Nous sommes depuis le début de cette guerre étrangement accompagnés par les textes hebdomadaires de la Torah, qui nous semblent soudain étonnamment actuels. Nous le voyons bien dans ce conflit complexe et face à la tragédie des otages tombés aux mains du ‘Hamas.

Nos vies sont faites d’épreuves qui nous mettent face à des choix parfois dramatiques, et qu’il nous faut assumer. Quand vient l’épreuve, il peut alors nous arriver d’être désemparés, désorientés quant à ce qu’il convient de faire et à l’attitude à adopter. Et il en va de la collectivité comme il en va de l’individu : si gouverner c’est choisir, quels choix douloureux et lourds de conséquences s’imposent aux dirigeants de ce pays !

Quand les événements se succèdent

Nous le voyons bien dans ce conflit complexe et face à la tragédie des otages tombés aux mains du ‘Hamas. Rabbi El’hanan Wasserman, élève et bras droit du ‘Hafets ‘Haïm, pouvait déjà écrire quelques années avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, ces lignes que l’on dirait adressées à notre génération :

"Nous traversons une période qui sort vraiment de l’ordinaire. Tout particulièrement sur la scène de l’Histoire du peuple d’Israël. Nous sommes témoins de phénomènes inouïs jusqu’à présent. Les événements se succèdent de façon vertigineuse, nous laissant frappés de stupeur et incapables de comprendre ce qu'il se passe."

Pour ce qui nous concerne actuellement, nous sommes depuis le début de cette guerre étrangement accompagnés par les textes hebdomadaires de la Torah, qui nous semblent soudain étonnamment actuels.

Ra’hel ou le silence des brebis

Et là, nous voilà devant les grandes figures de Ra’hel et de Léa. Le Zohar, sur la Paracha de Vaéra, nous enseigne que les deux matriarches représentent deux mondes, deux manières d’être à la fois très différentes et complémentaires. Et que le peuple d’Israël est appelé du nom de Ra’hel, la brebis, comme il est écrit dans le Yécha’ya (53, 7) : "Telle la brebis silencieuse devant ceux qui la tondent." Pourquoi silencieuse ? "Car lorsque les nations la dominent, elle reste sans voix et elle demeure silencieuse."

Dans les différentes épreuves qui jalonnent sa vie, Ra’hel s’incline, se plie au sort qui lui est fait, comprenant que tout ce que le Compatissant fait dans Son monde n’est que pour le bien. Ra’hel se tait et son fils Yossef suivra son exemple : pris en Égypte comme on le sait, il ne se révoltera pas contre le sort qui lui est fait, il ne cherchera pas à s’enfuir ni à avertir son père. Il cherchera une seule fois une intervention humaine, en demandant à l’échanson d’intervenir en sa faveur. Mais il en paiera le prix.

Au sein des épreuves, Ra’hel et ses descendants gardent un lourd silence et trouvent leur voie dans les situations qui leur adviennent. Esther, elle aussi, se taira longuement, jusqu’à ce que Mordékhaï lui enjoigne d’intervenir.

Léa : prier, obtenir et remercier

Toute autre est Léa ! L’épreuve pour elle est un défi auquel il faut se confronter, afin de le surmonter et de modifier la situation originelle. Elle pleure et elle prie, pour échapper à ‘Essav qu’on pense lui faire épouser. Elle prie encore pour mériter de donner à Ya’akov ces enfants qui formeront  le peuple d’Israël. Elle voit ses prières exaucées, et elle se plonge dans la louange et la reconnaissance, comme lorsqu’elle donne à son quatrième fils le beau nom de Yéhouda.

Le roi David, leur descendant à la vie emplie d’épreuves, enseignera à toutes les générations du peuple juif, grâce à ses Téhilim, les voies de la prière et de la reconnaissance, capables de faire se renverser le cours des choses.

Les Sages nous disent alors qu’il nous faut tenir les deux bouts de la chaîne, en suivant la voie tracée par ces deux grandes figures, "… comme Ra’hel et comme Léa qui ont bâti toutes deux la Maison  d’Israël." (Méguilat Ruth 4, 11).

Il nous faut donc accepter avec amour tout ce qui advient dans notre vie individuelle ou dans celle de la collectivité, nous imprégner de l’idée que tout en fin de compte est pour le bien, dans l’abaissement de notre ego devant la Volonté divine ; et justement de ce lieu-là, puiser une force de Téfila à même de renverser des murailles et de faire modifier les décrets d’En-Haut.

Zhetl comme exemple

Pour conclure, voici une histoire qui peut particulièrement nous parler en ces temps-ci. Nous sommes à Zhetl, petit shtetl (bourgade juive) de Pologne orientale, aujourd’hui en Biélorussie, au début des années 20. Zhetl comptait alors près de cinq mille habitants, juifs pour les trois quarts. La Première Guerre mondiale vient de s’achever, la Pologne est à nouveau indépendante après plus d’un siècle de servitude.

Mais une grande instabilité règne, notamment dans les provinces orientales. Des bandes de brigands sèment impunément la terreur, rançonnent et molestent les voyageurs, ou commettent d’horribles pogroms. Le chef de l’une de ces bandes, rendu encore plus audacieux par ses succès, envoie une lettre de menaces au Rav Mena’hem Risikoff, rabbin de  Zhetl : lui et sa communauté ne seront épargnés qu’en échange d’une énorme rançon à payer dans la semaine. Les Juifs de Zhetl sont sous le choc, courbent la tête devant l’épreuve et se répandent en prières, jeûnes et mortifications. Le rabbin, lui, n’en reste pas là et convoque en urgence une réunion des notables, où il annonce les décisions suivantes : tous les hommes ayant fait le service militaire sont mobilisés et au risque d'excommunication solennelle, tout Juif doit livrer à la caisse communautaire 10% de son argent liquide et 6% de ses biens.

Une somme considérable fut ainsi rapidement amassée, ce qui permit au rabbin et à ses assistants d’acheter des armes qui furent distribuées aux 300 anciens soldats, d’engager un ancien officier russe d’origine tzigane afin d’entraîner les troupes, d’organiser des rondes de surveillance la nuit et enfin d’aménager un quartier général équipé – luxe rare pour cette époque – d’un téléphone. Le Rav Risikoff put alors faire savoir au chef des bandits que les Juifs de Zhetl l’attendaient…

Que les mérites de Ra’hel et de Léa nous servent d’inspiration et protègent tout le peuple d’Israël !