Haman est l’un des personnages les plus vils de tout le Tanakh. Il a menacé l’existence même du peuple juif. Comme nous l’avons vu dans nos portraits de nombreuses personnalités du Tanakh, cette figure n’est pas hors contexte dans l’histoire, mais est très liée aux événements du passé. En effet, la Guémara va aussi loin que de trouver une allusion à Haman au tout début de la Torah.[1] Lorsqu’Adam Harichone mange du fruit de l’Arbre de la connaissance du bien et du mal, il se cache, honteux pour échapper à Hachem. Mais D.ieu lui offre une occasion de reconnaître son erreur, lui demande où il se trouve, puis l’interroge : « As-tu mangé du fruit (Hamin Haets) dont J’avais dit de ne pas manger ? » Le terme « Hamin » est épelé avec un , un Mèm et un Noun, ce qui forme exactement les lettres du nom Haman. Il est évident qu’il n’y a pas de simple coïncidence si le nom de Haman apparaît à ce moment-là dans la Torah. La question évidente est celle-ci : quel est le rapport entre Haman et la faute d’Adam Harichone ?

Dans le but de répondre à cette question, il convient d’abord d’analyser la nature et le rôle de l’ancêtre de Haman, Amalek dans le monde. Les commentateurs relèvent que la Guématria (valeur numérique) d’Amalek est la même que celle du terme Safek, le doute. Amalek gagne du pouvoir lorsque l’Emouna faiblit et que le peuple doute de Hachem : ceci ne se réfère pas uniquement à la croyance dans l’existence de Hachem, mais également dans Son implication dans le monde, et Sa nature de donneur.

Ce point est démontré dans la première confrontation entre le peuple juif et Amalek. Le peuple se plaint du manque d’eau et demande : « Hachem est-Il en notre sein ou non ? » [2] Immédiatement suite à cet épisode, Amalek attaque. Rachi écrit que Hachem s’est conduit mesure pour mesure pour leur manque d’Emouna, et de ce fait, Amalek est venu les attaquer, et ils devront retourner vers Hachem pour les sauver. C’est le précédent pour cette situation : à chaque fois que le peuple juif se détourne de Hachem, Il, pour ainsi dire, se détourne d’eux, permettant à nos ennemis d’attaquer. Cela fonctionne comme un mécanisme pour nous rappeler de nous tourner vers Hachem.

Cette situation est très semblable au récit de Pourim. Après la destruction du Premier Temple et l’exil qui s’ensuivit, le peuple atteignit une nouvelle baisse d’Emouna. Ce fut le maximum de Hester Panim, où la Providence divine était bien moins évidente, et les miracles dévoilés qui les avaient accompagnés au Premier Temple, un lointain souvenir. La Méguila commence par A’hachvéroch qui fait un repas festif, au cours duquel il s’habille comme un Cohen Gadol et emploie les ustensiles du premier Beth Hamikdach (Temple). Les commentateurs expliquent que le prophète Yirmiyahou avait prophétisé qu’au bout de 70 ans, le second Temple serait reconstruit, mais la détermination du début des 70 ans n’était pas très claire. A’hachvéroch organisa ce festin, car il avait calculé par erreur que les 70 ans s’étaient écoulés et que le Temple n’avait pas été reconstruit, indiquant qu’il ne serait jamais reconstruit. En s’habillant comme un Cohen Gadol et en se servant des ustensiles du Beth Hamikdach, il voulut communiquer au peuple juif qu’ils n’avaient aucun espoir de voir un autre Temple et qu’il remplaçait le Cohen Gadol. Le fait qu’ils aient assisté au repas représente l’acceptation de ses arguments, et leur manque d’Emouna dans la reconstruction du Beth Hamikdach.

Conséquence de leur affaiblissement dans cet élément de base d’Emouna, Amalek a été investi du pouvoir de menacer à nouveau le peuple juif, par le décret de Haman visant à éliminer le peuple dans son ensemble. Comme ce fut le cas pour la première bataille avec Amalek, cette menace a aidé le peuple juif à renouer avec sa Emouna. En effet, nos Sages affirment que le décret de destruction des Juifs prononcé par A’hachvéroch a agi davantage pour les inciter à se repentir que toutes les remontrances des Prophètes.[3]

En quoi tout ceci est-il lié à la faute d’Adam qui a mangé du fruit l’Arbre de la connaissance du Bien et du Mal ? La toute première occurrence d’un affaiblissement en Emouna vis-à-vis de la perfection de Hachem a été lorsque le serpent argumenta à ‘Hava que si elle mangeait de l’arbre, elle ne mourrait jamais, et que Hachem ne voulait pas qu’elle en mange, car dans ce cas, elle Lui ressemblerait, et connaîtrait le bien et le mal.[4] D’après Rachi, le serpent a affirmé que Hachem, pour ainsi dire, aurait mangé du fruit de l’arbre ce qui lui aurait conféré une vie éternelle, et ne souhaitait pas que quelqu’un Lui ressemble. Malheureusement, à un certain point, ‘Hava a accepté ses arguments et a goûté du fruit de l’arbre. Ainsi, l’arbre a été central pour marquer la première fois où un individu a faibli dans sa croyance dans la nature illimitée et donneuse de D.ieu. Nous pouvons ajouter qu’en conséquence, Hachem s’est en quelque sorte caché lorsqu’Il a demandé à Adam s’il avait goûté du fruit de l’arbre. Bien entendu, Hachem savait qu’Adam en avait mangé, et Il voulait offrir à Adam une opportunité d’admettre sa faute, mais nous pourrions aussi suggérer ceci : puisqu’Adam et ‘Hava s’étaient relâchés dans leur croyance en la perception de Hachem, Il leur a donné une ouverture pour penser qu’Il n’était pas parfait et n’était pas informé de tout ce qui se passait. Si Adam avait reconnu son erreur et s’était immédiatement repenti, les conséquences de sa faute auraient certainement été bien moins graves.

Nous pouvons désormais saisir la relation entre Haman et la faute de manger du fruit de l’arbre. Cette faute représente une déficience dans la Emouna qui a généré une dissimulation de la présence de Hachem. La faute de prendre part au repas festif d’A’hachvéroch a de même constitué une faiblesse dans la Emouna et en conséquence, une baisse dans la manifestation de la Providence divine, permettant à Haman de menacer le peuple juif. La différence entre les deux récits : après que Hachem, pour ainsi dire, « S’est retiré », Adam ne s’est pas repenti, tandis que dans le récit de Pourim, lorsque Hachem a reculé, autorisant ainsi le décret de destruction, le peuple juif a reconnu sa faute et est revenu vers D.ieu.

En s’appuyant sur tout ce que nous avons exposé, nous ne serons pas surpris d’apprendre que les sources kabbalistiques affirment qu’Esther était un Guilgoul (réincarnation) de ‘Hava, et Haman, un Guilgoul du serpent. Haman et le serpent se sont développés en raison d’un affaiblissement d’Emouna. L’effet du serpent n’a pas été détruit à l’époque de la faute d’Adam, mais a été sérieusement atteint dans le récit de Pourim.

L’exemple de Haman et de sa relation à la faute d’Adam nous rappelle le rôle central de la Emouna pour ne laisser aucune ouverture à Amalek et sa clique lorsqu’ils cherchent à menacer notre existence.


[1] Houlin, 139b.

[2] Chémot, 17:7.

[3] Méguila, 14a.

[4] Béréchit, 3:4-5.