Un certain nombre d’organismes et d’individus de valeur ont pris en charge la tâche ardue de « faire cesser les bavardages à la synagogue ». J’approche moi-même, grâce à D.ieu, de ma quarantième année de rabbinat, et je peux personnellement attester que c’est l’une des luttes les plus déroutantes et les plus difficiles qui soit.

Chaque Rav a vécu le problème de « prêcher à des convertis ». Dans l’ensemble, les membres de la synagogue n’ont pas besoin de la Dracha les exhortant à prier en Minyan ou de venir à la synagogue. Ils sont déjà présents, portant leur Talit et leurs Téfilines, et ils ont prié et étudié conformément à leur devoir. Et pourtant, ils parlent. De nos jours, en-dehors du Chabbath et du Yom Tov, ils envoient aussi souvent des sms.

On aimerait beaucoup ressembler au Rav de Berditchev et estimer que tous ceux qui envoient des sms le font en raison d’un danger de mort. Mais honnêtement, combien d’entre eux sont médecins, membres de Hatsala, ou conseillers du Président ? Alors pourquoi ne sommes-nous pas plus conscients du fait que nous nous adressons au Maître du monde ? Serions-nous distraits si nous avions le privilège d’obtenir une audience avec le Président ? De toute évidence, chaque Juif a une demande importante à présenter au Créateur, alors pourquoi L’insulter et mépriser nos propres implorations au profit de l’inepte et de l’anodin ?

Il n’y a probablement pas de réponse uniforme à cette maladie quasiment universelle, mais une réponse à cette énigme troublante est sans l’ombre d’un doute le fait que nous n’investissons pas le même temps et les mêmes efforts dans notre Téfila que dans d’autres domaines. Nous ne grandissons pas avec la primauté de la Téfila dans notre cœur et n’apprécions pas à sa juste valeur le pouvoir immense d’une seule de nos prières. Il peut s’avérer difficile, voire impossible, de modifier les cursus d’étude à cet effet, au vu des énormes contraintes de temps imposées aux enseignants de Kodèch. Les écoles de filles passent plus de temps sur le Biour Téfila (explication de la prière), ainsi que certains établissements ‘hassidiques.

Mais nous pouvons peut-être commencer à nous motiver en étudiant l’immense potentiel du pouvoir de la Téfila dans notre vie. Prenons quelques instants maintenant pour nous remémorer la force d’une prière sincère et d’un cri du cœur, qui peut être détruit en un instant par du bavardage inutile et interdit.
 

Commençons par la requête du ‘Hafets ‘Haïm

A l’arrivée des communistes au pouvoir, le ‘Hafets ‘Haïm a ressenti la douleur de chacun des trois millions de Juifs qui se sont retrouvés piégés dans l’empire pervers qui prohibait toute forme de Torah ou de Téfila en son sein. Lorsque le Rav de Sloutsk, Rav Yé’hezkel Abramsky zatsal a été arrêté et exilé dans la Sibérie glaciale, le ‘Hafets ‘Haïm se leva dans la Yéchiva de Radin, pleurant et se lamentant sur le sort de ce révéré Gaon. Un membre âgé et éminent de la Yéchiva suivit son émouvante Dracha puis annonça qu’ils devaient « dire des Téhilim ». Cependant, le ‘Hafets ‘Haïm, de manière déroutante, l’interrompit en demandant : « Sommes-nous un groupe de Téhilim ? Ce n’est pas le moment de réciter des Téhilim. C’est le moment de crier des Téhilim. En Egypte, nos ancêtres ont crié, et c’est grâce à cela qu’ils ont été sauvés. »

Toute l’assemblée se mit à crier et « leurs cris percèrent les Cieux ». Quelque temps plus tard, Rav El’hanan Wasserman rendit visite au ‘Hafets ‘Haïm et ils étudièrent ensemble. Soudain, le ‘Hafets ‘Haïm leva les yeux, et déclara sur un ton jubilant : « Les Bolchéviks ont échoué ! ». Par trois fois, il proclama : « Malgré eux, ils ont dû libérer le Rav de Sloutsk. ». Rav El’hanan prit soigneusement note de l’heure exacte de sa déclaration et réalisa plus tard qu’en effet, à ce moment précis, le Rav Abramsky avait été libéré.

