Rebecca Rosen scrute attentivement le rayon des céréales de son supermarché. Branflakes ou Kellogs ?
La routine l’aide à oublier momentanément la période difficile que son mari et elle traversent. Ils essaient depuis trois ans d’avoir des enfants, mais malheureusement, D.ieu ne les a pas encore bénis d’un enfant. Il est particulièrement difficile pour elle de vivre dans un quartier où de si nombreux jeunes couples ont déjà été bénis de plusieurs enfants. Tout en examinant les ingrédients sur la boîte de céréales, elle connaît un bref répit et oublie ses pensées anxieuses. Jusqu’à ce qu’elle soit interrompue.


Toujours pas d'enfant

« Rébecca ? Coucou, comment vas-tu ? »

La voix est celle d’une ancienne amie de l’université, bien que ces dernières années, elles se soient perdues de vue.

« Alors…comment ça va la vie ? » poursuit-elle.

Rébecca sourit. « Super, merci. Je finis mes études, et mon mari travaille dans une firme de high-tech. » Rébecca sait pertinemment que ce n’est pas la réponse attendue par son amie.

« Mais, à part ça… [ pause forcée]… comment ça va, tout le reste ? »

Rébecca a de plus en plus de mal à continuer à sourire. « Bien, vraiment bien. »

« Je sais que Josh et toi avez du mal à avoir des enfants, » reprend son ancienne amie. Rébecca sent des nœuds se former dans l’estomac. Elle savait que la conversation allait arriver à ce sujet. Elle n’est pas sûre de ce qui la dérange le plus : une ancienne amie qui pose une question trop personnelle ou le lieu indiscret pour une conversation qui devrait se tenir dans l’intimité d’un salon, et certainement pas dans une allée de supermarchés.  Alors que son amie continue, Rébecca continue à se forcer à sourire, inclinant la tête devant le barrage de questions et de réconfort non sollicité.

« Cela doit être si dur… Essayez-vous vraiment ?... Ton mari et toi avez-vous des problèmes ? Je connais un rav qui… Enfin, passe une bonne journée ! » et elle met un terme abrupt à son monologue.    

Rébecca sourit. Le moment le plus difficile est arrivé. Rébecca se tourne vers son amie qui attend avidement sa réaction au sage conseil qu’elle vient de lui dispenser ; Rébecca marmonne : « Merci beaucoup, toi aussi. »
 

Echecs professionnels

Baroukh a une merveilleuse épouse et est père de quatre enfants. Tout s’est toujours bien passé pour lui, mais il vient de se faire licencier et accumule à présent des dettes. Il est sans emploi depuis près d’un an et plus il reste au chômage, plus les perspectives de travail semblent s’amoindrir.

Un ami proche, Sim’ha, vient juste de s’associer à une excellente firme. Baroukh se réjouit de la promotion de son ami, mais l’importance de la promotion de Sim’ha met davantage en relief la situation précaire de Baroukh. Sim’ha prévoit d’organiser un petit kidouch à la synagogue le Chabbat pour fêter sa nomination. Baroukh est nerveux, mais déterminé à se joindre à son ami proche pour se réjouir avec lui.

Au kidouch, Baroukh se sent mal à l’aise. Il imagine que tout le monde autour de lui pense : « Ouah, j’ai du mal à croire qu’il soit venu ! Ça doit être tellement dur pour lui. » Honnêtement, ils ont raison. Ce ne fut pas chose facile. Après avoir félicité son ami, Baroukh s’apprête à partir. Ses espoirs d’une sortie en discrétion sont anéantis alors qu’il est arrêté par différentes personnes.

« Im yirtsé Hachem, bientôt chez toi… si D.ieu veut, bientôt pour toi aussi… »

Il a l’impression qu’un peloton d’exécution chargé de le consoler a choisi de l’exécuter. Une vieille connaissance le prend à part.

