Hamamlikh Mélakhim Vélo Haméloukha - Il couronne des rois, mais la vraie royauté Lui appartient exclusivement. »

Quelle est la source de ce rapport quelque peu étonnant ? Après tout, comment oser tenter de comparer le Roi des rois à un mortel éphémère et surtout à un homme pervers ?

Je pense que la réponse se trouve dans les propos éternels de nos Sages : « Malkhouta Déara Kéèn Malkhouta Dérakia – la royauté terrestre ressemble à la royauté céleste » (Brakhot 58a). Comme l’affirme le Rav Its’hak Eizik ‘Haver, l’homme, étant une créature limitée, ne peut appréhender que ce qui est dans sa sphère d’expérience. Donc, si, malheureusement quelque part, c’est notre seul cadre de référence, « nous devons saisir chaque occasion d’étudier l’analogie entre le temporel et l’éternel, pour pouvoir développer un semblant de Yirat Haboré - une crainte véritable du Créateur ».

Si nous poursuivons cette analyse, de nombreux phénomènes seront mis en lumière bien plus clairement. Par exemple, Rav Wachtfogel nous apporte un nouvel éclairage sur une Michna connue (Avot 3, 2) : « Si les gens ne craignaient pas les autorités, l’homme avalerait autrui tout entier. » Ce n’est pas, explique Rav Wachtfogel, que l’anarchie règnerait sans l’intervention des autorités comme la police, les tribunaux et les sanctions. C’est une erreur de penser ainsi. Nos Sages nous enseignent au contraire la raison pour laquelle Hachem a créé la société de telle sorte que nous devons avoir des dirigeants, sources de pouvoir et de justice. Le but est que nous ayons des notions du concept de Malkhout, « car, à défaut de cela, le monde ne pourrait perdurer. »

Comme en conclut le Rav Chamaï Ginzburg : « Nous savons que lorsque Yossef a été libéré de la fosse où il était incarcéré, il se fit couper les cheveux et modifia sa manière de se vêtir « en l’honneur du roi » (Rachi). Tout comme Mordékhaï, lorsque Haman fut contraint de lui accorder des honneurs, qui insista pour se préparer convenablement en vue de sa rencontre avec le roi, nous devons toujours avoir à l’esprit qu’en réalité, nous reportons (sur un monarque de chair et de sang) notre vrai désir d’accorder des honneurs au Roi de l’univers.

En conséquence, lorsque nous sommes sur le point d’assister au « passage du flambeau » d’un nouveau président, nous avons le devoir d’exploiter ce moment pour prier et espérer assister à l’ultime révélation du Roi Eternel. Alors que d’autres procèdent à des comparaisons banales et souvent erronées entre le nouveau dirigeant et son prédécesseur, nos yeux sont tournés au Ciel. Nous prenons acte de la vie et de la mort désormais aux mains de cet individu, sa capacité à affecter l’économie et la prospérité, la guerre et la paix, peut-être même la moralité et l’éthique, puis nous tremblons quelque peu lorsque nous réalisons à quel point tout ceci est circonscrit comparé à son équivalent Divin. De toute évidence, le président, ou même le roi, devrait ressentir une grande humilité en pensant à cette analogie. Mais, par-dessus tout, pour nous, c’est l’occasion, tous les quatre ans (peut-être même plus cette fois-ci), de réfléchir à notre remarquable relation au Tout-Puissant, qui se rit des fanfaronnades et de l’orgueil de ceux à qui Il a permis une période temporaire de gloire et de pouvoir.

L’illustre décisionnaire halakhique, Rav Its’hak Ya’acov Weiss, Rav de Jérusalem, décrit la merveilleuse situation d’un monarque totalement en accord avec le modèle céleste. La Torah désigne le règne du Roi Chlomo comme « assis sur le trône de D.ieu. » Qu’est-ce, pour un mortel, d’être assis sur le trône céleste ? Rav Weiss l’explique : « Parfois, un nouveau dirigeant est tenté de se faire une réputation par ses réalisations. Ensuite, lorsqu’il a obtenu quelques victoires, et atteint une certaine quiétude, il s’engage dans les plaisirs du pouvoir et les récompenses du succès. Mais ceci ne se produit que s’il a ses propres intérêts à cœur. S’il a exclusivement à l’esprit le bien de son peuple, alors chaque jour est identique, rempli d’un dévouement total envers ses sujets et leurs préoccupations. C’est ce qu’il faut entendre par l’expression « être assis sur le trône d’Hachem », il s’agit d’imiter le Roi des rois, qui n’a à l’esprit que le bien de Ses créatures.

Rav Weiss cite également le Tékhelet Mordékhaï : tout comme Hachem n’a pas créé le monde pour Lui-même, mais pour accomplir du ‘Hessed (bienfaisance), un bon monarque ne fait rien pour lui-même, il agit pour le bien de ceux qui s’adressent à lui, sollicitant son aide. Voici notre prière et nos conseils pour notre nouveau président : tenter, autant que possible, de suivre le modèle du Roi Chlomo, et même du Roi des rois, de s’élever au-dessus de l’étroitesse d’esprit, d’aspirer à la grandeur avec ces prototypes éternels constamment devant lui. Au cas où ces buts semblent trop élevés et impossibles pour un être humain, souvenons-nous que nos ancêtres considéraient toute monarchie comme un lien mortel à la souveraineté Divine. Tout est possible, nous savons que « les cœurs des rois sont totalement entre les mains d’Hachem ». Si nous jouons notre rôle en nous concentrant sur la Malkhouta Dérakia, la royauté céleste, Hachem fera peut-être en sorte que cette Malkhouta Déara, cette royauté terrestre, joue son rôle pour nous rapprocher de l’ultime royauté.

 Rav Yaakov Feitman - Yated Neeman