Dans le chapitre précédent : Depuis son premier jour d’entrée à la fac, Marion avait fait la rencontre d’une nouvelle amie de confession juive. Très vite, nos deux jeunes filles se sont très bien entendues. On appelle ça le coup de foudre amical, qui n’arrive pas souvent. Et c’est avec un certain enthousiasme que Marion, qui travaille dans sa librairie de quartier, a choisi d’emporter chez elle un livre sur le… judaïsme !


J’ai passé toute la nuit à dévorer le livre sur la religion juive. C’est dingue que j’aie pu passer tant d’années à ne pas connaître ne serait-ce que l’existence même de cette religion ! Je n’aurais jamais cru que cela pouvait être aussi captivant, mais surtout, pour la première fois de ma vie, cela m’a fait réfléchir sur l’existence même de D.ieu, alors que je L’avais banni de mon existence.

Bon, après, je me doute que lorsque l’on commence à s’intéresser à tous types de religions, le frisson que nous procure notre découverte doit être le même de partout ! Mais c’est vrai que l’idée d’avoir des lois bien précises sur ce qui est permis et interdit de manger me plaît beaucoup. Et puis, la naissance de ce peuple est des plus fascinantes, à mon sens. Un homme se prénommant Abraham a décidé de suivre ses convictions spirituelles, en allant à contre-courant de sa propre famille, ce n’est pas rien. Et je ne peux que le comprendre, car c’est un peu ce que je ressens depuis que je suis petite, étrangère au sein des siens, se sentir proche d’eux et n’avoir rien en commun à la fois. Ce qui peut être difficile à expliquer tant que l’on ne l’a pas ressenti.

Demain soir, c’est moi qui suis chargée d’assurer la nocturne à la librairie, j’en profiterai pour emprunter d’autres bouquins sur le bouddhisme, histoire de comparer pour me faire une réelle opinion.

Je glisse ma lecture dans mon sac, de peur de l’oublier à la maison. J’arrive à la fac avec un peu d’avance, car mon premier cours ne démarre pas avant midi. Je tenais à me rendre à la bibliothèque pour faire des recherches pour mon prochain devoir que j’ai à rendre d’ici deux semaines. Lorsque j’arrive, il est à peine dix heures, et le lieu grouille déjà d’étudiants ! Si j’avais su, je serais venue encore plus tôt, et j’aurais laissé ma lessive à plus tard. Maintenant, j’ai eu du mal à me trouver une place.

Par chance, j’aperçois Ilana, assise tout au bout d’une rangée. Je m’avance vers elle, et la trouve, le nez plongé dans ses manuels. Je lui touche le bras, elle me sourit, me fait tout de suite de la place, en dégageant sans ménagement les affaires de quelqu’un. Amusée, je lui demande si on ne va pas s’attirer des ennuis quand le propriétaire du sac à dos et des manuels va revenir. Elle se marre et me dit :

– Aucun risque, c’est la place d’Alexandre… mon frère.

– Ah oui, c’est vrai, tu m’avais dit que tu avais des frères et sœurs.

– Oui, Alex est en troisième année. J’ai mes deux sœurs qui sont encore à l’école. Il est parti depuis un moment se chercher un café, et comme il n’est pas revenu. Allez ! Viens t’asseoir, ne t’en fais pas, il ne va pas te manger, même s’il revient !

– C’est d’accord. Merci.

Profitant de ce moment, je sortais mes propres affaires, ainsi que le livre sur le judaïsme. Fièrement, je le montrais à ma nouvelle amie, lui disant que, depuis que nous avions discuté, je m’étais intéressée un peu plus à sa religion. Cependant, je ne m’attendais pas du tout à sa réaction. Son visage s’est assombri, la méfiance se lisait sur elle, et, avec un ton dur que je n’aurais jamais soupçonné, elle me dit :

– Qu’est-ce que ce livre fait dans ton sac, Marion ?

– Comment ça ?

– Pourquoi tu t’intéresses soudainement à ma religion ?

Comme un souffle glacial, l’ambiance entre nous s’était tout à coup refroidie, et je me demandais bien pourquoi. Je pensais sincèrement qu’elle serait ravie de constater que je m’intéressais à comprendre une partie de sa vie, surtout que c’est elle qui m’en a parlé la première. Sauf que je faisais fausse route. Je prenais conscience qu’avec ce sujet, je marchais sur des œufs avec elle, même si je ne comprenais absolument pas pourquoi…

– Disons que, comme tu m’as parlé de Chabbath, et que ça avait l’air important pour toi, par souci d’être ton amie, je voulais me mettre à la page, et je t’avoue que j’ai eu un peu honte de mon ignorance.

À mon soulagement, ses traits se radoucirent, et c’est avec soulagement que je retrouvais celle que je connaissais depuis quelques jours.

– Ah, mais non copine ! Il ne faut pas que tu te sentes gênée ! Attends, si demain tu me parles de catéchisme et compagnie, je ne serai pas bien brillante, non plus. T’es trop mignonne, en fait ! Du coup, raconte ! Qu’est-ce que tu as appris de beau sur nous ?