« Baroukh, sache que la situation dans laquelle tu te trouves est vraiment une bénédiction. Ne t’inquiète pas. »

Frustré par le manque de sensibilité de son ami, il le regarde et murmure : « Ouais, si D.ieu veut, chez toi bientôt. »


Même à la synagogue

À la fin de la prière du Chabbat matin, Yoni est assis à sa place habituelle, écoutant les annonces. Après avoir fini d’annoncer le programme du Chabbat, le gabbaï, un homme jovial et plein d’humour commence à énumérer tous les événements joyeux des membres de la synagogue. Yoni commence à appréhender cette partie de l’office. Bien qu’il ne soit marié que depuis deux ans, lui et sa femme n’ont pas encore réussi à avoir d’enfants.

« Mazal-tov à la famille Berkowitz pour la naissance d’une fille ! »

Certains membres assis au fond disent : « Lé’haim ! » Yoni glousse, et bien que ce soit difficile, il est heureux pour la famille Berkowitz. Les sarcasmes constants de ses amis et des membres de la synagogue ont considérablement aggravé sa peine. Alors que la liste des sma’hot de la communauté continue, les commentaires commencent inévitablement à fuser.

Un ami assis à la table de Yoni se tourne vers lui. « Alors, Yoni, qu’est-ce que tu attends ? » Le petit rire de Yoni s’efface pour devenir un sourire forcé. « Ouais, on essaie, » répond-il. Un autre membre de la synagogue, assis juste en face de lui, s’adresse à Yoni : « Nous attendons tous d’entendre des bonnes nouvelles, békarov ! » Yoni acquiesce, feignant d’être d’accord. Il sait que ses amis et voisins sont bien intentionnés, mais il souhaiterait que le centre d’attention autour des smah’ot des autres ne se déplace pas constamment vers ses propres tsarot. Il est heureux de savoir que tout le monde attend ses smah’ot, il souhaiterait simplement qu’ils se manifestent plus discrètement et plus calmement.


Un peu de sensibilité !

Le but de cet article n’est pas d’établir une équivalence entre les différentes épreuves de la vie, mais plutôt d’initier une réflexion et de développer une sensibilité lorsqu’il est question des difficultés des autres. À partir du moment où nous nous engageons dans le jeu : « Pour qui est-ce vraiment le plus difficile ? », nous nous sommes dégagés de la responsabilité de considérer le problème de chaque individu sous un angle unique et personnel. Permettez à D.ieu de conférer le prix à « celui qui est dans la situation la plus difficile. » Pendant ce temps, de notre côté, nous pouvons tenter de rendre ces situations difficiles moins douloureuses.

Tout le monde a des revers dans la vie. Chacun a des débuts et des parcours différents tout au long d’une existence productive et jalonnée de succès. Certains se font licencier, d’autres ont des difficultés à avoir des enfants, d’autres mettent plus de temps à se marier. Chacun mérite notre sensibilité, a droit à son intimité et à une conduite réservée de notre part. C’est possible grâce à une bonne dose de bon sens et en réfléchissant brièvement avant de prendre la parole.

Ne vous hâtez pas de juger : si le célibataire se trouve dans cette situation, c’est sa faute. De la même manière que des couples essaient d’avoir des enfants, mais sans succès, certains essaient de trouver leur âme sœur, mais peinent à trouver un partenaire adéquat. Certains se marient à un stade plus avancé et sont heureux, et la seule chose qui les a retenus de trouver plus tôt un partenaire n’était que le mazal, et non pas un trouble de personnalité, un problème à s’engager ou un trouble pathologique. Assurez-vous que vos paroles d’encouragement soient sollicitées (explicitement ou implicitement), et tentez de ne pas faire constamment graviter la conversation autour du revers vécu par votre ami/connaissance/ personne rencontrée au supermarché. 

Contrairement à ce que vous pensez, parfois, ils n’ont simplement pas envie d’en parler. Ne dites pas que c’est une berakha à quelqu’un à moins de souhaiter vraiment que cela vous arrive à vous. En effet, nous devrions tous avoir des amis et des connaissances qui nous traitent avec la même sensibilité et le même respect qu’ils souhaitent pour eux-mêmes. Si D.ieu veut, bientôt chez vous.


Rabbi Mordechai Cazbii