Le second chapitre du Livre de Yéhochou’a décrit l’histoire de la mission de deux espions, Pin’has et Kalev, envoyés à Jéricho. Yéhochou’a leur prescrit de séjourner dans l’auberge d’une dame non-juive, Ra’hav, connue pour être une femme à la piètre réputation. Le Roi de Jéricho est informé de la venue d’espions dans la ville et envoie ses hommes pour les arrêter, mais Ra’hav aide les espions à se cacher et leur révèle plus tard qu’elle a reconnu la suprématie du D.ieu juif et qu’Il détient le Pouvoir véritable. Pour la récompenser de son aide, ils lui promettent de la laisser en vie ainsi que toute sa famille, et elle se convertit. Elle atteignit un niveau si élevé qu’elle finit par épouser Yéhochou’a et mérita d’engendrer huit prophètes.[1]

Une question soulevée par ce récit : pourquoi Yéhochou’a a-t-il spécifiquement envoyé les espions séjourner chez une femme si enfoncée dans l’immoralité, et comme l’affirment nos Sages, l’une des quatre femmes les plus belles au monde ? En général, on n’a pas le droit de se mettre en situation de Nissayon (épreuve), en particulier dans le domaine de l’immoralité.[2] Au premier niveau, sa maison était un lieu où de nombreux hommes se rendaient à des fins illicites, donc le fait que deux hommes de plus s’y rendaient ne devait pas éveiller les soupçons.[3] Or, les ouvrages sacrés exposent des raisons plus profondes sur la raison pour laquelle les espions ont été envoyés dans ce lieu particulièrement immoral.[4]

Ils expliquent que l’objectif ultime de la mission des espions était de vaincre et d’annuler les extraordinaires pouvoirs d’impureté des Cananéens. La Torah pointe du doigt les agissements immoraux des Egyptiens et Cananéens lorsqu’elle met en garde le peuple juif de ne pas s’inspirer de leur conduite,[5] et les commentateurs soulignent qu’elles étaient les deux nations les plus immorales du monde. Le summum de cette impureté se trouvait dans la maison de Ra’hav, car là, les hommes les plus importants de la nation venaient à des fins immorales. En outre, nos Sages affirment que Ra’hav avait dix ans lorsque les Juifs quittèrent l’Egypte et pendant les quarante ans où ils se trouvaient dans le désert, elle fut plongée dans l’immoralité. De cette manière, elle représentait le concept de Zé Léoumat Zé (traduit littéralement : ceci est en conflit avec cela), à savoir qu’aux antipodes de la Kédoucha (sainteté) du peuple juif dans le désert, il y avait au même moment les va et vient dans la maison de Ra’hav.  

Pour réussir la conquête matérielle de Canaan, il était visiblement d’abord nécessaire de vaincre Canaan sur le plan spirituel. On trouve un précédent de cette idée dans le fait qu’avant la rencontre réelle de Yaakov Avinou avec Essav, Yaakov dut d’abord se battre avec l’ange d’Essav - après avoir vaincu l’ange, il put affronter Essav dans la sphère du réel.[6]

La manière de vaincre cette Touma (impureté) consistait à passer la nuit dans la même maison que Ra’hav tout en maintenant leur contrôle de soi, non seulement au niveau de leurs actes, mais aussi de leurs pensées. En effet, Rachi affirme qu’ils accédèrent au niveau des anges lorsqu’ils s’empêchèrent de fauter avec Ra’hav.[7]

La question se pose : pourquoi Ra’hav en particulier a-t-elle été inspirée à effectuer une Téchouva complète ? Du plus bas niveau d’impureté, elle s’éleva jusqu’au point de devenir une juste qui finit par épouser le dirigeant du peuple juif, et la mère de nombreux prophètes. Le Michbétsot Zahav explique que jusqu’à ce moment dans sa vie, Ra’hav ne connaissait qu’une attitude dans la vie : le désir de tirer autant de plaisir physique possible dans la vie. Elle avait constamment remarqué comment sa beauté éveillait les instincts primaires des personnages les plus en vue de Jéricho. Or, soudain, à la venue des deux espions, elle remarqua qu’ils n’étaient pas du tout troublés par sa beauté, elle perçut que la vie pouvait avoir un but différent, plus élevé. Ceci la poussa à se repentir et à canaliser tous ses désirs puissants au service d’objectifs de sainteté. En conséquence, contrairement aux autres Cananéens, elle fut en mesure de transformer sa prise de conscience de la véracité de la Torah pour la mettre en pratique afin d’aider les espions, et au final, pour se convertir. 

De cette manière, les espions acquirent une supériorité spirituelle sur les Cananéens et le pouvoir de l’impureté fut annulé par les pouvoirs de sainteté, ouvrant la voie à la conquête matérielle de Jéricho.

Une leçon que nous pouvons extraire du récit de Ra’hav : peu importe à quel point un individu a plongé, l’espoir existe toujours qu’il fasse Téchouva. De surcroît, il peut prendre ces désirs mal dirigés et les canaliser de manière correcte. Puissions-nous mériter de tirer les leçons de l’histoire extraordinaire de Ra’hav.

 


[1] Méguila, 14b – ces prophètes étaient Néria, Baroukh, Seaiah, Ma’hseiah, Yeremiya, ‘Hilkia, ‘Hanamel, et Shaloum.

[2] Méguila, 15a.

[3] Michbétsot Zahav, Yéhochoua, p.43.

[4] Michbétsot Zahav, Yéhochoua, p.42.

[5] Vayikra, 18:25.

[6] Béréchit, Chapitre 33.

[7] Rachi, Yéhochoua, 6:23.