Avec l’expédition de sa Lettre au Yémen, le Rambam s’est non seulement imposé comme le maître médiéval à l’influence la plus étendue du point de vue géographique, autant qu’il aura réconforté et consolidé une communauté lointaine en proie aux affres de la Galout… Mais qu’est-ce donc que la Lettre au Yémen ?
Comme on peut aisément le constater, notamment en Erets Israël où vit une importante communauté yéménite, les Juifs yéménites suivent l’avis de Maïmonide dans tout ce qui touche à la loi juive. Curiosité d’autant plus frappante que les autres Juifs séfarades agissent pour leur part selon l’opinion de Rabbi Yossef Caro, auteur du Choul’han ‘Aroukh !
À la genèse de ce lien se trouve la Lettre au Yémen (Iguérèt Téman), une missive envoyée par Maïmonide aux Juifs du Yémen en réponse à leurs interrogations, lettre qui inaugurera un lien indéfectible entre le “Grand Aigle” et cette communauté.
Le soleil décline sur Sanaa
Rabbi Nethanel Al-Fayoumi (1090-env. 1165), contemporain de Maïmonide, était à cette époque le chef spirituel de la communauté juive du Yémen. Érudit, philosophe, visionnaire, Rabbi Nethanel assista sur ses vieux jours à l’inexorable déclin de sa communauté, en proie aux persécutions incessantes, aux massacres, aux conversions forcées mais aussi à l’émergence de mouvements messianiques qui semaient la confusion et le doute dans le cœur des fidèles. C’est dans ce contexte douloureux que Rabbi Nethanel entreprit de s’adresser à celui dont le nom avait traversé les continents de par sa grandeur et sa stature : Rabbi Moché Ben Maïmon, surnommé le Rambam. Dans la missive qu’il fait parvenir au maître, Rabbi Nethanel sollicite conseils et réconfort pour apaiser les eaux troubles traversées par sa communauté.
Hélas, le temps que la missive ne parvienne au Rambam, le maître apprend la disparition de ce monde de son auteur. C’est le fils de Rabbi Nethanel, Rabbi Ya’akov, qui prend la relève à la tête des Juifs du Yémen. C’est ainsi que la réponse que Maïmonide expédiera sera adressée aux deux Sages, père et fils, que le Rambam couvre d’honneurs avant de détailler sa réponse.
Le contenu de la lettre
Après avoir, contrairement à sa légendaire concision, longuement loué les qualités des deux dirigeants spirituels, Maïmonide adresse des paroles de réconfort à la communauté, mettant en avant leur extraordinaire endurance face aux souffrances.
Il l’encourage ensuite à ne pas désespérer et à garder foi dans la promesse de la rédemption et insiste sur l’importance de la patience, affirmant que le temps de la Rédemption est entre les mains de D.ieu. Il les assure qu’après les épreuves, la Délivrance finira par arriver ; ce ne sera non point, précise-t-il, par le biais des faux messies qui apparaissent en leur sein, pas plus que par celui des fausses religions qui cherchent à supplanter le judaïsme - le christianisme et l’islam, religions dont il raille sans complexe les faux prophètes.
Il affirme que les faux messies sont motivés au mieux par des erreurs théologiques, au pire par l’ambition personnelle. Il précise ensuite que l’avènement du messie attendu par les Juifs se produira conformément aux prophéties contenues dans nos écrits saints, sans nécessiter de signes extraordinaires ou de calculs complexes. Il s’emploie ensuite à réfuter certaines critiques théologiques formulées par les oppresseurs musulmans contre la foi de Moïse, tout en défendant la vérité et la supériorité intellectuelle de la tradition juive.
Il exhorte enfin les Juifs du Yémen à rester unis, à se renforcer dans l’observance des Mitsvot et à ne pas céder à la peur et la confusion.
Un impact millénaire
L’objectif premier de la lettre - encourager les Juifs yéménites plongés dans le désarroi et les épreuves - aura été remarquablement atteint : les conseils de Maïmonide octroieront en effet à ces Juifs les forces et le courage de résister aux tentatives de conversion forcée ainsi qu’aux augures mensongers des faux messies qui menaçaient la cohésion de la communauté.
Mais la lettre aura également donné lieu à une étonnante relation qui, bien au-delà des distances culturelles et géographiques, perdurera à travers les âges.
Par sa lettre, Maïmonide se positionna ainsi en protecteur et en guide spirituel pour les Juifs du Yémen. La similitude philosophique qui caractérisait sans aucun doute les approches théologiques du Rambam et celles des Juifs yéménites aura certainement pesé dans le tissage de ce lien si fort et singulier.
Bien après le décès de Maïmonide, les Juifs yéménites restèrent fidèles à leur guide spirituel, s’attachant à le considérer comme leur autorité principale en matière de lois et de coutumes. Transmises à travers les âges de génération en génération, la vénération pour Maïmonide et la primauté accordée à son opinion halakhique devinrent avec le temps partie intégrante de l’identité religieuse des Juifs yéménites, pour perdurer jusqu’à nos jours.