Nous ne sommes pas avec le ‘Hafets ‘Haïm à Radin, mais nous pouvons nous aussi pousser des cris, et, au minimum, garder le silence lorsqu’il le faut et éviter d’écrire des sms au moment où notre cœur devrait être mobilisé en prière.

Autre raison pour laquelle nos Téfilot ne sont pas toujours au niveau : grâce à D.ieu, nous sommes généralement heureux, en bonne santé et en sécurité. Ceux qui traversent des crises s’écrient sincèrement vers Hachem, et leurs prières sont souvent assez émouvantes pour motiver également les autres. Mais dans un environnement aisé et calme, nous marmonnons les mots par devoir, alors que notre cœur et souvent notre esprit sont déconnectés de ces mots. Dans ce cas, le Ktav Sofer nous offre un conseil pertinent : le jour où Sarah conçut Its’hak, de nombreuses femmes stériles furent également guéries. Le Midrach nous enseigne que le jour où Moché Rabbénou a été sauvé par la fille de Pharaon, 600 000 autres nourrissons juifs ont également été sauvés. En effet, Hachem aime nos Téfilot, et même si quelqu’un ne doit pas implorer la compassion Divine pour lui-même, ses prières peuvent apporter une délivrance à un nombre incalculable d’autres personnes. D’où, conclut le Ktav Sofer, la raison pour laquelle il faut toujours prier avec une grande Kavana (intention), s’écrier sincèrement vers Hachem, car personne ne sait qui sera aidé par notre Téfila, que ce soit nous-mêmes, un parent, un ami ou un étranger.

En réalité, Hachem répond souvent à nos besoins avant même que nous Lui adressions une demande, car Il les connaît bien, mais Il aime tellement les prières des hommes droits qu’Il les attend. Si nous réalisions à quel point chaque mot de Téfila est précieux pour notre Créateur, et combien de miracles il peut apporter, nous ne perdrions jamais un instant de cette précieuse opportunité.

L’illustre Maguid, Rav Chalom Schwadron, a un jour remarqué le pouvoir de la prière dans un moment tragique de l’histoire juive. Après la faute du Veau d’or, Hachem a réagi avec colère lorsque Moché Rabbénou a imploré la clémence. « Laissez-moi et Je les détruirai… » (Dévarim 9 :14). « Nous voyons, en déduit Rav Schwadron, que par le pouvoir de la prière, on aurait dit que Moché Rabbénou retenait Hachem de détruire Son peuple. Il va de soi que nous ne pouvons nous mesurer à Moché, mais cela peut nous renseigner sur le pouvoir potentiel de la prière. »

Rav Guédalia Schorr zatsal fait une remarque similaire à propos des prières de Moché Rabbénou visant à lui accorder l’accès à Erets Israël. Le Midrach commente que nous pouvons voir le pouvoir de la Téfila du fait qu’Hachem a ordonné à Moché : « Al Tossef - ne continue pas à Me parler de ce sujet » (Dévarim 4 :26). Nous voyons que s’il avait prié, il serait entré en terre d’Israël, comme il le souhaitait. Le Midrach poursuit par la doléance de Moché Rabbénou envers les Bné Israël : pourquoi n’ont-ils pas prié aussi pour lui afin qu’il ait accès à la Terre ? Rav Schorr demande : « Pourquoi Moché ne nous a-t-il pas demandé de prier pour lui ? » Il répond que dans le décret d’Hachem de « Al Tossef », il n’avait pas eu le droit de nous le demander. Nous voyons, conclut Rav Schorr, que bien que Moché n’eût pas le droit de nous le demander, si néanmoins nous avions prié de notre propre initiative, nous aurions pu annuler le décret.