Je m’apprêtais à lui parler de mes toutes fraîches connaissances, quand soudain, un grand brun aux yeux marron, qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à Ilana, nous interrompit. Je ne pus m’empêcher de rire, car, en réalisant que j’étais assise à sa place, il donna un petit coup sur la tête de celle qui ne pouvait être que sa sœur :

– Ne commence pas à me frapper, surtout en public ! On n’a plus cinq ans.

En disant ça, mon amie avait parlé un peu trop fort, et plus de trois mille « Chuuuuuuut » fusaient de partout, tous dans notre direction.

– Fais gaffe, sœurette ! Si tu cries trop fort, tu vas vite te faire dégager, d’ici ! Je t’avais demandé de me garder la place, et je vois que tu as laissé quelqu’un me la prendre. Je dois rendre un devoir méga important, et il est primordial que je fasse des recherches. En finissant sa phrase, il se tournait vers moi pour se présenter :

– Salut, moi, c’est Alexandre Bismuth.

– Hello, je m’appelle, Marion Leroux.

– Enchantée, Marion.

Ilana lui donna à son tour une tape et lui glissait un mot à l’oreille. Aussitôt, j’entendais son frère répliquait :

– Merci, j’avais compris ! J’imagine que ce nom n’est pas le diminutif de Marciano ou de Cohen ! Alors, ma petite Marion, toi aussi tu veux devenir avocate ?

– Non, pas vraiment. J’ai choisi cette voie parce que, justement, je ne suis pas encore tout à fait décidée.

– Je suis sûr que ça viendra. Au moins, toi, tu as de la personnalité, ce n’est pas comme ma sœur qui veut tout faire comme moi ! Mais non, je blague !

– L’écoute pas ! Il adore reprendre cette légende sur moi, alors qu’elle est fausse ! C’est le seul moyen qu’il a trouvé pour se rendre intéressant.

– C’est ça, t’as raison ! Bon, je file, mais n’hésite pas à inviter ta copine à la maison. Ça fera plaisir à maman !

– Bien qu’Alex dise souvent des bêtises, il a raison sur un truc. Ça te dirait de venir passer Chabbath à la maison ? Ce vendredi soir, par exemple ?

– Ah, c’est trop gentil, mais pas du tout. Je ne voudrais pas déranger ta mère ou ton père. Je t’assure, je serai trop mal à l’aise de venir. En plus, tu seras avec ta famille.

– Mais non, au contraire, on adore avoir du monde ! Mes sœurs vont t’adorer.

– Non, vraiment, je ne peux pas. En plus, il faut que tu demandes la permission à ta mère, avant.

– La permission ? Elle est bien bonne celle-là ! Faut te détendre, on est cool chez nous !

Ma remarque la fit beaucoup rire. Elle était encore en train de rire quand le « groupe » de la dernière fois avait déboulé dans la bibliothèque à leur tour. “Déboulé” est vraiment le mot qui convient. De loin, il n’y a pas à dire, il faisait un peu troupeau, à se déplacer en bande comme ça. J’étais, une fois encore, scotchée de voir à quel point ils se ressemblaient tous. Pour couronner le tout, ils n’étaient pas du tout discrets, et n’arrêtaient pas de parler super fort. Toute la salle s’était retournée comme une seule et même personne pour leur dire de faire moins de bruit, mais ils ont fait comme si cela ne comptait pas. De là où je me trouvais, je pouvais les entendre se dire :

– Hé Sam, par ici, j’ai trouvé trois places !

– On a dit qu’on ne prenait qu’une table de six.

Le garçon qui se prénommait Sacha, celui à côté duquel je m’étais assise la dernière fois, pointait le doigt vers nos bureaux. Je fus surprise, car je n’avais moi-même pas remarqué que des chaises s’étaient libérées.

– Venez, par là ! Il y a de la place !

Ils se mirent à côté de nous, en nous ignorant superbement. Cela me semblait étrange, dans la mesure où, d’après ce qu’Ilana m’avait dit, ils la connaissaient depuis l’école primaire.

Au bout de quelques minutes, j’entendis un sanglot étouffé qui me fit sortir de mes pensées. Je me rendis compte que c’était Ilana qui pleurait. Apparemment, sa carapace de fille forte avec du répondant avait laissé place à la fille au gros coeur que j’avais décelé.

Et c’est avec toute la délicatesse que je lui glissais un petit volant qui avait été le plus efficace moyen de communication entre nous deux :

– Est-ce que tu veux qu’on en parle ?

Elle leva sa tête et se pencha vers moi, pour me dire :

– Pas ici. Pas tout de suite, mais si tu acceptes de venir dormir à la maison vendredi soir et y rester pour la nuit, je te promets que je te raconte toute l’histoire de mes anciens copains d’école depuis le début.

La curiosité étant trop forte, et après un moment d’hésitation, ma tête indiquait que j’étais d’accord pour venir passer le Chabbath chez elle. Rien que pour voir le visage d’Ilana s’illuminer, je ne regrettais pas ma décision. J’avais aussi une autre raison d’être contente : j’allais enfin goûter la fameuse salade cuite de Madame Bismuth…