Au cas où nous estimons une fois de plus ne pas être proches du niveau de Moché Rabbénou et que nos Téfilot ne sont pas aussi importantes, écoutons les propos d’un grand Ba’al Moussar. Rav ‘Haim Ephraïm Zaihik relève que le Cohen Gadol récitait une Téfila particulière pour qu’Hachem n’écoute pas les prières des voyageurs qui imploraient d’avoir de bonnes conditions climatiques pour voyager, plutôt que pour la pluie tant nécessaire. En réalité, ces voyageurs étaient assez égoïstes de placer leur propre confort devant celui de tous les résidents d’Erets Israël, or la figure la plus sainte du Klal Israël, le Cohen Gadol, devait se préoccuper qu’Hachem n’entende pas la prière de quelques-uns, s’ils priaient avec la Kavana appropriée.

Rav Zaihik cite le Rav Nathan Tsvi Finkel zatsal, l’Alter de Slabodka, qui remarque également que Moché Rabbénou a dû implorer Hachem de ne pas écouter les supplications de Kora’h et de son clan, bien que leurs intentions fussent mauvaises, car une prière récitée convenablement a une certaine efficacité.

Rav Yé’hezkel Lévinstein a découvert aussi ce remarquable secret selon lequel même des gens imparfaits peuvent accomplir beaucoup par des prières appropriées. Le Midrach (Chémot Rabba) nous enseigne qu’Hachem a demandé à Moché de se rendre chez Pharaon pour s’assurer qu’il n’adressait pas de prière à Hachem. Or, Pharaon est l’une des figures principales du mal dans le panthéon des ennemis du Klal Israël, et, pourtant, sa capacité à prier doit être neutralisée si l’on veut que le Klal Israël en triomphe. En conséquence, ne minimisons pas le pouvoir de nos propres prières, lorsque même les prières de Pharaon auraient reçu un écho certain chez notre Créateur.
 

Pour conclure avec une histoire puissante sur le pouvoir de la Téfila

Ecoutez ce qu’une femme honorable et simple a accompli par ses prières. Elle avait innocemment ouvert un magasin de chaussures qui marchait bien et lui rapportait beaucoup de succès. Un jour, cependant, un homme ouvrit un magasin concurrent juste en face, pratiqua des prix inférieurs aux siens, et proposa surtout des objets en solde qu’elle offrait dans sa boutique. Un jour, ne supportant plus cette situation, elle prit 5000 shékels qu’elle offrit à la Tsédaka et pria que par le mérite de sa charité, Hachem, dans Sa sagesse, fasse le nécessaire pour éliminer cette compétition sans scrupules de sa vie. Presque immédiatement, cet homme subit un revers de fortune, et au bout du compte, il souffrit d’immenses pertes dans sa vie personnelle et professionnelle. Lorsque la femme réalisa que les échecs de l’homme étaient probablement dus à l’argent offert à la Tsédaka et à ses prières, elle fut prise de regrets et aborda le Rav Its’hak Zilberstein pour savoir comment se repentir. Elle voulait faire Téchouva pour avoir causé tant de souffrances à son persécuteur, demandant si l’argent qu’elle avait donné pouvait toujours être considéré comme de la Tsédaka. Rav Zilberstein s’adressa à son beau-frère, Rav ‘Haïm Kanievsky, pour obtenir des conseils. Rav Kanievsky trancha que l’argent qu’elle avait versé à la Tsédaka pouvait être considéré comme de la Tsédaka, mais pas pour la gloire de D.ieu. Le Rav Zilberstein conseilla à la femme de donner 10 000 shékels à la Tsédaka et de réciter un « Mi Chébarakh » pour son concurrent chaque jour pendant 30 jours.

En tout cas, nous voyons à travers cet exemple le pouvoir de la prière, même celle d’une personne simple dont les intentions étaient inappropriées.

Si nous prenions quelques instants occasionnellement pour étudier le pouvoir de nos prières, peut-être serions-nous enclins à parler moins, ou même pas du tout, pendant ce que le Kuzari nomme la meilleure partie de notre journée et les moments privilégiés de notre vie.

Rav Yaakov Feitman pour Yated Neeman